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Converger sans partager les contenus

Par Chantal Francoeur La convergence n’a pas d’impact sur la diversité des nouvelles. L’affirmation étonne mais c’est le constat de chercheurs canadiens qui ont étudié trois entreprises de presse en 2007. Colette Brin, Kai Hildebrandt, Lydia Miljan et Walter C. Soderlund ont analysé les contenus des groupes CTVglobemedia, Canwest Global Communications et Quebecor. Ils ont…

Par Chantal Francoeur

La convergence n’a pas d’impact sur la diversité des nouvelles. L’affirmation étonne mais c’est le constat de chercheurs canadiens qui ont étudié trois entreprises de presse en 2007. Colette Brin, Kai Hildebrandt, Lydia Miljan et Walter C. Soderlund ont analysé les contenus des groupes CTVglobemedia, Canwest Global Communications et Quebecor. Ils ont découvert qu’il y avait très peu d’échange de nouvelles entre les journaux et les télés d’un même groupe.

Par Chantal Francoeur

La convergence n’a pas d’impact sur la diversité des nouvelles. L’affirmation étonne mais c’est le constat de chercheurs canadiens qui ont étudié trois entreprises de presse en 2007. Colette Brin, Kai Hildebrandt, Lydia Miljan et Walter C. Soderlund ont analysé les contenus des groupes CTVglobemedia, Canwest Global Communications et Quebecor. Ils ont découvert qu’il y avait très peu d’échange de nouvelles entre les journaux et les télés d’un même groupe.

Leur enquête, menée pendant quatre semaines, a montré qu’aucun journaliste télé n’a produit de reportage pour la presse écrite et aucun reporter de presse écrite n’a réalisé de reportage pour la télé. Plusieurs raisons expliquent cette absence de partage de contenu entre des média appartenant à une même entreprise: des salles de nouvelles physiquement séparées, des cultures de travail trop différentes, peu d’incitatifs à produire des reportages pour un autre média.

Bien sûr il y a des contenus similaires d’un média à l’autre. Mais ils ne sont pas liés à la convergence. Les chercheurs disent qu’on retrouve les mêmes nouvelles partout pour trois raisons. La première est liée à l’utilisation d’articles venant de la Presse Canadienne. Les médias misent beaucoup sur cette source pour remplir leur page ou occuper du temps d’antenne. Les chercheurs citent une anecdote éloquente pour illustrer la force de cette habitude: ils ont constaté qu’un reportage télé du Edmonton Global News Hour portant sur des voitures accidentées revendues de façon frauduleuse a été repris par la Presse Canadienne. Un jour plus tard, le même reportage, tiré de la Presse Canadienne, a été publié dans le Edmonton Journal… alors que le réseau Global et le Edmonton Journal appartenaient tous deux à Canwest!

Les chercheurs citent ensuite les reprises de communiqués de presse pour expliquer pourquoi les contenus sont semblables peu importe le média. Beaucoup de communiqués de presse sont repris sans traitement, ce qui accentue l’homogénéité des nouvelles. Enfin, le journalisme de groupe, ou journalisme de meute, ou «pack journalism» – quand plusieurs journalistes couvrent un même sujet ou font une interview en groupe – mène aussi à des contenus similaires.

Pourquoi converger s’il n’y a pas de partage de contenus entre les différentes salles de nouvelles, se demanderont les lecteurs, téléspectateurs et observateurs des médias? Les chercheurs, qui ont réalisé des entrevues avec les propriétaires et gestionnaires de médias, disent que la vente de publicité pour plusieurs plateformes à la fois justifie la convergence.  Le fait de détenir des entreprises en santé permettant de financer des entreprises plus fragiles est un autre avantage recherché dans la convergence.

Les quatre savants qui se sont penchés sur les liens entre la convergence et la diversité des contenus qualifient leur recherche de première photo, «first snapshot», de la situation. Ils croient que les résultats auraient été différents si une campagne électorale fédérale avait été déclenchée pendant leur recherche. En effet, pour certains évènements isolés mais importants, les barrières au partage de contenu seraient probablement moins élevées, écrivent-ils.

Ils suggèrent de reprendre l’étude dans cinq ans. Ils soupçonnent que le partage de contenu sera alors une pratique courante. Leurs entrevues avec des propriétaires et des artisans d’entreprises de presse confirment cette intuition. L’entreprise Quebecor, la seule toujours en vie parmi les entreprises étudiées en 2007, est citée en exemple: la création de l’agence QMI montre une intention claire de partager des contenus d’un média à l’autre, selon les chercheurs. Ils ajoutent que l’arrivée de jeunes journalistes formés à la production multiplateforme intensifiera aussi le partage de contenu.

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Cela entraînera une perte de diversité des nouvelles. Sera-ce une bonne ou une mauvaise chose? Bonne question, disent les chercheurs, qui posent à leur tour une excellente question: quelle est la diversité optimale pour une démocratie en santé? Trop de diversité dans les nouvelles peut mener à une perte du sens de la vie en commun, chacun s’intéressant à son petit univers. Pas assez de diversité mène à la pensée unique, les silos et des angles morts. Où se trouve le juste milieu? Pas facile de répondre à cette question, écrivent les savants: «This is not an easy question to answer

 

Les résultats de la recherche sont offerts en anglais dans un livre compact, bien écrit et rigoureux : Soderlund, Walter C. et al. 2012. Cross-Media Ownership and Democratic Practice in Canada. Edmonton : The University of Alberta Press, 146 p..

 

* Une des auteures de l'étude (Colette Brin) est membre du Comité éditorial de ProjetJ.