Democracy in the Age of Alt-Facts. Banff Centrer, Oct. 22, 2017. Panel on Investigations for small newsrooms. Left to right, Charles Russnell, CBC; Carolyn Thompson, freelance; David Beers, the Tyee; Mike De Souza, National Observer; Betty Ann Adam, Saskatoon StarPhoenix. Photo courtesy Patricia W. Elliott.

Ces petites salles de nouvelles qui enquêtent

Le journalisme d’enquête dans les petites salles de nouvelles, nécessaire pour assurer un contrepoids démocratique plus près du citoyen. Mais est-ce réaliste? Continue Reading Ces petites salles de nouvelles qui enquêtent

Le fondateur du webzine d’enquête canadien Tyee, David Beers, déplorait récemment que « si le journalisme ne peut plus jouer son rôle, il s’agit d’une crise pour la démocratie ». Il faisait ce commentaire lors d’un panel consacré au journalisme d’enquête dans les petites salles de nouvelles présenté à l’occasion du sommet The Democracy Project : Journalism in the Age of Alt-Facts (Projet Démocratie : le journalisme à l’ère des faits alternatifs) qui s’est tenu au Banff Centre du 20 au 22 octobre 2017.

Les petites salles de nouvelles font avec peu. Peu de journalistes. Peu d’argent. Peu de temps. Peu de protection légale. Alors, comment s’assurer de la présence du journalisme d’investigation dans un écosystème fragile, en manque de ressources?

Les panélistes, Betty Ann Adam (Saskatoon StarPhoenix), Mike De Souza (The National Observer), Carolyn Thompson (journaliste indépendante) et David Beers ont présenté des stratégies pour y parvenir en tenant compte des contraintes avec lesquelles les petites équipes doivent composer.

Se concentrer sur ses forces  

Selon le directeur de l’information du National Observer, Mike De Souza, il n’est pas nécessaire de se trouver dans une grosse salle de nouvelles pour mener des enquêtes. La clé: se concentrer sur des dossiers spécifiques.

Un journaliste qui détermine ses forces et se concentre sur celles-ci peut arriver à couvrir à la fois des nouvelles quotidiennes sélectionnées méticuleusement, tout en travaillant en parallèle sur une investigation à plus long terme, explique-t-il. Cela exige des journalistes dévoués, déterminés, tenace et qui maintiennent le cap.

Mike De Souza ajoute qu’il est parfois avantageux d’écrire des articles périphériques à son sujet d’enquête, qui pourraient inciter une source à se dévoiler et diriger le journaliste vers une piste de plus grande importance.

Collaborer ensemble et ailleurs

La journaliste Betty Ann Adam, se rappelle du temps où le Saskatoon StarPhoenix avait une plus grande équipe. La compétition entre journalistes pour être publié en Une était plus féroce.

La petite salle de nouvelles serait, selon elle, un milieu plus propice au travail en collaboration, qui offre de nombreuses occasions de couverture valorisantes.  Tellement que la gestion du temps devient difficile : « Quand je parle avec mes jeunes collègues, ils se sentent un peu frustrés du quotidien et du fait que l’article sur lequel ils voudraient travailler, ils n’ont pas eu le temps d’y toucher pendant des jours. Ils n’ont pas le temps de rencontrer leurs sources », décrit Betty Ann Adam.

Pour pallier à ce manque de temps, une nouvelle avenue de plus en plus utilisée est de collaborer avec d’autres médias. « Cela rend les choses plus faciles, affirme Mike De Souza, et je pense que cela maintient la motivation, quand tu collabores avec des partenaires, parce que tu sens aussi l’obligation ; tu ne veux pas les laisser tomber […]. Alors c’est motivant d’avoir cet environnement. »

Au National Observer, il a récemment participé au plus grand projet de collaboration journalistique de l’histoire canadienne, The Price of Oil, avec le Toronto Star, Global News et quatre écoles de journalisme totalisant une équipe de plus de 30 étudiants et 50 journalistes.

Créer sa propre publication

Il y a une dizaine d’années, David Beers s’est trouvé à un point dans sa carrière où il se demandait « comment montrer que les médias que nous avons au Canada ne produisent pas tout le journalisme d’investigation et de solutions dont nous avons besoin ?».

La réponse qu’il a trouvée : créer le Tyee.

Le fondateur espérait voir des projets similaires surgir, mais il constate que la tendance ne suit pas comme il l’attendait, jusqu’à présent. Il croit toutefois que plus la crise s’accentuera, plus les gens se rendront compte qu’un projet comme le Tyee est possible

« C’est juste une question d’un peu d’argent et d’établir des priorités », dit-il.

Il exprime, cependant, certaines craintes quant au manque de protection légale pour les petites publications, ce que relèvent également les autres panélistes.

Piste pour le financement

Pour conclure la session, David Beers suggère quelques pistes pour renflouer les caisses, dont la création d’un fond dédié au journalisme d’investigation qui permettrait de prendre avantage de l’infrastructure et des compétences existantes. Une infime portion du budget que CBC reçoit serait suffisante, à son avis, pour que le paysage médiatique soit plus juste. Il propose aussi la création d’un crédit d’impôt pour les lecteurs qui contribuent financièrement à ces médias.

« Il existe des salles de nouvelles qui savent ce qu’elles font, qui sont prêtes à y aller. Elles ont juste besoin de voir leur budget augmenter un peu. […] C’est comme si tu avais une voiture dans ton garage toute équipée et prête à partir, mais que tu n’avais pas de pneus. C’est ridicule! », de dire David Beers.