L’Iran est désormais la troisième plus grande prison du monde pour les journalistes, et la première pour les femmes, selon Reporters sans frontières (RSF). La répression et la censure ont atteint un niveau inégalé depuis le début des manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs pour « non-respect du code vestimentaire ». Un texte de Pascaline David pour Projet J
L’Iran est désormais la troisième plus grande prison du monde pour les journalistes, et la première pour les femmes, selon Reporters sans frontières (RSF). La répression et la censure ont atteint un niveau inégalé depuis le début des manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs pour « non-respect du code vestimentaire ».

Iran : la liberté de presse attaquée de toutes parts

L’Iran est désormais la troisième plus grande prison du monde pour les journalistes, et la première pour les femmes, selon Reporters sans frontières (RSF). La répression et la censure ont atteint un niveau inégalé depuis le début des manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs pour « non-respect…

L’Iran est désormais la troisième plus grande prison du monde pour les journalistes, et la première pour les femmes, selon Reporters sans frontières (RSF). La répression et la censure ont atteint un niveau inégalé depuis le début des manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs pour « non-respect du code vestimentaire ».

par Pascaline David

Sur 180 pays, l’Iran est au 178e rang au classement mondial de la liberté de la presse de RSF. Alors que 14 journalistes étaient détenus au début des manifestations, 32 de plus ont été arrêtés en quelques semaines. Des chiffres éloquents, et sans précédent. « Ces arrestations n’ont pas lieu dans une zone spécifique, mais partout, explique Pauline Ades-Mevel, porte-parole de RSF. On parle d’une quinzaine de villes, de la plus petite jusqu’à Téhéran. Ils ne sont en sécurité nulle part. »

Près de la moitié des journalistes incarcérées sont des femmes, dont Nilufar Hamedi et Elahe Mohammadi, qui risquent désormais la peine de mort. Elles étaient les premières à avoir couvert le meurtre de Mahsa Amini. Le ministère du Renseignement et l’Organisation du renseignement du Corps des gardiens de la révolution islamique ont accusé les deux journalistes d’avoir été formées par la CIA. C’est un argument classique du régime du Guide suprême Ali Khamenei, qui accuse régulièrement la presse indépendante d’être manipulée par des forces étrangères.

Pour tenter de réduire les médias au silence, le régime procède aussi à de nombreuses perquisitions sans mandat et à des saisies de matériel. La Fédération internationale des journalistes (FIJ) a dénoncé fermement ce ciblage délibéré, lors des derniers mois. Plus de 300 journalistes et photojournalistes iranien.ne.s ont d’ailleurs courageusement signé un communiqué critiquant la censure et la violence de la répression.

Censure assumée

La république islamique d’Iran, qui n’a de république que le nom, assume entièrement sa stratégie visant à museler les médias locaux et internationaux. « Nous avertissons ceux qui dirigent ces systèmes de diffusion d’informations et de mensonges pour semer le chaos dans notre pays de cesser leur comportement. Vous nous avez déjà nargués, faites attention : nous sommes à vos trousses », a déclaré le commandant du Corps des Gardiens de la révolution islamique, Hossein Salami, 10 octobre.

Pour faire barrage à l’information, le régime a drastiquement restreint l’accès aux réseaux sociaux et a procédé à des coupures arbitraires du réseau Internet. L’observatoire Cloudflare Radar recense les nombreuses perturbations du réseau en Iran, liées à des décisions gouvernementales. Les autorités ciblent aussi les réseaux privés virtuels (VPN), des réseaux qui chiffrent le trafic des usagers pour protéger leurs données et leur anonymat.

« Le régime a recours à ces tactiques fréquemment lors des mouvements populaires, mais là ç’a pris une autre ampleur », affirme Pauline Ades-Mevel. Devant ce constat, RSF a créé un nouveau service d’assistance pour les médias iraniens. L’organisation met des VPN à disposition des journalistes et créé des copies des sites d’information (des sites miroirs), par l’entremise de son projet Collateral Freedom.

Une plainte a également été formulée à l’Organisation des nations unies (ONU) en interpellant neuf mécanismes de protection établis par le Conseil des droits de l’homme. « Il faut que l’ONU exige des autorités iraniennes des mesures concrètes pour que les journalistes puissent exercer leurs droits, ajoute Pauline Ades-Mevel. L’intérêt du public et des institutions internationales ne doit pas faiblir. »

La goutte d’eau

La mort de Mahsa Amini est la goutte d’eau qui fait déborder le vase de la répression. « La République islamique d’Iran se sert du hidjab pour abuser des gens. Quand on aura enfin déchiré ce voile, ça sera la fin de ce régime », s’exclame la militante Masih Alinejad dans un documentaire qui retrace son parcours. Exilée aux États-Unis, elle a créé la campagne My Stealthy Freedom (« Ma liberté furtive », en français), qui incite les femmes à se photographier sans voile, en 2014. Trois ans plus tard, elle lance les White Wednesdays, invitant les Iraniennes à sortir en public tous les mercredis avec un foulard blanc.

« Les iraniennes se mobilisent pour les libertés fondamentales depuis 43 ans, c’est-à-dire depuis la naissance de la république islamique », explique Hanieh Ziaei, politologue et membre de la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « Depuis longtemps, les femmes sont considérées comme des citoyennes de seconde zone. » Les émeutes qui embrasent actuellement le pays s’inscrivent ainsi en continuité avec les revendications passées, selon la politologue.

« Là où il y a une rupture, c’est que la population est unie pour demander la fin du système islamique de manière directe et très claire », poursuit Hanieh Ziaei. L’universalité des contestations qui durent, combinée à la solidarité internationale et à la visibilité permise par les réseaux sociaux sont tout autant de facteurs qui confèrent au mouvement une ampleur inégalée, malgré la répression. Jusqu’ici, au moins 326 personnes ont été tuées, dont une quarantaine d’enfants, selon le dernier bilan établi par l’ONG Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo. Plus de 2 000 personnes ont été inculpées, dont la moitié à Téhéran, depuis deux mois, selon les chiffres fournis par la justice iranienne.

Cette mobilisation, si elle dure, affaiblit la légitimité du gouvernement iranien, qui pourrait recourir à la négociation pour regagner en contrôle. « Les journalistes arrêtés sont des prisonniers politiques, et peuvent devenir des monnaies d’échange, analyse-t-elle. Pour les iraniens et iraniennes, c’est autre chose. Ils sont plus souvent considérés comme des espions. » Hanieh Ziaei précise que le régime demeure fort et a les moyens de ses ambitions. L’usage de la coercition et de la violence est constamment justifié au nom de la sécurité nationale.

« Quand je parle avec des jeunes iraniens, ils me disent qu’ils n’ont plus rien à perdre et sortent manifester au péril de leur vie, révèle la politologue. Il existe une conscience des enjeux qui démontre une maturité collective et sociale, et cela est une révolution en soi. » Entre espoir et inquiétude, la jeunesse et les femmes continuent à braver la peur pour défendre leurs libertés fondamentales.

En chiffres

Au moins 1 000 journalistes et journalistes-citoyens ont été arrêtés, détenus, assassinés, portés disparus ou exécutés par le régime iranien depuis 1979.