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Des médias régionaux trop fragiles

La semaine dernière, Projet J révélait une tentative de bâillonnement de la part d’Hydro-Québec sur un média régional, en l’occurrence Point de vue Sainte-Agathe, dans les Laurentides. Une tentative d’ingérence qui vient rappeler toutes les pressions, politiques et économiques, avec lesquelles les journalistes en région doivent jongler. Et qui les portent parfois à abdiquer et…

La semaine dernière, Projet J révélait une tentative de bâillonnement de la part d’Hydro-Québec sur un média régional, en l’occurrence Point de vue Sainte-Agathe, dans les Laurentides. Une tentative d’ingérence qui vient rappeler toutes les pressions, politiques et économiques, avec lesquelles les journalistes en région doivent jongler. Et qui les portent parfois à abdiquer et à choisir l’autocensure.

La semaine dernière, Projet J révélait une tentative de bâillonnement de la part d’Hydro-Québec sur un média régional, en l’occurrence Point de vue Sainte-Agathe, dans les Laurentides. Une tentative d’ingérence qui vient rappeler toutes les pressions, politiques et économiques, avec lesquelles les journalistes en région doivent jongler. Et qui les portent parfois à abdiquer et à choisir l’autocensure.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

«Les médias régionaux sont fragiles sur le plan financier, explique Dominique Payette, ex-journaliste aujourd’hui professeure à l’Université Laval et auteure en 2011 du rapport sur l’avenir du journalisme au Québec. Ils sont donc particulièrement sensibles aux pressions, qui sont de deux ordres : la menace de poursuites devant les tribunaux ordinaires, et la rétention des versements des avis juridiques et légaux.»

Ainsi, la loi sur les cités et villes oblige les municipalités à publier des avis légaux trois fois par an, dans les journaux et à payer pour cela. Or, ces sommes sont importantes.

«Dans les municipalités fusionnées, on parle de 50 à 60 000 dollars par an, souligne Mme Payette. C’est le salaire d’un journaliste et demi en région. Et pour l’instant, rien ne précise sur quels critères le conseil municipal doit s’appuyer pour choisir dans quel journal émettre ces avis, et rien ne l’oblige à les distribuer équitablement, ajoute-t-elle. Il peut donc très bien décider de ne pas en donner à telle ou telle publication. Ça exerce une pression forte sur les éditeurs, surtout lorsqu’ils sont indépendants.»

Des médias peu syndiqués

Dans le cas révélé par Projet J, le journal appartient à un conglomérat, en l’occurrence TC Media.

«Aujourd’hui, les pressions commerciales s’exercent partout, même sur les grands groupes à l’extérieur de Montréal et de Québec, estime Dominique Payette. Il y a une lutte commerciale entre TC et Québecor dans la presse régionale. Ça la fragilise parce que leur manière de lutter l’un contre l’autre, c’est de faire réduire le prix des publicités.»

Elle révèle aussi avoir à plusieurs reprises, et dans différentes régions, entendu des journalistes lui dire que leur média n’ayant pas les reins assez solides pour sortir une histoire, ils avaient préféré la donner à un confrère dans un  journal syndiqué.

«Souvent, les entreprises de presse sont moins syndiquées en région, confirme Pierre Roger, président de la Fédération nationale des communications (FNC-CSN). Or, qui dit syndicat dit convention collective et on essaye toujours d’y inclure une clause d’autonomie professionnelle, qui fait en sorte que les journalistes ne peuvent pas se faire dire par leur éditeur, ce qu’ils doivent écrire. Ça n’empêche pas que c’est lui qui publie ou pas, et qui choisit les affectations, donc les sujets qui vont être traités ou non. Mais un journaliste qui n’est pas d’accord avec son éditeur a toujours le droit de ne pas signer un article, et en tant que syndicat, on est là pour le soutenir.»

Et le protéger, notamment contre le copinage.

