Photo d'un équipement audio pour enregistrer des podcasts.
Des écoutes publiques sur les balados.

Dans la tête et le corps de journalistes

Le rituel s’est répété, toujours sous la même forme. Des citoyens se sont assis devant un haut-parleur. Ils ont écouté des extraits de balados portant sur les conditions de production du journalisme. Après chaque immersion sonore, ils ont commenté et questionné ce qu’ils avaient entendu, exprimé leur surprise et les découvertes qu’ils faisaient après être entrés dans la tête et le corps des journalistes. Continue Reading Dans la tête et le corps de journalistes

par Chantal Francoeur, PhD, professeure à l’École des médias de l’UQAM, ex-journaliste de Radio-Canada

Ces auditoires composés de travailleurs culturels, retraités, journalistes locaux, étudiants, bénévoles d’organisme sans but lucratif, élus municipaux, ont assimilé les exigences du quotidien des journalistes et les circonstances dans lesquelles les journalistes travaillent. Trois contextes leur était présenté : la tâche d’une journaliste oeuvrant dans un hebdo à Rivière du Loup, celle d’une responsable d’un site web d’information hyperlocale à Québec et celle d’un journaliste multiplateforme à Montréal.

Les citoyens ont ainsi suivi la journaliste Andréanne Lebel, d’InfoDimanche, et partagé sa quête continue d’information, son intimité avec le milieu, ses efforts redoublés quand l’information à livrer pourraient mettre une personne dans l’embarras. Ils ont ensuite plongé dans l’univers de la directrice de rédaction de mon.quartier.quebec, Suzie Genest, univers marqué par la convergence des rôles de gestionnaire, entrepreneure, journaliste et animatrice de réseaux sociaux. Ils ont enfin assisté à une journée de production aux heures de tombée multiples radio et télé à Radio-Canada avec Davide Gentile.

Les conditions de production des journalistes, exposés en multiples strates sonores, ont laissé les auditeurs épuisés, haletants, reconnaissants, perplexes. « Il faut penser à tout! » « Il y a beaucoup de pistes ouvertes à la fois dans la tête d’une journaliste! » ont-ils constaté. Les extraits de balados leur ont donné accès aux questionnements à voix haute des journalistes, leurs efforts pour rejoindre des sources et confirmer des informations, leurs démarches pour atteindre l’équilibre; les sons de pages de cahier déchirées, de mitraillage de claviers; les montées d’adrénaline, les frustrations; travailler pour aujourd’hui, demain et la semaine prochaine; jurer contre l’opacité du fonctionnement des médias socionumériques et de leur algorithme; s’attaquer à un reportage sur un sujet dont on ne sait rien, etc.

Les écoutes publiques ont permis de poser des questions : « Que faire avec ‘les chiens’? » a demandé un homme préoccupé par le harcèlement des journalistes et les commentaires haineux. « Comment s’assurer de bien respecter les propos de la personne interviewée? » s’est interrogée une auditrice. Les écoutes ont aussi mené des gens à affirmer leur affection pour leur journal, parce qu’« il fait ressortir le côté lumineux de la communauté ». Une autre personne a exprimé sa reconnaissance pour l’information journalistique, cruciale quand on arrive de l’extérieur et qu’on veut comprendre son milieu : « C’est un outil d’intégration. » Le papier séduit : « Tout le monde s’empare » de l’édition imprimée de l’hebdo, « tout le monde commente » son contenu.

Les écoutes publiques ont par ailleurs ouvert des discussions sur les expressions « intérêt public » et « responsabilité sociale », à définir et re-définir. Des citoyens ont insisté sur l’importance de mesurer l’impact qu’aura un reportage, différent si on travaille pour un média local ou un média national. Ils ont dit comprendre pourquoi, parfois, ils étaient déçus du journalisme après avoir mieux saisi ses forces et ses faiblesses, comment il est fait, par qui, et après avoir mieux compris leurs propres exigences et leur propre subjectivité face au journalisme et aux journalistes.

Les écoutes publiques ont eu lieu à Rivière-du-Loup, Natashquan, Saguenay et Montréal lors des Semaines de la presse et des médias. Les balados ont été produits dans le cadre d’un projet de recherche-création mené par l’auteure, intitulé « Occuper et préoccuper l’oreille citoyenne ».

(Des échanges entre citoyens et journalistes ont aussi eu lieu au Festival international de journalisme de Carleton-sur-Mer. Et le 24 mai se tenait à Toronto le colloque « Entre idéaux et pratiques : la performance des rôles journalistiques en période de transformation » réunissant des chercheurs en journalisme.)