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Selon Statistique Canada, il n’y a pas moins de journalistes aujourd’hui que dix ans plus tôt

Il y a, à peu de choses près, le même nombre de journalistes au Canada aujourd’hui qu’une décennie plus tôt, si l’on en croit les données de Statistique Canada. Depuis 2001, le nombre de journalistes est resté relativement sable, soit 13 000 hommes et femmes, en dépit des  différentes vagues de rachats et de mises à…

Il y a, à peu de choses près, le même nombre de journalistes au Canada aujourd’hui qu’une décennie plus tôt, si l’on en croit les données de Statistique Canada. Depuis 2001, le nombre de journalistes est resté relativement sable, soit 13 000 hommes et femmes, en dépit des  différentes vagues de rachats et de mises à pied que les médias ont vécues à travers tout le pays.

Par Chad Skelton, du Vancouver Sun – Traduction d’un article paru sur J-Source le 19 août 2013 et dans son intégralité, dans le Vancouver Sun le même jour.

Il y a, à peu de choses près, le même nombre de journalistes au Canada aujourd’hui qu’une décennie plus tôt, si l’on en croit les données de Statistique Canada.

Depuis 2001, le nombre de journalistes est resté relativement sable, soit 13 000 hommes et femmes, en dépit des  différentes vagues de rachats et de mises à pied que les médias ont vécues à travers tout le pays.

Je suis tombé sur ces données surprenantes alors que j’étais plongé dans la version 2011 de l’Enquête nationale auprès des ménages canadiens. Après les avoir ressassées durant ces derniers jours, je me suis dit que cette information méritait une analyse plus poussée que les quelques tweets que j’ai postés la semaine dernière.

Le recensement de 2001 indique que 12 965 journalistes travaillaient à l’époque. Celui de 2006 en comptabilise 13 320. Et la récente Enquête auprès des ménages donne le chiffre de 13 280. En d’autres termes, il y a, à peu près, le même nombre de journalistes au Canada aujourd’hui qu’une décennie plus tôt. La population a grossi durant ces mêmes dix ans et le nombre de Canadiens sur le marché du travail est passé de 15,9 à 16,6 millions, soit une augmentation d’environ 4,5%. La proportion de la main d’œuvre journalistique est donc restée la même. Ce qui a vraiment de quoi surprendre, étant donnée les difficultés rencontrées par les journaux durant la dernière décennie.

Alors qu’en est-il exactement?

Lorsque j’ai twitté les chiffres la semaine dernière, ils ont été reçus avec un scepticisme compréhensible. Notre situation pourrait-elle être aussi contraire au sentiment que nous avons tous, nous journalistes? Voici quelques théories qui ont traversées mon esprit ou que j’ai relevées sur Twitter :

1. Ces chiffres ne peuvent être corrects.

2. Nombre de ces journalistes sont probablement au chômage.

3. Nombre de ces journalistes sont probablement des travailleurs autonomes.

4. Nombre de ces journalistes gagnent probablement moins bien leur vie.

Revenons sur chacune d’elles:

Théorie #1: les chiffres sont faux. Nous pourrions penser que ces chiffres sont crédibles puisqu’ils proviennent de la classification nationale des professions opérée par notre agence nationale et officielle des statistiques. Malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples. Si les chiffres de 2001 et 2006 sont basés sur le formulaire long et obligatoire du recensement, ceux de 2011 se fondent sur une enquête volontaire auprès des ménages canadiens. À l’époque où le gouvernement décida de passer du recensement obligatoire à cette enquête volontaire, une controverse avait éclaté, notamment sur le fait que cette nouvelle formule sous-estimerait certains groupes comme les immigrants et les pauvres, qui ne prendraient pas la peine de remplir le formulaire. Il est également possible que l’enquête surestime des groupes plus enclins que d’autres à remplir le formulaire. Les journalistes feraient-ils partie de ceux-là? C’est possible. Et si c’est le cas, ça peut gonfler les chiffres.

Statistique Canada utilise en effet des techniques statistiques pour pallier au manque de réponses. Je suis en dehors de mon champ de compétences et donc incapable de vous dire si ces techniques sont effectives pour neutraliser le problème. Mais ça donne  l’impression que ces données ne sont pas de première main.

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Une théorie assez proche voudrait que, quelle que soient les raisons, plus de gens pourraient se classer dans la catégorie des journalistes aujourd’hui que 10 ans plus tôt. Cela me semble pourtant peu probable. La classification des professions utilisée par Statistique Canada est très fine et la catégorie des journalistes n’a pas changé depuis 2006. Il existe une autre catégorie pour les «auteurs et écrivains», qui n’est explicitement pas pour les journalistes. Quant à la catégorie «éditeurs», elle chevauche certes celle de journaliste, mais elle a elle-même beaucoup grossi durant la dernière décennie, passant de 12 480 personnes inscrites en 2001 à 17 445 en 2011.