Rapports incestueux

«En région, tout le monde se connaît, poursuit le syndicaliste. L’éditeur, comme le propriétaire d’un média, a des relations amicales avec le maire de tel village, le patron de telle petite entreprise qui fait vivre tout un secteur. Ça en devient incestueux et rapidement, les journalistes subissent des pressions pour ne pas écrire sur tel ou tel sujet. Après plusieurs refus, ils finissent par ne même plus les proposer et on en arrive à de l’autocensure.»

Pierre Roger rapporte le cas d’un journaliste du Journal de Sherbrooke, propriété de Québecor mais non syndiqué, qui a été congédié après avoir donné des détails concernant la propriété qu’un homme d’affaires prêtait à Jean-Charest, à l’époque Premier ministre du Québec.

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«C’était en 2006, précise-t-il. Nous avons essayé de l’aider mais étant donné qu’il n’était pas syndiqué, nous n’avons pas pu mettre toute notre machine à son service. Tout le monde savait pour la propriété, mais lui, apportait des détails, il établissait certaines relations. C’est lui qui a écopé… et pourtant, il y a bien un éditeur qui a autorisé la publication.»

2 Paragraphes ajoutés à 14h45 – À l’époque, l’affaire avait fait grand bruit. Jean Charest avait envoyé une mise en demeure et Québecor s’était excusé publiquement. La lumière n’a pas été faite sur les véritables modalités d’occupation de cette maison située à North Hatley, mais deux journalistes du Journal de Sherbrooke, et non un seul, tout deux non syndiqués, ont bel et bien été licenciés. Le vice-président aux affaires institutionnelles de Québecor à l’époque, avait déclaré que l’entreprise «ne tolérera jamais un manque de professionnalisme aussi flagrant, un amateurisme si déplorable et qui confine à la caricature.»

«C'était de nature très sensible puisqu'on émettait des doutes sur le Premier ministre… mais un tel congédiement n'aurait pas été possible si le journaliste avait été syndiqué», prétend Pierre Roger.

Ménager la chèvre et le chou

Cette pression qu’ils subissent en région, les journalistes en ont maintes fois fait état lors de la tournée opérée au printemps par l’équipe du journal coopératif Ensemble à travers tout le Québec, afin de dresser un portrait du journalisme indépendant.

Ainsi à Gaspé, le journaliste Mathieu Drouin-Crête fait valoir que «les petits milieux ont la mémoire longue». Ancien chroniqueur au Trans-gaspésien, hebdo de Québecor, il affirme payer encore pour les opinions tranchées qu’il y a défendues.

«Durant la grève étudiante et tout le mouvement social qui a dépassé les frontières de la métropole pour se rendre jusqu’ici, j’ai des confrères qui me disaient que j’étais courageux de prendre position, raconte-t-il. Résultat, aujourd’hui je cherche du travail, j’envoie des CV. Mais les gens m’ont lu dans le journal et je dois avouer que je me suis mis dans une situation compliquée.»

Manuel Brault, lui aussi journaliste en Gaspésie, dans une télévision communautaire, admet que la proximité économique pose problème.

«Cartier Énergie, avec leurs parcs éoliens, a longtemps été parmi nos bailleurs de fonds, explique-t-il. Heureusement, ils faisaient des belles choses! Dans notre contexte, tu ne peux pas te mettre des gens à dos, poursuit-il. Dans le village, il y a 1 200 habitants et tout le monde se connait… si tu veux continuer à avoir des sources, il faut ménager la chèvre et le chou.»

Quant aux solutions, Dominique Payette avoue de pas en voir beaucoup poindre.

«À part que les gens commencent à se comporter correctement, répond-elle. C’est très étonnant de voir ça, quand même. Comme si le journaliste ne contribuait pas à faire avancer la société dans le bon sens! Alors en attendant, poursuit-elle, peut-être que les médias régionaux devraient se regrouper en coopérative pour obtenir des services juridiques. Ces frais pourraient être déductibles d’impôt. Ce serait un premier pas qui donnerait un peu d’oxygène à tout le secteur.»

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