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Comment commence une histoire d’Enquête?

C'est par cette question que l'animateur de l'émission Enquête, Alain Gravel, a commencé il y a quelques jours son allocution devant un parterre d'étudiants et de professeurs en journalisme lors de la remise des prix Lizette-Gervais 2012. Sa réponse: «ça commence toujours par une source». Voir aussi: La protection des sources, une pierre angulaire de…

C'est par cette question que l'animateur de l'émission Enquête, Alain Gravel, a commencé il y a quelques jours son allocution devant un parterre d'étudiants et de professeurs en journalisme lors de la remise des prix Lizette-Gervais 2012. Sa réponse: «ça commence toujours par une source».

Voir aussi: La protection des sources, une pierre angulaire de la liberté de presse et Intimidation judiciaire: les journalistes dans la mire

C'est par cette question que l'animateur de l'émission Enquête, Alain Gravel, a commencé il y a quelques jours son allocution devant un parterre d'étudiants et de professeurs en journalisme lors de la remise des Prix Lizette-Gervais. Sa réponse: «ça commence toujours par une source».

Des policiers, des procureurs, des entrepreneurs, des politiciens, des confrères d'autres médias, beaucoup de sources, le plus souvent requérant l'anonymat, nourrissent quotidiennement Enquête. Rares sont celles qui sont strictement désireuses de servir la vérité et la démocratie. «Dans 99% des cas, les sources cherchent à vendre leur salade, à se servir des journalistes pour faire avancer leurs pions», explique Alain Gravel. (Photo: Radio-Canada)

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Toutefois, «ce n'est pas parce qu'une source a un intérêt que ce qu'elle a à dire n'est pas d'intérêt public». Pour avancer sur ce terrain miné, les enquêteurs gardent toujours à l'esprit qu'ils sont des objets de manipulation et mettent tout en œuvre pour s'en protéger: multiplier les sources, recouper les informations, vérifier, vérifier et vérifier encore. C'est pour cette raison que «la qualité d'une enquête dépend du temps qu'on a pour la faire», martèle le journaliste, très reconnaissant que Radio-Canada lui offre ce luxe.

Outre le temps, le réseau public offre également le soutien d'un solide contentieux. Sans cette équipe d'avocats, le journaliste estime que bien des histoires qu'Enquête a rendues publiques ces cinq dernières années seraient restées dans un carton. «Je connais un média à Montréal qui ne sort pas certaines histoires parce qu'il n'a pas de contentieux. Peu de médias privés peuvent faire ce que nous faisons à Radio-Canada.» L'équipe d'Enquête ne compte en effet plus les poursuites.

La firme Construction Louisbourg a par exemple récemment tenté de forcer Alain Gravel à dévoiler l'identité de sources anonymes relatives aux enquêtes sur l'industrie de la construction. Mais les tribunaux ont jugé cette poursuite abusive. Il s'agissait de la quatrième intentée par la firme de Tony Accurso contre le réseau public. Pour le journaliste, «ça ressemble à de l'intimidation à peine voilée».

Les manœuvres d'intimidation visent les journalistes eux-mêmes, mais aussi leurs sources. «Avec l'affaire Davidson, la police a tout fait pour envoyer le message que les conversations des journalistes pourraient être épiées. Ça a eu un "chilling effect" sur nos communications avec nos sources», explique-t-il. Dénonçant une attaque en règle contre la liberté de presse et le droit du public à l'information, l'animateur a longuement parlé de ce "chilling effect" en entrevue au 98,5FM en février.

Pour protéger ses sources, l'équipe d'Enquête suit des règles strictes. Les informateurs sont rencontrés en personne, jamais en public et ont tous un nom de code. Jamais, leur véritable nom n'est écrit ou énoncé. Tous les carnets de notes, les courriels, les textos et les conversations sont parsemés de noms d'équipes et de champions cyclistes, le sport favori de l'animateur. Certaines sources sont dans le décor depuis si longtemps sous leur nom de code qu'il arrive même au journaliste d'oublier leur véritable nom.

Mais, malgré les poursuites et les menaces, Alain Gravel n'a pas peur. «C'est tellement public. Il y a tellement de journalistes qui travaillent là-dessus, que ça ne changerait rien s'ils s'attaquaient à moi. Les gens impliqués dans nos enquêtes sont des hommes d'affaires, ils font un calcul simple: s'en prendre à un journaliste ce n'est pas payant, parce qu'il y en aurait 15 autres, derrière, encore plus motivés à sortir l'histoire», explique-t-il en rappelant que s'attaquer à Michel Auger a coûté très cher aux Hells Angels.

Pour se protéger, l'enquêteur chevronné a également une règle de vie. «Il ne faut pas se prendre pour ce qu'on n'est pas. On n'est pas des justiciers. À partir du moment où on pense ça, on devient dangereux pour soi, pour son équipe, pour son employeur et sa famille.»