Théorie #2: nombre de ces journalistes sont au chômage. Si les chiffres de l’enquête auprès des ménages peuvent inclure quelques journalistes au chômage, ils ne devraient pas en contenir beaucoup. Si vous regardez la question 39 du questionnaire proposé en mai 2011, vous remarquez que les répondants se voient demander s’ils ont travaillé dans les dix-huit derniers mois. Si la réponse est non, ils doivent passer toutes les questions relatives à leur profession. Aussi, si un journaliste licencié a poursuivi sa carrière dans une autre profession, il n’est plus dans la catégorie «journaliste». En bref, quelques journalistes licenciés récemment peuvent avoir été comptabilisés dans l’enquête de 2011 mais ils ne sont pas nombreux. Les journaux ont commencé à couper des postes avant 2010, et toute personne ayant perdu son emploi en 2009 ou avant, n’a pas pu être comptabilisée comme journaliste en 2011. L’ enquête est un instantané du Canada en mai 2011, et ne tient pas compte de tous les licenciements intervenus après cette date. Mais comme les problèmes rencontrés par les journaux ont démarré avant 2011, la tendance reste intéressante.

Théorie #3: ils travaillent en indépendants. Je croyais fermement en cette théorie. Je connais plusieurs journalistes qui ont quitté un emploi à temps plein dans un journal et qui aujourd’hui, sont soit travailleur autonome, soit couplent leur occupation de journaliste avec une autre, comme l’enseignement par exemple. De nombreux finissants des écoles de journalisme commencent également à la pige. Les données ne confirment pourtant pas cette théorie. Le recensement, comme l’enquête de 2011, demandent aux répondants s’ils sont salariés ou travailleurs autonomes. Et la part des journalistes à la pige a en réalité diminué durant la dernière décennie, passant de 16,2% en 2001 (2 100 sur 12 965) à 14,8% en 2011 (1 970 sur 13 280).

Théorie #4: ils sont moins bien payés. Là encore cette théorie semble plausible. Peut-être que les journalistes ont perdu des emplois bien payés dans les quotidiens des grandes métropoles canadiennes et ont retrouvé un poste moins bien payé dans un journal communautaire ou une station de radio. Ou encore, peut-être que les journalistes sortis récemment de l’école gagnent des cacahuètes sur internet alors que les journalistes séniors perdent leur emploi bien payé dans les quotidiens. Nous n’aurons pas de réponse définitive à cette question avant le 11 septembre 2013, date à laquelle Statistique Canada publiera les données contenues dans l’enquête sur les ménages concernant les revenus. Mais le recensement de 2006 indique que le revenu médian des journalistes a augmenté, passant de 39 374$ en 2000 à 41 905$ en 2005. Une augmentation plus rapide que celle du revenu médian général, qui a seulement augmenté de 29 267$ à 29 968$. Je réserve cependant mon jugement sur ce point car les difficultés auxquelles les médias ont dû faire face ont été plus aigues depuis 2005 qu’entre 2000 et 2005. Il est donc possible que nous remarquions une baisse des revenus des journalistes quand les chiffres sortiront, en septembre.

Mais laissons le bénéfice du doute à tous ces arguments, et partons du principe que toutes ces théories sont fausses. Nous nous retrouvons alors avec une énigme: comment se peut-il qu’il y ait autant de journalistes en 2011 qu’en 2001, étant donnée toutes les vagues de licenciements que les médias ont connues?

Tous les témoins, je n’ai aucun doute là-dessus – si j’en crois ma propre expérience et celle de mes collègues œuvrant dans les journaux à travers tout le pays – vous diront qu’il y a assurément moins de journalistes de presse écrite aujourd’hui que dix ans plus tôt. Mais peut-être pas autant qu’on ne le pense. Il y a des gens dans les salles de nouvelles aujourd’hui – comme les vidéo-journalistes ou les éditeurs web – qui occupent des fonctions qui n’existaient pas il y a de ça dix ans. De plus, si le nombre de journalistes travaillant dans les locaux du journal a diminué, le nombre de ceux travaillant à l’extérieur de la salle de nouvelles – tout en étant salariés – à peut-être augmenté.

Est-ce possible? Peut-être, mais ce n’est pas certain.

D’abord, j’ai le sentiment que d’autres médias, comme la télévision par exemple, n’a pas encore connu les mêmes difficultés économiques que les médias papier. Global BC a même lancé un tout nouveau réseau d’information en continu l’an dernier.

Ensuite, si internet pousse les médias traditionnels à revoir leurs modèles d’affaires, ça procure également des opportunités à d’autres. Il semble notamment y avoir une demande grandissante pour les médias de niche spécialisés business, comme Mining.com ou Stockhouse, tout deux basés à Vancouver.

Loin de moi l’idée que nous devrions arrêter de nous faire du souci quant au sort des journaux. Ma vision est biaisée, bien entendu, mais je crois cependant que les grands quotidiens fournissent aujourd’hui encore un service public et mènent des enquêtes à un  niveau qui dépasse ce dont les sites de niche sont capables de faire. Je pense également qu’il y a une valeur ajoutée au sein des plateformes d’information capables de brosser un tableau complet des enjeux qui nous affectent tous – politique, éducation, santé – au-delà des simples considérations financières et boursières.

Mais en tant qu’enseignant à temps partiel, je vois un encouragement à l’idée que les perspectives d’emploi en tant que journaliste ne soient pas aussi effroyables qu’on ne le pense. La carrière de mes étudiants prendra une trajectoire bien différente que ce qu’est la mienne. Peut-être vont-ils faire leurs armes sur un site du type Mining.com, plus que dans un journal local. Mais à la lumière de ces données, il ne semble pas idiot de penser qu’ils puissent encore faire carrière dans le métier.

Si ce débat vous intéresse, Chad Skelton est plus qu’ouvert à la discussion. Écrivez-lui, en anglais, via Twitter: @chadskelton

Toutes les images ont été offertes gracieusement par Chad Skelton/Vancouver Sun