Depuis l’invasion russe en Ukraine, plus d’1,5 million d’Ukrainiens ont trouvé refuge en Pologne. Pour continuer à les tenir informés d’une guerre qui perdure, plusieurs médias polonais ont décidé d’adapter leur contenu en langue ukrainienne. Un reportage de Romain Chauvet de Projet J en Pologne.
Depuis l’invasion russe en Ukraine, plus d’1,5 million d’Ukrainiens ont trouvé refuge en Pologne. Pour continuer à les tenir informés d’une guerre qui perdure, plusieurs médias polonais ont décidé d’adapter leur contenu en langue ukrainienne.

Guerre en Ukraine : des médias polonais s’adaptent pour informer les réfugiés ukrainiens

par Romain Chauvet Depuis l’invasion russe en Ukraine, plus d’1,5 million d’Ukrainiens ont trouvé refuge en Pologne. Pour continuer à les tenir informés d’une guerre qui perdure, plusieurs médias polonais ont décidé d’adapter leur contenu en langue ukrainienne. ________________________________________________ « Tout le monde est sur un front dans cette guerre. Il y a les militaires,…

par Romain Chauvet

Depuis l’invasion russe en Ukraine, plus d’1,5 million d’Ukrainiens ont trouvé refuge en Pologne. Pour continuer à les tenir informés d’une guerre qui perdure, plusieurs médias polonais ont décidé d’adapter leur contenu en langue ukrainienne.

________________________________________________

« Tout le monde est sur un front dans cette guerre. Il y a les militaires, les volontaires et puis notre front, celui de l’information », dit d’entrée de jeu Iryna Hirnyk. L’éditrice et traductrice est journaliste au sein de l’agence de presse polonaise, Polska Agencja Prasowa (PAP), basée à Varsovie, en Pologne.

Alors que cette Ukrainienne d’origine était en train de finir une maîtrise en journalisme en Pologne et que la Russie venait tout juste d’envahir l’Ukraine, la PAP l’a contactée pour un nouveau projet : créer un portail en ukrainien sur son site internet. « Cette occasion est arrivée dans un moment tellement difficile, j’ai toujours des émotions partagées quand j’y repense. Je fais ce que j’aime, mais tout a commencé avec la guerre », dit-elle un brin émue.

Chaque jour, des dizaines d’articles sont publiés en ukrainien : des nouvelles sur l’avancée de la guerre, sur des ressources offertes aux réfugiés en Pologne, mais aussi sur des occupations banales du quotidien, comme des activités à faire avec les enfants. Les textes peuvent être des traduction d’articles polonais de l’agence de presse ou des contenus originaux en ukrainien, spécialement conçus pour les réfugiés.

« Il y a tellement de choses qui se passent. Parfois, les journées sont calmes. Mais d’autres jours on a beaucoup de travail, surtout s’il y a des bombardements russes », explique Iryna Hirnyk, qui ajoute que les médias ukrainiens ne proposent pas aussi rapidement qu’eux ce genre de nouvelles. Trois personnes, toutes ukrainiennes d’origine, travaillent à temps complet pour cette section de l’agence de presse.

Depuis le début de la guerre, Iryna Hirnyk s’est déjà rendue à plusieurs reprises dans son pays d’origine pour une série de reportages. Même si elle reconnaît que ce travail de journaliste est essentiel, tant sur le terrain qu’au bureau, l’impact psychologique n’en reste pas moins difficile : « Nous sommes habitués à cette situation maintenant, mais parfois c’est dur quand vous faites ce genre de nouvelles chaque jour. C’est difficile, mais il faut un peu cloisonner son esprit, parce que c’est notre travail », dit-elle en riant nerveusement.

D’autres initiatives 

Depuis l’invasion russe en Ukraine, la Pologne est devenue une terre d’accueil privilégiée pour les Ukrainiens, faisant de ce pays le premier pays d’Europe pour le nombre de réfugiés ukrainiens, selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Les liens ont toujours été très importants entre ces deux pays, même si beaucoup de Polonais connaissent peu la culture ukrainienne, selon Vira Baldyniuk, éditrice de la section ukrainienne du magazine culturel polonais Dwutygodnik

C’est pour entre autres remédier à ces lacunes que ce magazine a lui aussi lancé, quelques jours après le début de la guerre, une section avec du contenu en langue ukrainienne. Depuis Cracovie, Vira Baldyniuk explique, à la blague, couvrir la culture de son pays d’origine, ou du moins ce qu’il en reste : « Nous essayons de trouver une façon d’exprimer les choses qui nous touchent. C’est comme une façon de partager notre douleur ». Pour cela, le magazine travaille avec des collaborateurs un peu partout en Europe, mais surtout en Ukraine, ce qui n’est pas toujours facile.

« Nous avons beaucoup de collaborateurs qui couvrent les arts en dehors de l’Ukraine, là où se font maintenant les expositions. Mais pour ceux qui sont toujours là-bas, c’est difficile. Ils ne peuvent parfois pas travailler, car ils n’ont pas d’électricité pendant des heures. En tant qu’éditrice, c’est parfois un défi, mais on essaye de s’adapter. »

Raconter que la culture ukrainienne survit malgré la guerre est aussi devenu un symbole de résistance. « C’est important d’informer, dit-elle, mais aussi de montrer les menaces et ce que nous perdons tous les jours. Pas seulement les hommes et nos droits, mais aussi tout ce qui se passe dans notre pays. Le potentiel de notre culture est énorme, malgré les défis. »

Le droit à l’information 

De nombreux médias polonais ont adopté de telles initiatives au cours des derniers mois pour tenter de continuer d’informer du mieux qu’ils le peuvent les Ukrainiens en exil. Même si Reporters sans frontières (RSF) salue ce genre d’initiatives qui « contribue à garantir le droit à l’information des Ukrainiens », on émet cependant quelques réserves. 

Responsable du bureau Union Européenne/Balkans, à RSF, Pavol Szalai rappelle par exemple que la Pologne occupe le 66e rang sur 180 dans le dernier classement concernant la liberté de la presse et que de nombreux médias polonais sont devenus des instruments de propagande. « Alors que les valeurs européennes, y compris la liberté de la presse, sont attaquées par Poutine en Ukraine, tous les pays européens ont l’obligation de les chérir chez eux », explique-t-il, ajoutant que la Pologne pourrait, en renforçant la liberté de la presse dans son pays, soutenir encore « plus fort et efficacement » l’Ukraine. 

La liberté de la presse est encore plus difficile sur le front en Ukraine, où les journalistes sont devenus une cible pour l’armée russe, et en Russie, où ils risquent la prison, constate RSF, qui a depuis le début de la guerre fourni de nombreux équipements de protection à des journalistes se rendant en Ukraine, tout en soutenant ceux qui ont été forcés à l’exil.