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L’ombre de la langue: regards sur la couverture du Québec dans les médias canadiens

Pauline Marois n’avait pas même encore été investie en tant que Première ministre du Québec, que déjà, la polémique débutait: le dessein de faire du français la langue prédominante allait forcément réduire le poids des anglophones. Par Shannon O’Reilly. Traduction d’un article paru sur J-Source.ca le 4 juillet 2013. Pauline Marois n’avait pas même encore…

Pauline Marois n’avait pas même encore été investie en tant que Première ministre du Québec, que déjà, la polémique débutait: le dessein de faire du français la langue prédominante allait forcément réduire le poids des anglophones.

Par Shannon O’Reilly. Traduction d’un article paru sur J-Source.ca le 4 juillet 2013.

Pauline Marois n’avait pas même encore été investie en tant que Première ministre du Québec, que déjà, la polémique débutait: le dessein de faire du français la langue prédominante allait forcément réduire le poids des anglophones.

«Marois joue avec le feu», titrait le Toronto Sun le 15 octobre 2012. L’article rapportait que Marois avait écarté les journalistes anglophones en répondant avec jovialité aux questions en français.

Le même jour, le quotidien francophone québécois Le Devoir publiait un article intitulé «Clôture du sommet de la Francophonie – Afrique: Marois met de l’eau dans son vin.»

Alors que le journal anglophone braquait les projecteurs sur l’apparent manque de respect de Marois pour une langue autre que le français, l’article du Devoir récapitulait les grands moments de sa visite à l’étranger dans les pays francophones.

Y a-t-il un risque réel que voir le PQ ignorer les reporters anglophones en ne leur accordant qu’un  accès limité?

Tim Duboyce, correspondant de CBC TV à l’Assemblée nationale, ne le croit pas.

«L’arrivée du Parti Québécois au pouvoir est une réelle bouffée d’air frais… pour la simple raison qu’il s’agit d’un gouvernement vierge et neuf, ayant la volonté de faire la démonstration de ses capacités et de convaincre tout le monde, dit Duboyce. Il entreprend donc en ce moment un pas en arrière pour rejoindre la communauté anglophone et lui montrer qu’elle n’a pas à avoir peur.»

Alexandre Robillard, un journaliste francophone couvrant l’Assemblée nationale pour la Presse Canadienne n’a pour sa part pas noté de conflit entre les reporters anglophones et le gouvernement québécois au sujet de la langue.

«L’élection du PQ génère toujours les mêmes peurs [concernant l’éviction des anglophones] mais je n’ai remarqué aucun changement», affirme-t-il.

Duboyce rejette l’affirmation du Toronto Star selon laquelle Mme Marois refuserait de parler aux reporters anglophones. Selon lui, il s’agit plutôt d’une mauvaise analyse de la situation.

«Lorsqu’ils sont interrogés dans le hall par des reporters, les ministres répondent en général à deux ou trois questions très rapidement et en français, puis ils poursuivent leur chemin et font mine de ne pas entendre les autres questions, qu’elles soient en français ou en anglais», affirme-t-il.

«Ce n’est pas honnête d’interpréter cela comme du dédain vis-à-vis des anglophones. Ce n’est pas la réalité», ajoute-t-il.

Robillard attribue plutôt aux Libéraux, cette tension autour du débat linguistique.

«Un cabinet de ministre a commencé à faire systématiquement ses déclarations en français et en anglais alors que d’ordinaire, les ministères ne s’expriment qu’en français, affirme-t-il. En conséquence de quoi, c’est la première fois depuis cinq ans que je suis ici, que j’entends ce genre de débat au sein même du corps journalistique.»

Duboyce est toujours inquiet lorsque le PQ arrive au pouvoir. En tant que représentant de la communauté anglophone (communauté qui ne vote majoritairement pas péquiste), il redoute de perdre ses jalons et que  ce soit plus difficile de décrocher une entrevue.

«C’est l’inverse qui se passe sur le terrain, affirme-t-il. Il y a aujourd’hui une ouverture et un effort bien plus important que sous le règne libéral, de m’accommoder et de me donner des entrevues.»

Alors, si les députés québécois donnent aux journalistes francophones et anglophones le même traitement et le même plein accès à l’information, pourquoi les articles sont-ils si drastiquement différents au Québec et dans le reste du Canada?

