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Lac-Mégantic: communication de crise 101

Tester des plans de communication de crise jamais mis en branle auparavant. Ou mettre à profit son expertise dans un contexte auquel on n’a jamais fait face. C’est ce qui s'est passé pour les relationnistes qui ont œuvré aux communications à Lac-Mégantic. Projet J  a rencontré quelques-uns de ces relationnistes. Ils livrent leur témoignage, presque…

Tester des plans de communication de crise jamais mis en branle auparavant. Ou mettre à profit son expertise dans un contexte auquel on n’a jamais fait face. C’est ce qui s'est passé pour les relationnistes qui ont œuvré aux communications à Lac-Mégantic. Projet J  a rencontré quelques-uns de ces relationnistes. Ils livrent leur témoignage, presque deux mois après l’un des drames humains les plus importants de l’histoire du Québec, alors qu’un train chargé de pétrole explosa en plein centre-ville de Lac-Mégantic. Voici le premier épisode. Deux autres suivront ces prochains jours.

Ce texte est le premier d'une série de trois. Dans les deux prochains épisodes, les relationnistes évoquent la relation qui s'est instaurée avec les journalistes ainsi que les leçons qu'ils tirent de cette expérience.

par Chantal Francoeur, professeure à l’école des médias de l’UQAM et membre du comité éditorial de ProjetJ

Les relationnistes de Lac-Mégantic n’en reviennent pas. Même s’ils n’y sont plus physiquement, ils n’en sont pas encore revenus. Parce qu’ils se sentent solidaires des gens qui y vivent. Parce qu’ils sont imprégnés de ce qu’ils ont fait sur le terrain, de la manière dont ils l’ont fait, avec qui, dans quel état d’esprit. Ils n’en reviennent pas de ce qu’ils y ont appris. De ce qu’ils y ont vécu. Les porte-paroles de la Sûreté du Québec, du bureau du coroner, les attachés de presse de la mairesse n’ont pas encore fait le bilan de leur communication de crise. Ils n’ont pas développé leurs « lignes » média là-dessus. Ils en sont encore au stade  de raconter, en sautant du coq à l’âne, sans faire de tri.

« Il y a une heure en particulier, le mercredi, à 14 heures, je me demande encore comment j’ai réussi à faire tout ce que j’ai fait. Décrire à ma blonde tout ce qui s’est passé dans cette heure-là, ça m’a pris une demie heure! » s’exclame François Moisan. Il a été le relationniste, chauffeur, urbaniste et conseiller politique de la mairesse de Lac-Mégantic, Colette Roy-Laroche.

M. Moisan évoque le mercredi 17 juillet. Ce jour-là, « on a une importante délégation du Maine qu’il faut recevoir à l’école. On a aussi des gens de Wall Mart. J’ai deux points de presse à planifier en parallèle. Le téléphone sonne : les travaux de nettoyage sont arrêtés parce que les employés ont peur de ne plus être payés. Il faut que j’appelle tout de suite au cabinet de la première ministre. Dans la pièce à côté, j’ai une mairesse d’une petite municipalité, que je ne nommerai pas, qui fait une crise de larmes et qui veut voir la mairesse de Lac-Mégantic… » Tout ça à la fois. « Il n’y a jamais eu de plan de communication. On était en réaction tout le temps. Il fallait improviser. »

Dépêché sur place par la ville de Québec le 13 juillet, François Moisan a composé sur le champ et sans préparation les messages quotidiens. « Normalement, on ne peut pas être tout seul pour faire ça. J’étais tout seul! Mon collègue Jacques Perron, qui a joué le même rôle que moi, était tout seul aussi. C’est hors du commun. » Mais on sent que si c’était à refaire, il le referait. « Moi j’étais dans mon élément. C’était stimulant! »

« Opération Filet Quatre »

À l’opposé, la Sûreté du Québec, elle, a déployé un plan de communication réglé avec minutie. La SQ venait de mettre la dernière touche à son « Opération Filet Quatre » quand le téléphone a sonné chez le lieutenant Michel Brunet, chef de service aux communications : « J’entends, ‘la moitié du centre-ville de Lac-Mégantic est en feu’ ».

Dès son arrivée, il constate l’ampleur des dommages. « On s’est dit, ‘ça va l’ver’. Dans notre jargon, ça veut dire que tous les médias vont s’y intéresser ».

