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«La région offre de meilleures opportunités aux débutants»

La pige en région, c'est possible. Tous les mois, le bulletin d'information de l'Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) en fait la démonstration en brossant le portrait d'un journaliste pigiste installé loin des grands centres. Ce mois-ci Sophie Mangado s'est entretenue avec Yves Ouellet, un reporter spécialisé en tourisme et en plein-air basé à…

La pige en région, c'est possible. Tous les mois, le bulletin d'information de l'Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) en fait la démonstration en brossant le portrait d'un journaliste pigiste installé loin des grands centres. Ce mois-ci Sophie Mangado s'est entretenue avec Yves Ouellet, un reporter spécialisé en tourisme et en plein-air basé à Chicoutimi depuis 35 ans. Pour lui, loin d'être une voie de garage, «la région offre de meilleures opportunités aux débutants».

Par Sophie Mangado pour le bulletin L'Indépendant de l'AJIQ

Il y a bien sûr les charmes de la nature, les journées de travail qui laissent place à la randonnée en kayak sur le fjord saguenéen sans passer par la case métro ou trafic. Indéniables avantages de la région. Mais il y a surtout chez Yves Ouellet un engouement pour son métier de journaliste indépendant qui, après 35 ans, fleure bon la fougue et l'optimisme. Entrevue avec un pigiste comblé, parce qu'insatiable!

Où travaillez-vous, et depuis combien de temps?

Je me suis installé à Chicoutimi en 1974. J'arrivais de Montréal pour étudier au CEGEP de Jonquière en Art et technologie des médias. Mon bonheur d'être resté dans la région n'a pas cessé d'être exponentiel!

Quel a été votre parcours de journaliste?

J'ai commencé à la première station de radio FM de la région. J'ai ensuite travaillé une douzaine d'années comme journaliste culturel contractuel à la radio de Radio Canada, tout en étant pigiste pour des médias locaux. Puis, Radio Canada a pris un tournant qui m'a poussé davantage vers la pige et à passer de la culture au tourisme et au plein-air. J'ai alors développé un réseau de clients, notamment avec Gesca (Le Soleil, Le Quotidien, Le Progrès-Dimanche), Géo Plein Air, La Presse, le tout en continuant la pige pour Radio Canada. J'ai poursuivi avec ces mêmes clients, au fil des années d'autres se sont ajoutés. Aujourd'hui je suis aussi rédacteur en chef de Motoneige-Québec, et je m'occupe de Quoi Faire, un journal régional que j'ai fondé et qui est distribué gratuitement au Saguenay. Je touche également à la rédaction corporative.

Une carrière bien remplie, d'autant plus que vous avez aussi publié quelque 25 livres!

J'ai toujours fait 50 choses à la fois. Écriture, photographie, enseignement dans des communautés autochtones, guide sur des bateaux de croisière… Cette diversité s'est articulée autour du journalisme, qui reste le fil conducteur. Elle m'a permis de ne jamais m'ennuyer, et de garder cette liberté que l'on cherche absolument lorsque l'on est pigiste: celle de travailler comme un fou… ou pas du tout!

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Comment se passe la collaboration avec vos clients?

Jamais sur commande. J'élabore mes sujets et les vends par la suite. J'ai progressivement tissé un bon réseau à travers le monde. Je pars six à sept mois et produis une centaine d'articles par an. J'ai appris à exploiter chaque voyage pour en tirer plusieurs sujets. La force du pigiste réside dans l'étendue de son opportunisme: il faut faire preuve d'imagination, sans quoi la famine nous guette!

Quel regard portez-vous sur l'évolution de la pige et sa réalité actuelle?

Je me suis beaucoup battu, mais j'ai toujours réussi à bien vivre de la pige, qui était chez moi une vocation. Probablement parce que j'ai investi très vite un créneau particulier, mais aussi parce que, jusqu'à récemment, il y avait peu, voire pas, de concurrence en région. Aujourd'hui, la plupart des pigistes le sont par la force des choses. Ici, les journalistes qui perdent leur emploi sont contraints de se tourner vers la rédaction corporative, les relations publiques ou l'enseignement.

Quand j'ai commencé, les journalistes étaient en région parce qu'ils n'avaient pas le talent pour percer à Montréal: c'est ainsi que c'était perçu! Aujourd'hui, la région offre de meilleures opportunités aux débutants. Les possibilités de publication sont certes plus restreintes, mais elles existent. Il faut rester à l'affût de la nouveauté à découvrir, chercher l'aventure, et maintenir la capacité fondamentale d'émerveillement et de curiosité. C'est ce qui compense les difficultés inhérentes à la pige. Le mépris des médias pour lesquels on travaille, les conditions déplorables, la rémunération dérisoire, l'absence totale de pouvoir de négociation… On ne s'habitue jamais à tout ça, il faut donc avoir des contreparties.

Être en région fait quelle différence pour vous?

Aucune! Je suis rédacteur en chef d'un magazine installé à Montréal (Motoneige-Québec, ndlr), et je ne suis pas allé au bureau depuis trois ans! Je corrige mes épreuves à Dubaï ou sur n'importe quelle plage du bout du monde. Je travaille avec des gens du monde entier qui se fichent de savoir où je suis basé. Je suis chez moi partout dans le monde.