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Les 7 commandements du reportage scientifique

Par Annie Labrecque et Jean-François Cliche Crainte. Amour-haine. Indifférence. La relation qu’entretiennent la plupart des journalistes avec la science se vit de bien des manières, mais elle est rarement heureuse. Pour diverses raisons, les médias généralistes parlent peu de science, en parlent plutôt mal et ceux qui s’y brûlent s’arrangent habituellement pour qu’on ne les…

Par Annie Labrecque et Jean-François Cliche

Crainte. Amour-haine. Indifférence. La relation qu’entretiennent la plupart des journalistes avec la science se vit de bien des manières, mais elle est rarement heureuse. Pour diverses raisons, les médias généralistes parlent peu de science, en parlent plutôt mal et ceux qui s’y brûlent s’arrangent habituellement pour qu’on ne les y reprennent plus.

Par Annie Labrecque et Jean-François Cliche

Crainte. Amour-haine. Indifférence. La relation qu’entretiennent la plupart des journalistes avec la science se vit de bien des manières, mais elle est rarement heureuse. Pour diverses raisons, les médias généralistes parlent peu de science, en parlent plutôt mal et ceux qui s’y brûlent s’arrangent habituellement pour qu’on ne les y reprennent plus.

Ce qui est dommage, d’ailleurs, et un peu étrange car il suffit souvent d’appliquer simplement les préceptes de base du métier pour éviter les erreurs. En témoignent nos «7 commandements du reportage scientifique» et les exemples qui les accompagnent.

1-Tu ne tourneras pas les coins ronds

C’est sans doute le crime le plus fréquent de la nouvelle scientifique: la sursimplification. Il faut ménager, même au péril de l’exactitude, ce pauvre public-cible que l’on présume un peu idiot. Mais à force de tourner les coins rond, on finit par ne rien faire comprendre à personne – ou pire, à induire tout le monde en erreur.

Telle cette journaliste du Journal de Québec qui a écrit que des scientifiques de l’Université Laval voulaient mettre un virus de la papaye dans les vaccins pour en améliorer l’efficacité. En réalité, il s’agissait plutôt d’une structure chimique du virus reproduite artificiellement, et non de la « bibitte » elle-même, nuance qui n’était quand même pas la mer à boire.

2- Dans le doute, tu vérifieras plus d’une fois

Même par manque de temps, on ne l’apprendra pas ici, on devrait toujours vérifier les faits plus d’une fois. Lorsque cela concerne la science, c’est encore plus risqué de se tromper. C’est si facile de se perdre parmi le jargon et le langage scientifique.

Comme dans cette nouvelle publiée en août 2010 dans La Presse canadiennesur les cas de résistances aux antibiotiques des bactéries possédant le gène NDM-1, et qui confond virus et bactérie. C’est peut-être du pareil au même pour le public en général, qui ne possède pas toutes les connaissances. Par contre, la crédibilité de l’article, et du journaliste, en prend un coup pour les milliers de microbiologistes, virologues et médecins. 

3-Tu iras jusqu’au bout de l’histoire, car la science est imparfaite!

En science comme dans les autres domaines, le communiqué de presse ne suffit pas. Il faut aller fouiller et lire l’article de la recherche, ce qui en rebute plusieurs. Mais c’est la meilleure façon de savoir si la grande découverte scientifique annoncée s’avère vraie ou montée de toutes pièces. On vérifie ainsi la méthodologie utilisée, le nombre de participants, les résultats et le financement de l’étude.

Prenons le cas de ce scientifique de la University of Virginia School of Medicine. Dans le communiqué émis lors d’un congrès tenu en septembre 2010, le scientifique soutient que de se désinfecter les mains avec de l’alcool, comme le Purell, aurait peu d’effet pour contrer les virus de la grippe, dont le H1N1, et les virus causant le rhume. L’histoire a tôt fait d’être reprise par l’AFP et les médias québécois.

Les réflexes du métier auraient dû être en éveil, car en poussant un peu plus loin l’histoire, il y avait plusieurs signaux indiquant que l’étude semblait moins crédible. Tout d’abord, on ne pouvait pas avoir accès à l’étude détaillée (et non publiée jusqu’à ce jour). De plus, cette étude était financée par une compagnie de produits ménagers et soins personnels.

Et finalement, le même scientifique avait publié une autre étude le 4 janvier 2010 affirmant qu’au contraire, les désinfectants à base d’alcool sont efficaces contre les virus du rhume.