L’Opération Filet Quatre est mise en branle. Le plan prévoit quatre postes de commandement (PC) : le PC enquête, le PC relations avec les familles, le PC logistique et le PC communication.

Lac-Mégantic a servi d’école pour l’Opération Filet Quatre, raconte la cheffe d’équipe de la SQ, Martine Asselin, qui a participé à la mise au point de ce « plan de gestion de décès multiples. »

« Le plan a bien fonctionné parce qu’on avait fait beaucoup de simulations avant. C’est sûr qu’on ne peut pas reproduire une catastrophe de façon exactement similaire, mais ces simulations nous ont aidés à nous organiser. » La responsable des communications au bureau du coroner, Geneviève Guilbault, était intégrée à cette Opération Filet Quatre. Elle renchérit :

« C’était l’ultime test pour ce plan-là. C’était la première fois qu’on le mettait à l’épreuve, pour vrai. Ce n’est pas comme dans un bureau où on relit, on peaufine, on discute du plan d’urgence. Là, c’était beaucoup de pratique concrète, chaque jour. »

Avoir accès à l’information

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Les relationnistes de l’Opération Filet Quatre tenaient des réunions à un rythme soutenu. Ils avaient des rendez-vous réguliers avec les trois autres postes de commandement et les joueurs-clés des mesures d’urgence.

« C’est une multitudes de rencontres chaque jour. Il faut se coordonner avec les ambulanciers, les policiers, la sécurité civile, les gouvernements, les pompiers, les coroners. Il y a plusieurs mises au point quotidiennes. Il faut s’assurer que le message soit le même pour tous. Préparer les réponses. Décider qui va dire quoi à quel moment », explique le lieutenant Michel Brunet, « tout en s’assurant que chacun joue dans son carré de sable. » Personne ne doit empiéter sur la juridiction de l’autre.

Une des préoccupations des relationnistes était d’avoir eux-mêmes accès à l’information. Il leur fallait la collaboration des collègues enquêteurs ou des coroners. Ce sont eux qui pouvaient leur fournir la matière première des communications.

« Je ne peux rien faire si les enquêtes ne m’alimentent pas », dit Michel Brunet. « Il faut faire des points de presse chaque jour, tous en direct. Il faut trouver du nouveau. On ne peut pas l’inventer! Il faut faire nous-mêmes la cueillette d’informations, la valider avec les instances avant de la diffuser. »

Dans le cas de Lac-Mégantic, il se réjouit des liens tissés avec les enquêteurs : « On posait des questions, on avait des réponses! Ce sont des gens extrêmement dévoués. »

Livrer des messages «dédouanés»

Geneviève Guilbaut souligne aussi la collaboration des coroners et la levée des barrières hiérarchiques : « Au début, la circulation de l’information était problématique. Trouver quotidiennement un message à livrer, dédouané de tous … » « Dédouané», c’est-à-dire « qui a reçu l’approbation des supérieurs ».

Cela prend du temps. Cette façon de faire habituelle n’était pas adaptée à la situation : « Il a fallu conscientiser l’équipe. Ça s’est rapidement corrigé. Moi j’étais en lien direct avec mes coroners plutôt que de passer par des structures, un gestionnaire, des conférences téléphoniques, qui peuvent faire que l’information n’est plus à jour au moment où je la livre… Là j’avais l’information directement. Je pouvais, en très peu de temps, écrire mes lignes pour la conférence de presse de l’après-midi. »

Jacques Perron, qui a été relationniste pour la mairesse de Lac-Mégantic au lendemain de la catastrophe, a côtoyé l’équipe d’Opération Filet Quatre : « Oui, l’information circulait de façon libre. Il n’y avait pas de blocage ou de rétention d’information entre les partenaires. Chacun se faisait confiance. Bien sûr il y avait des discussions mais personne n’a joué son agenda. C’est d’ailleurs une des conditions de gestion de crise : il faut que tous aient l’information et que personne ne joue son agenda. »

Il insiste aussi sur le fait que pour avoir quelque chose de substantiel à dire dans toutes les conférences de presse, il faut une armée de travailleurs sur le terrain : « le succès du travail sur la place publique dépend des travailleurs de l’ombre. Ceux qui sont à l’arrière plan. Pompiers, policiers, techniciens. Leurs conditions de travail sont difficiles. Il faut le montrer, le souligner. Sans eux, il n’y a pas de travail de relations publiques ou de travail politique qui peut se faire! Il faut aller les rencontrer, sans télé, sans caméra, pour les encourager. »

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