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L’information culturelle ou le professionnalisme des amateurs

Richard Ste-Marie, Québec | Je ne suis pas journaliste, je suis animateur à CKRLmf, une des radios communautaires de Québec. À CKRLmf, comme à CIBL, à CKIA ou à Radio Ville-Marie, on nous appelle producteurs, c’est à dire que nous assumons le plus souvent seuls la recherche, la réalisation, l’animation et la mise en ondes…

Richard Ste-Marie, Québec |

Je ne suis pas journaliste, je suis animateur à CKRLmf, une des radios communautaires de Québec. À CKRLmf, comme à CIBL, à CKIA ou à Radio Ville-Marie, on nous appelle producteurs, c’est à dire que nous assumons le plus souvent seuls la recherche, la réalisation, l’animation et la mise en ondes de nos émissions. Pour ma part, j’ai de la chance car je co-anime avec mes collègues Jean-Pierre Guay (qui est aussi le réalisateur) et Jacques Gignac (à la technique) l’émission d’information hebdomadaire L’Aérospatial, d’une durée de 90 minutes, dédiée à 100% aux arts visuels. Nous avons aussi deux collaborateurs, Alain-Martin Richard et Claude Chevalot qui contribuent épisodiquement à l’émission. Nous sommes tous bénévoles et notre émission est la seule émission du genre au Canada.

Depuis deux ans, nous avons interviewé plus de 175 artistes et artisans de la culture, provenant en presque totalité de la seule région de Québec. Peintres, sculpteurs, estampiers, photographes, céramistes, maîtres verriers, illustrateurs, décorateurs, architectes, urbanistes, installateurs, performeurs, caricaturistes, muralistes, artistes des nouveaux médias, historiens, conservateurs, commissaires d’exposition, experts en droit d’auteur, théoriciens et sociologues de l’art, chargés de projets et collectionneurs. À l’Aérospatial, nous avons aussi annoncé autant d’expositions ou de conférences diverses, sans avoir reçu en studio les protagonistes, ce qui fait
plus de 350 interviews et événements sur deux ans.

La durée de nos entrevues se situe entre 7 minutes et une heure. En
bonne part, j’estime cependant que l’interview type doit durer autour
de 20 minutes, la plupart du temps en direct à nos studios, quoiqu’au
besoin nous faisons des entrevues sur les lieux d’exposition. Nous
avons interviewé Fernando Botero, artiste célèbre dont la cote est
probablement la plus élevée pour un artiste vivant, mais avec le même
plaisir et le même intérêt nous avons aussi invité Julie Savard, jeune
sculpteur de Québec, car la mission que nous nous sommes donnée est de
donner la parole aux créateurs en arts visuels quels qu’ils soient,
estimant en effet que les artistes visuels sont les artistes
les moins représentés dans les médias.

Je laisse au lecteur le soin de calculer le temps de présence des
artistes en arts visuels à la radio commerciale; je suppose qu’il doit
être près de zéro. Je serais aussi surpris de compter plus de quarante
ou cinquante interviews d’artistes en arts visuels à la radio et à la
télévision de la Société Radio-Canada pour la même période. Mais,
encore une fois, je ne suis pas journaliste et je n’ai pas l’habileté
professionnelle pour faire enquête sur le sujet.

Parlant profession, après six années passées à la radio communautaire
je me pose une question que je ne me posais pas alors que j’étais
vice-doyen de la faculté des arts qui regroupait les arts visuels, la
musique, le journalisme et la communication jusque dans les années ’90
à l’Université Laval. Constatant maintenant la quantité d’information
culturelle diffusée dans les radios communautaires, (n’oublions pas à
cet égard les émissions de CKRL et de CKIA sur la littérature et le
théâtre de même que sur la musique classique et
émergente), et constatant également l’ampleur de cette information, je
me demande comment un journaliste professionnel devrait réagir en
découvrant comme moi que cette information de grande qualité est en
fait produite la plupart du temps par des informateurs amateurs et
bénévoles. Certains sont historiens de l’art, d’autres artistes ou
acteurs, libraires, poètes, étudiants en littérature, fonctionnaires ou
vendeurs de piscines. Des journalistes de profession? Si peu que pas.
L’information culturelle est abandonnée par les professionnels de
l’information.

À la télévision, c’est le plus souvent à la chroniqueuse arts et
spectacles que l’on demandera de faire aussi la météo, il ne viendrait
en effet jamais à l’esprit d’un réalisateur de confier le bulletin
météo au chroniqueur judiciaire ou à l’analyste boursier. Cela va de
soi: on engage d’abord la jeune recrue à la météo, elle passe ensuite
aux arts et spectacles (+ la météo), puis elle gradue à la vraie
information: la sérieuse, c’est à dire aux nouvelles municipales et
régionales, économiques ou sportives. «Les arts plastiques», c’est
platte! disait un réalisateur connu. «La peinture? mais c’est pas
radiophonique!», disait un autre. Mais le parfum et les crèmes de jour
le sont, puisqu’on en faisait une chronique hebdomadaire ou presque à
Marie-France Bazzo. De même le vin, (rouge ou blanc ça se voit très
bien à la radio. Ça se sent aussi, et ça se goûte, bien évidemment. À
votre santé!)
 
Quand on parle d’accès à l’information, on conçoit généralement la
possibilité pour le public d’atteindre cette information. Je vois les
choses par l’autre bout du problème. Je connais bien le monde des arts
plastiques pour avoir enseigné plus de 30 ans à l’Université et après
72 expositions particulières et collectives, tant ici qu’en Europe. Je
dois admettre que pour les artistes, c’est à dire pour les producteurs
de la culture, l’accès  aux diffuseurs est un problème insurmontable,
étant donné la fermeture et le désintérêt des médias pour les arts
plastiques. Mon collègue Jean-Pierre Guay reçoit de nombreux courriels
à chaque jour annonçant expositions, conférences, rencontres et autres
manifestations en art. Nous en acheminons autant que nous le pouvons à
notre émission. Mais dans les journaux et dans
les autres médias nous n’en trouvons que peu de traces. Pourtant, on
nous annonce, dans les mêmes pages de ces médias, que, dans la région
de Québec/Chaudière-Appalaches, la culture génère des retombées de deux
milliards et quelques millions annuellement. 

C’est sans doute la pyramide inversée dont parle l’Unesco: dans
l’industrie du diamant, ce sont les mineurs qui sont les plus pauvres
et dont on ne veut rien savoir.

Radio Mémoire

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