Charles Auguste is standing on the steps of an old building, wearing a straw hat and reading from a large piece of paper

Des médias « à l’échelle humaine » pour combler le fossé numérique

Le 30 décembre dernier, les journaux des Coops de l’information ont imprimé leur dernière édition papier. Désormais, pour les six quotidiens, comme Le Soleil de Québec, c’est sur Internet que ça se passe. Pour les 700 000 Québécois qui n’ont cependant pas accès à Internet, dont près de 40 pour cent sont des aînés, une porte qui se…

Le 30 décembre dernier, les journaux des Coops de l’information ont imprimé leur dernière édition papier. Désormais, pour les six quotidiens, comme Le Soleil de Québec, c’est sur Internet que ça se passe. Pour les 700 000 Québécois qui n’ont cependant pas accès à Internet, dont près de 40 pour cent sont des aînés, une porte qui se ferme progressivement depuis 25 ans s’est fermée un peu plus.

Cela touche surtout les 2,5 millions de Québécois qui peinent à comprendre des textes écrits complexes – près de 30 pour cent de la population. Entre l’effritement des médias imprimés, l’inaccessibilité du web et la rapidité de la radio et de la télé (un défi supplémentaire pour des personnes ayant des difficultés cognitives), bon nombre de personnes se trouvent dans un vide médiatique.

Dans les quartiers historiquement défavorisés de la Basse-Ville de Québec, des organismes citoyens font preuve d’ingéniosité pour permettre aux citoyens ayant des lacunes en alphabétisation de se tenir informés.

« Beaucoup de gens sortent du secondaire avec des faiblesses en lecture, » relate Marie-Claude Pellerin, animatrice en alphabétisation chez Atout-Lire, dans le quartier Saint-Sauveur, depuis 14 ans. « Le stress créé par l’intimidation ou la pauvreté peut nuire à l’apprentissage. Pensons aussi aux gens qui ont des incapacités cognitives… ou qui n’ont pas le français comme langue maternelle. Des gens avec des difficultés de lecture ont le droit de s’informer, d’avoir des opinions et de participer à la société. »

Les participants dans ses ateliers veulent s’informer, mais se perdent souvent entre les textes denses, les codes du web et les codes du journalisme écrit. « Même une personne éduquée ne peut pas toujours distinguer un éditorial, une chronique, un texte d’opinion et un texte factuel, alors imagine si tu as des difficultés en lecture », explique Mme Pellerin.

En plus d’offrir des formations en alphabétisation et en informatique aux adultes, Atout-Lire offre depuis peu des formations en écriture simplifiée [voir encadré] aux agences gouvernementales. Dans le quartier voisin de Saint-Sauveur, l’organisme L’Engrenage a érigé un babillard et embauché un chanteur professionnel et expert en communication nonviolente, Charles-Auguste Lehoux, comme crieur public – une forme de communication qui date de l’époque médiévale.  « J’avoue que c’est très, très vintage, » sourit-il. 

L’Engrenage a pour but de rendre l’information locale accessible pour des personnes qui ne possèdent pas les appareils nécessaires pour se connecter à Internet ou encore qui vivent avec un manque d’habiletés en lecture ou en informatique, explique sa coordonnatrice Marie-Noëlle Béland. Pour cela, il faut « mettre une diversité de stratégies en place, » d’où le babillard et le crieur public.

Charles-Auguste Lehoux n’est « vraiment pas » un passionné de l’actualité et ne considère pas que son travail est journalistique. Il rédige ses bulletins avec une intervenante de l’Engrenage, qui s’occupe également du babillard. Cette personne fait également le tri des informations soumises par des organismes communautaires. Le crieur public fait ainsi office de média hyperlocal ambulant. « Mon travail n’est pas de dire : “On a un nouveau ministre.” C’est de dire : “On a un nouveau programme de dépannage alimentaire,” dit-il. Ce n’est pas le genre d’info qu’on trouve dans les médias traditionnels, parce que c’est trop local. »

Cet été, dans le cadre d’un projet-pilote, il a présenté deux bulletins par semaine l’après-midi sur le parvis de l’église Saint-Roch, à quelques pas de l’endroit où, au siècle dernier, les gens venaient lire Le Soleil fraichement sorti des presses : « Il n’y avait pas grand monde qui se déplaçait pour écouter les infos, raconte-t-il. C’était plutôt des gens qui passaient par hasard. Je pense que le babillard a joué un rôle beaucoup plus important dans la façon de s’informer des gens. C’est vraiment un média à l’échelle humaine. »

Désormais, il « criera » surtout lors d’évènements spéciaux. Le babillard restera en place à la Place Jacques-Cartier, près de la bibliothèque Gabrielle-Roy.

Les trois intervenants hésitent à faire un lien direct entre le déclin des médias imprimés modernes et le recours à ces méthodes pour le moins anciennes. « Est-ce que les personnes qui lisent le babillard lisaient des médias écrits? On ne le sait pas. C’est impossible pour une forme de média de rejoindre tout le monde, mais ça prend des médias populaires, physiques, communautaires, accessibles, » fait valoir Marie-Noëlle Béland.

ENCADRÉ

Quelques conseils pour rendre un texte journalistique plus accessible

  • Privilégier:
    • les phrases courtes
    • une idée par phrase
    • les paragraphes courts
    • les structures simples (sujet-verbe-complément)
    • l’ordre chronologique
    • les phrases affirmatives (« X rappelle Y », plutôt que « X n’est pas sans rappeler Y »)
    • les polices relativement grandes
    • le langage concret plutôt que le langage imagé
  • Distinguer clairement les différents types de textes (nouvelles, analyse, chronique, éditorial, publireportage, etc.)
  • Placer les informations les plus importantes de sorte que les lecteurs les voient en premier (le bon vieux lead)
  • Éviter les mots à plusieurs sens (comme « ménage », par exemple, qui signifie à la fois « nettoyage » et « foyer »)
  • Éviter des sauts de ligne qui brisent des mots, des expressions ou encore des nombres et des dates

(Adapté d’un document d’Atout-Lire)

Ruby Irene Pratka is a Montreal-based freelance writer, researcher and editor. Her work has been published in English and French in Vice Québec, Ricochet, Daily Xtra, Shareable and Canadaland, among other websites and magazines. She covers a wide range of topics but focuses on diversity and language policy. Originally from the U.S., she has been living the expat life since 2006. She has lived in eight countries and four provinces, but keeps coming back to the delights of Québec.