4-Tu n’exagéreras point

Il n’y a rien de mal, en journalisme, à vouloir attirer l’attention du public. Après tout, un média qui n’est pas consulté est un média qui mourra bientôt. Mais la nature du métier implique de composer constamment avec la tentation sensationnaliste. La nouvelle scientifique n’y fait pas exception.

Le site ScienceDaily.com en a fourni un drôle d’exemple en 2009 lorsqu’il a titré qu’une chercheure du Missouri avait trouvé le moyen d’utiliser «des bactéries pour rendre des métaux radioactifs inertes». Or, par définition, c’est impossible: la radioactivité suit toujours son rythme, peu importe les conditions chimiques ou thermiques dans lesquelles un élément se trouve.

La scientifique avait plutôt utilisé les bactéries pour fixer de l’uranium à d’autres composés, de manière à le rendre insoluble dans l’eau afin de limiter les écoulements d’une ancienne mine. Mais formulée de cette manière, avouons-le, la découverte a beaucoup moins de sex appeal. Notons que le faux titre fut malheureusement repris dans de nombreux autres sites Web.

5-Tu choisiras judicieusement tes experts

Faire une entrevue avec un chercheur patenté est rarement une mauvaise idée pour celui qui planche sur un topo scientifique. On surfe ainsi, en quelque sorte, sur sa crédibilité. Mais encore faut-il éviter de trop s’éloigner de son champ d’expertise, auquel cas l’exercice devient futile.

À l’automne 2009, par exemple, tout juste avant le début de la campagne de vaccination contre la grippe A-H1N1, Le Nouvelliste a consacré toute sa page 2 à un microbiologiste de l’UQTR qui s’«inquiétait» de ce que le vaccin pourrait rendre malade et affirmait que l’«information circulait mal» au sein des autorités médicales québécoises et canadiennes.

Cet «expert» soulevait peut-être des points valables – encore que ses craintes ne se sont jamais matérialisées –, mais quand on sait que le site de l’UQTR décrit son champ de spécialisation comme «le contrôle biologique des insectes piqueurs», on se dit qu’un deuxième avis aurait été approprié.

6-Tu ne devanceras pas les faits

En principe, le journalisme s’intéresse aux faits, pas aux apparences. Mais quand les dites apparences donnent à elles seules une bonne histoire, que fait-on? L’éthique commande de prendre le temps nécessaire pour vérifier les informations, mais ce n’est malheureusement pas toujours ce qui se passe.

Au printemps dernier, une drôle d’empreinte ressemblant à un grand lombric a été découverte près de la rivière Franquelin, sur la Côte-Nord. Comme les roches du coin sont vieilles de 1 milliard d’années, TVA a déclaré qu’il s’agissait d’un fossile vieux d’autant, citant même à l’appui les «premières observations» de paléontologues du parc de Miguasha. En fait, ceux-ci n’avaient vu l’empreinte qu’en photo et ne s’étaient jamais prononcés sur sa nature.

La «nouvelle» n’en fut pas moins reprise dans bien d’autres médias – même Le Devoir s’est étonné des «images captées dans ce reportage (qui) sont impressionnantes par la netteté du profil de l’animal, désormais figé dans la pierre». Une véritable expertise a par la suite établi que l’empreinte n’avait pas été laissée par un animal.

7-Tu iras molo sur les superlatifs

Homo journalisticus, c’est bien connu, est fasciné par la chasse aux records. C’est une obsession qui n’est pas dénuée de fondement, mais elle conduit à l’occasion à des aberrations.

Tenez: en mai 2009, un géologue de l’Université Laval annonçait dans la revue Geology la découverte du plus vieux fossile animal connu – grosso modo des traces de collagène calcifié remontant à 800 millions d’années. Or, pas plus tard que l’été dernier, plusieurs médias du monde annonçaient de nouveau la découverte du «plus vieux fossile animal connu, celui-là vieux de… 650 millions d’années. Cherchez l’erreur.

 

Vérifier? Contre-vérifier? Contextualiser? Faire preuve de rigueur? Interroger plus d’une source? Voilà plein de belles habitudes que tout bon journaliste observe rigoureusement. Mais on oublie parfois qu’un bon travail de journaliste scientifique est d’abord et avant tout un bon travail de journaliste tout court.

 

Annie Labrecque est journaliste scientifique et webmestre aux magazines Les Débrouillards et Les Explorateurs. Jean-François Cliche est chroniqueur scientifique et environnemental au Soleil. Il tient le blogue Sciences dessus dessous.

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