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2010: année du journalisme en 140 caractères

Dès les premières heures de 2010, Twitter a bousculé la machine médiatique. La mort de Lhasa de Sela y a en effet été annoncée bien avant que les sites d'informations n'aient eu vent de la nouvelle. Quelques jours plus tard, Twitter s'imposait à nouveau comme premier relais de l'actualité avec le violent séisme qui a…

Dès les premières heures de 2010, Twitter a bousculé la machine médiatique. La mort de Lhasa de Sela y a en effet été annoncée bien avant que les sites d'informations n'aient eu vent de la nouvelle. Quelques jours plus tard, Twitter s'imposait à nouveau comme premier relais de l'actualité avec le violent séisme qui a secoué Haïti le 12 janvier.

Ceci est le second volet de notre bilan 2010, le premier volet: Convergence: la prise de conscience

 

Dès les premières heures de 2010, Twitter a bousculé la machine médiatique. Le réseau a en effet relayé la nouvelle de la mort de la chanteuse Lhasa de Sela bien avant les sites d'informations. Quelques jours plus tard, il s'imposait à nouveau comme premier relais de l'actualité avec le séisme haïtien.

Rapidement, les journalistes qui n'avaient pas encore adopté cet outil s'y sont mis, passant d'observateurs du quotidien à acteurs de l'instant. Pour Stéphane Baillargeon, journaliste au Devoir, et Steve Faguy, blogueur indépendant et pupitreur au quotidien The Gazette, difficile de faire un bilan de l'année 2010 sans parler de Twitter, un outil qui vient perturber énormément le métier, selon eux.

Exit l'analyse

En avril, Lise Bisonnette, ex-directrice du Devoir, lançait une charge contre le réseau social déplorant que les journalistes se dispersent «sur de multiples plateformes». Lors d'une conférence à la bibliothèque de l'Assemblée nationale, elle s'est inquiétée de la «frénésie d'hyperactivité Web» doutant que l'alimentation d'une page Facebook, d'un compte Twitter ou d'un blogue contribue à faire progresser la qualité de l'information.

Stéphane Baillargeon penche dans le même sens. «En alimentant constamment la machine à chaud, quand est-ce qu'on réfléchit?», s'interroge-t-il. «Twitter est dans l'immédiateté permanente, il nous transforme en journalistes hyperactifs. Or, pour faire du bon journalisme, il faut prendre son temps, analyser et prendre du recul.» Ce problème de l'instantanéité s'est posé à plusieurs reprises cette année, notamment pendant la commission Bastarache qui a été twittée en direct par les journalistes politiques.

Cette couverture nouveau genre a laissé plusieurs observateurs sceptiques. Le professeur Pierre C. Bélanger, spécialiste des technologies émergentes au département de communication de l'Université d'Ottawa nous confiait par exemple: «Informer le public sur une commission de ce genre c'est l'aider à en comprendre les enjeux, il faut donc réfléchir et non pas seulement rapporter des faits. Or Twitter n'est pas une technologie conçue pour l'analyse réflexive, sa grammaire expéditive ne le permet pas.»

Adapter les normes déontologiques

Pour Steve Faguy, ce débat ne doit pas faire oublier que l'usage de Twitter dans les salles de rédaction ne fait que commencer. Il devrait donc se raffiner avec le temps à mesure que chaque rédaction apprendra de ses expériences et se dotera de balises. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) a d'ailleurs modifié son Guide de déontologie pour mieux encadrer l'usage des réseaux sociaux. La Société Radio-Canada (SRC) a fait de même en mettant à jour ses Normes et pratiques journalistiques.

La SRC et la FPJQ s'inquiètent toutes deux que certains journalistes utilisent les réseaux sociaux pour exprimer des opinions et insistent sur leurs devoirs de vérification, de rigueur et de neutralité. L'ombudsman de Radio-Canada s'est elle-même inquiétée cette année, écrivant dans une révision datée du mois d'avril: «les expériences des journalistes dans les médias sociaux se multiplient sans filet».

Le réseau ego inc.

«C'est troublant la façon dont les journalistes commentent à chaud, donne leur opinion sur les réseaux sociaux», juge Stéphane Baillargeon. «Twitter transforme chacun de nous en petite entreprise ego inc», explique-t-il, «pour les vedettes, c'est génial parce que leur réputation se convertie en dollars, mais en fin de compte c'est un phénomène nocif pour l'information parce que la résultante est que ce sont encore les mêmes personnes qui sont amenées à commenter et à analyser l'information, donc la diversité des voix s'amenuise.»

Pour sa part, Steve Faguy se réjouit de la forte présence des vedettes de l'information et du milieu culturel sur le réseau social. «Grâce à Twitter, on peut passer outre les relationnistes de presse et avoir un accès direct aux personnalités. On élimine un filtre, on peut remonter plus rapidement à la source. Ça facilite beaucoup notre travail.» Il se demande cependant si le phénomène va perdurer et si les intermédiaires n'investiront pas Twitter pour barrer la route aux groupies et contrôler l'information à mesure que le réseau gagnera en popularité.

En effet, si Twitter s'est installé massivement dans les salles de rédaction cette année, il demeure un microcosme fréquenté par une minorité des Québécois. Seulement, 11% des internautes d'ici ont utilisé le site cette année, selon une étude du Centre francophone d'informatisation des organisations (CEFRIO).

 

Sur Twitter, voir aussi:

Twitter et cie: outils de promotion ou de création de l'info?

Décès de Claude Béchard: Twitter dans tous ses états

Commission Bastarache: la couverture sur Twitter est-elle utile?

La SRC revoit ses normes et pratiques journalistiques

 

Voir aussi le premier volet de notre bilan 2010:

Convergence: la prise de conscience

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