Intox de Michel Lemay et La collision des récits de Philippe de Grosbois. Deux points de vue de l’extérieur du métier sur la responsabilité des journalistes dans la désinformation
Intox de Michel Lemay et La collision des récits de Philippe de Grosbois. Deux points de vue de l’extérieur du métier sur la responsabilité des journalistes dans la désinformation

Intox de Michel Lemay et La collision des récits de Philippe de Grosbois : deux points de vue sur la responsabilité des journalistes dans la désinformation

Un texte de Philippe Lapointe Avec les médias sociaux, les Fake News se sont multipliées, la désinformation s’est répandue. Ainsi, conclut-on, la baisse de confiance du public envers les journalistes serait la faute des médias sociaux et leur manipulation par les puissances politiques et financières qui ont appris à les utiliser. Et si ce n’était…

Un texte de Philippe Lapointe

Avec les médias sociaux, les Fake News se sont multipliées, la désinformation s’est répandue. Ainsi, conclut-on, la baisse de confiance du public envers les journalistes serait la faute des médias sociaux et leur manipulation par les puissances politiques et financières qui ont appris à les utiliser. Et si ce n’était pas si simple? Et si les journalistes eux-mêmes avaient une part de responsabilité?

Ce sont les questions que posent deux analystes des médias à partir de points de vue de « non-journalistes », de réflexions d’en dehors de la « bulle journalistique », le sociologue Philippe de Grosbois dans La collision des récits, le journalisme face à la désinformation, et le professionnel des relations publiques Michel Lemay, dans Intox, journalisme d’enquête, désinformation et cover-up.

INTOX

Avec Intox, Michel Lemay pose la question suivante : l’industrie de l’information mérite-elle la confiance du public? Pour le savoir, il analyse en détail la couverture fautive de quelques événements choisis par lui, qu’il documente de manière extrêmement soignée, comme par exemple la série de reportages du Toronto Star sur le vaccin Gardasil, « un véritable cadeau au mouvement anti-vaccin », ou les reportages de TVA Nouvelles sur une mosquée de Montréal qui aurait voulu empêcher la présence de femmes sur un chantier à proximité.

Est-ce que ces exemples, et d’autres qu’il qualifie de « véritables fiascos journalistiques », discréditent la pratique du journalisme actuel dans son ensemble? Michel Lemay reconnaît d’emblée que les journalistes n’ont pas la vie facile, et que ce serait injuste de réclamer la perfection. Reste que selon lui, ce genre d’erreur, et le processus qui les a rendues possibles, minent sérieusement la confiance du public envers les médias d’information.

Très rapides à dénoncer les travers éthiques chez les autres, les médias sont réticents à reconnaître leurs propres torts. Quand ils le font, ce qui n’est pas toujours le cas, c’est du bout des lèvres, tardivement, en essayant de toutes les manières possibles de diluer l’affaire ou de s’arranger pour qu’elle passe inaperçue.

Les journalistes se comportent comme une corporation, resserrent les rangs dès qu’un des leurs se voit reprocher une erreur professionnelle. Il existe bien un « tribunal d’honneur » extérieur, le Conseil de presse du Québec, mais celui-ci n’a aucun pouvoir et très peu d’influence. Pire, bien qu’il soit tripartite – le public, les organes de presse et les journalistes – le Conseil de presse est dans les faits contrôlé par l’industrie de l’information. « Les médias et les journalistes font les règles » dit-il. « Sans moyens et sans indépendance », conclut-il, le Conseil de presse ne peut pas faire grand-chose.

Compte tenu de l’enjeu essentiel de la désinformation, il est dommage que Michel Lemay soit passé à côté de l’éléphant dans la pièce, les médias sociaux. À cet égard, il nous ramène quand même à l’ordre en ajoutant la réflexion suivante : « C’est un peu court de blâmer les médias sociaux pour toute la désinformation qui circule. Les médias ont aussi une part de responsabilité, comme ils ont aussi une part de responsabilité dans la baisse de confiance du public envers les journalistes ». Avec Intox, il convie les journalistes et les entreprises de presse à une sérieuse introspection, pour faire en sorte que la pratique du métier corresponde aux normes éthiques les plus élevées, pour arriver à regagner la confiance du public.

La collision des récits

 

À la fois analyse sociologique et pamphlet contre le néo-libéralisme, La collision des récits de Philippe de Grosbois part du principe que les tares des réseaux sociaux étaient déjà présentes dans les médias traditionnels. Il s’appuie sur cette prémisse pour remettre en question les principes mêmes du métier de journaliste tel qu’on le pratique aujourd’hui. À ses yeux, les principes au cœur des codes d’éthique du journalisme sont dépassés.

Le concept même de vérité serait ainsi une construction et non une réalité, les journalistes faisant partie « du groupe de plus en plus restreint de gens qui croient avec acharnement qu’une présentation strictement factuelle de la réalité sociale et politique est possible ». Il va jusqu’à dire que les faits, même indiscutables, sont « une croyance ». Le point de vue de celui qui raconte altère la vérité et de toute manière, toute pratique journalistique est mise en scène.

Philippe de Grosbois décrit ainsi la pratique actuelle du journalisme comme dépassée, adoptant plutôt le concept à la mode, mais un peu flou, de « post-vérité. » Il dénonce le néo-libéralisme, cite plusieurs auteurs, penseurs et universitaires, dont Noam Chomsky, comme si leur parole était d’évangile. Pour de Grosbois, les journalistes adhèrent aux normes établies par le pouvoir, ce qui leur permet « d’éviter d’interroger leur propre position dans la structure sociale ».

Intox de Michel Lemay fait mal, parce qu’il frappe dans le mille avec ses exemples percutants qui provoquent la réflexion. En contraste, La collision des récits, de Philippe de Grosbois, part d’une posture plus théorique, moins collé au monde réel et bien loin des enjeux concrets et de la pratique du métier de journaliste au 21e siècle.