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Ingérence ou bonnes pratiques journalistiques au sein de l’empire médiatique Brunswick News?

Radio-Canada Acadie a appris que la haute direction de Brunswick News, l'empire médiatique néo-brunswickois de James K. Irving, modifie sa politique de révision du travail de ses journalistes. Ainsi, tous les articles traitant des enjeux linguistiques du Nouveau-Brunswick devront être vérifiés par le rédacteur en chef de l'entreprise, une mesure que la communauté journalistique francophone…

Radio-Canada Acadie a appris que la haute direction de Brunswick News, l'empire médiatique néo-brunswickois de James K. Irving, modifie sa politique de révision du travail de ses journalistes. Ainsi, tous les articles traitant des enjeux linguistiques du Nouveau-Brunswick devront être vérifiés par le rédacteur en chef de l'entreprise, une mesure que la communauté journalistique francophone compte surveiller de près.

Par Justin Dupuis

Radio-Canada Acadie a appris que la haute direction de Brunswick News, l'empire médiatique néo-brunswickois de James K. Irving, modifie sa politique de révision du travail de ses journalistes. Ainsi, tous les articles traitant des enjeux linguistiques du Nouveau-Brunswick devront être vérifiés par le rédacteur en chef de l'entreprise, une mesure que la communauté journalistique francophone compte surveiller de près.

 

Alors que le processus de révision de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick bat son plein, les remises en question du bilinguisme officiel de la province se font de plus en plus nombreuses.

 

En quelques semaines, un député du gouvernement en place, le chef d'un tiers parti et le chancelier de l'Université du Nouveau-Brunswick se sont tous publiquement prononcés contre la dualité linguistique en santé ou en éducation. La Anglo-Society, un groupuscule qui rejette le bilinguisme, milite pour une révocation de la Loi sur les langues officielles. Conscients que leur position demeure marginale, ils demandent au gouvernement de maintenir le statu quo concernant cette loi.

 

Plusieurs ténors de la société acadienne considèrent que l'ensemble des quotidiens anglophones de la province, détenus par Brunswick News, agit comme courroie de transmission de cette remise en question d'un contrat social qui date des années 1970.

 

Lundi, une centaine d'Acadiens influents signaient donc une lettre ouverte dans le seul quotidien francophone indépendant de la province, l'Acadie Nouvelle, en faveur du bilinguisme. Ils y dénonçaient aussi la ligne éditoriale de Brunswick News en matière de bilinguisme. Les prises de position des journaux Irving, ont-ils écrit, s'appuient sur une interprétation erronée des faits, une réalité qui crée «des divisions inutiles et des tensions accrues entre les collectivités.»

 

Les journaux Irving mettront finalement quatre jours à faire paraître la lettre en question, une mesure, ont-ils expliqué, visant à s'assurer que l'ensemble des signataires avaient bel et bien donné leur appui au document.

 

Pour répondre aux critiques formulées dans la lettre, l'empire médiatique annonce à ses employés une nouvelle politique de révision des textes. Hier, Radio-Canada Acadie (http://www.radio-canada.ca/regions/atlantique/2012/11/08/005-brunswick-news-verification-articles.shtml) rapportait que l'ensemble des articles portant sur les dossiers linguistiques néo-brunswickois serait dorénavant révisé par un membre de la haute direction de l'entreprise, soit John Wishart, rédacteur en chef de Brunswick News.

 

Dans le cadre d'un reportage diffusé à Radio-Canada Acadie, une des signataires de la lettre en faveur du bilinguisme, Jeanne-D'Arc Gaudet, a dit craindre que la mesure puisse exercer un contrôle sur le débat et la couverture médiatique entourant le bilinguisme au Nouveau-Brunswick, un dossier qui dérange.

 

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Brunswick News voit toutefois les choses autrement. Joint par téléphone hier après-midi, John Wishart explique que la controverse qu'a suscitée la couverture des dossiers entourant les langues officielles incite son employeur à redoubler d'efforts afin que les valeurs journalistiques qu'elle juge prioritaires demeurent.

 

«Suite à certaines des critiques formulées dans la lettre, que nous avons publiée ce matin (jeudi), nous voulons nous assurer que nous respectons notre code déontologique, que nos textes soient équitables et objectifs», dit le rédacteur en chef de Brunswick.

 

Il nie d’ailleurs que cette nouvelle approbation des textes puisse représenter une forme d'ingérence dans le travail journalistique puisqu’elle ne fait que s’ajouter aux nombreuses vérifications qu’effectuent quotidiennement les pupitreurs de l’entreprise. L'Association acadienne des journalistes (AAJ) compte tout de même demeurer à l'affût.

 

«Il est normal qu'un média fasse réviser le travail de ses journalistes par un cadre de la salle de rédaction avant la publication ou la diffusion. Par contre, cela ne doit jamais empêcher les journalistes de travailler en toute liberté et dans les règles de l'art, dit le secrétaire de l'AAJ, Mathieu Roy-Comeau. L'Association n'a pas de raison de croire que ses membres ne peuvent pas travailler librement, selon leur conscience, peu importe l'enjeu. Leurs textes ne sont pas bloqués ou modifiés, mais nous avons l'intention de demeurer vigilants afin que cela reste ainsi.»

 

Brian Myles, président de la Fédération professionnel des journalistes du Québec (FPJQ), considère lui aussi que cette vigilance s'impose, particulièrement dans une province où une seule entreprise détient l'ensemble des journaux à l'exception du quotidien l'Acadie Nouvelle et de l'hebdomadaire Le Moniteur Acadien.

 

«Un conglomérat ne peut pas à la fois tout posséder dans le paysage médiatique d'une province et aussi vouloir tout contrôler. Ma crainte c'est que cette procédure ait un effet négatif sur la diversité des points de vus. Malgré la concentration de la presse, il faut préserver l'autonomie des médias et des salles de rédaction», précise M. Myles. 

 

C'est également la crainte de François Giroux, responsable du programme d'information-communication à l'Université de Moncton. «Le débat entourant le bilinguisme remet donc à l'avant-plan la problématique de la concentration de la presse néo-brunswickoise. Ultimement, vous mettez entre les mains d'une seule personne toute la couverture sur les langues officielles et l'égalité des communautés linguistiques», précise le professeur.

 

L'explication de Brunswick News voulant que la mesure vise à assurer une plus grande objectivité  de ses journaux laisse également Brian Myles songeur.«Tout ça se défend, mais si les pupitreurs ont bien fait leur travail, ces vérifications, à quoi servent-elles?, demande le président de la FPJQ. Est-ce un désaveu du travail des pupitreurs et de leur jugement? De ce point de vue, ce n'est pas convaincant. En quelque part, c'est une forme de désaveu des chefs de pupitre qui devraient pouvoir faire ce travail et de celui des journalistes en quelque part.»

 

Justin Dupuis est journaliste pigiste à Montréal et siège au comité directeur de l'Association acadienne des journalistes à titre de conseiller spécial.