Duboyce croît que les médias de l’extérieur du Québec ne comprennent pas la culture d’ici, ce qui se traduit de diverses manières dans leurs reportages.

«Hugh MacLellan a raison: il y a réellement deux solitudes qui ne se comprennent pas l’une et l’autre», estime-t-il. De nombreux reporters anglophones ou médias du reste du Canada pensent qu’ils maîtrisent le contexte… or il faut bien admettre que ce n’est absolument pas le cas.

Paul Knox, un ancien correspondant à l’étranger du Globe and Mail et professeur à l’Université Ryerson, note que la langue n’est pas la seule barrière pour comprendre une culture.

«Vous le réalisez lorsque vous vivez dans un pays de culture et de langue différentes de celles dans lesquelles vous avez grandi et avec lesquelles vous travaillez, affirme Knox. Les bases du journalisme, le style, la façon dont les articles sont construits et écrits sont très différents d’un pays à l’autre.»

Knox attribue cela à la rhétorique propre à chaque culture. Les différences dans l’écriture se sont développées au fur et à mesure des années.

Il note qu’il y a une façon très anglo-américaine de construire une histoire, très différente de ce qui s’écrit dans les langues romanes.

«Chez les francophones, les faits les plus importants ne se retrouvent pas forcément dans le chapeau, comme nous le faisons nous, les journalistes anglo-américains. Nous citons les gens différemment, les temps utilisés ne sont pas forcément les mêmes», explique Knox.

Quand Marois présenta son Conseil des ministres le 19 septembre dernier, le Globe and Mail et La Presse ont tous les deux couvert l’événement. Voici les premiers paragraphes de chacun de leur article:

Le Globe and Mail: «Soulignant à plusieurs reprises que le but de son gouvernement demeure l’indépendance du Québec vis-à-vis du Canada, la Première ministre Pauline Marois a annoncé mercredi une liste de ministres, dont certains sont des fidèles du Parti Québécois et d’autres des nouveaux visages.»

La Presse: «Le nouveau gouvernement Marois surprendra davantage par ses structures que par les personnes choisies pour former le Conseil des ministres. Pas de grande surprise, donc, dans la liste des députés qui ont défilé mardi après-midi dans un hôtel situé tout près du Parlement. Mais la configuration des ministères sera bien différente de celle qui prévalait depuis 2003.»

Le paragraphe anglophone s’intéresse directement aux faits. Le fondement de l’article tient en une phrase. Les lecteurs de l’article en français bénéficient de plus d’informations  concernant l’angle qui sera développé dans l’article.

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Robillard indique qu’il est fondamental de comprendre la culture pour faire un reportage.

«Il faut connaître les intérêts de votre public pour choisir l’angle qui va intéresser vos lecteurs, auditeurs, téléspectateurs», assure-t-il.

Lorsque le gouvernement péquiste a été intronisé en septembre, le drapeau canadien a été retiré du hall où avait lieu la prestation de serment. Robillard note que, même si on en a beaucoup parlé au Québec, l’événement a pris plus d’ampleur dans le reste du Canada.

Voici les titres de journaux francophones et anglophones ce jour-là :

National Post: «La prestation de serment du gouvernement Marois tourne à la farce souverainiste»

Le Devoir: «Les 54 députés péquistes sont assermentés»

Le titre de La Presse faisait référence au retrait du drapeau tout en en minimisant l’impact. L’article s’en tenait à rapporter les faits. Les titres anglais, quant à eux, usaient de tournures plus émotionnelles.

Selon Robillard, même si la couverture d’un événement diverge, ça ne signifie pas nécessairement qu’il y ait distorsion de la réalité de part ou d’autre.

«C’est seulement différent, assume-t-il. Ici, à la Presse Canadienne, nous avons un service en français et un service en anglais. Nos histoires ne sont pas racontées de la même manière parce que nos audiences ne sont pas les mêmes. Nous nous devons de présenter les choses différemment.»

Le 29 janvier dernier, la Presse Canadienne et son pendant anglais, the Canadian Press, ont publié des articles au sujet  de la rencontre de Pauline Marois avec le chef des indépendantistes écossais, Alex Salmond. Le contenu global est similaire, à quelques détails près.

Knox explique que lorsqu’il était correspondant à l’étranger, on lui a souvent demandé pourquoi il ne prenait pas un Égyptien pour couvrir l’Égypte.

«C’est une grande idée mais il ne s’agit pas seulement de savoir réaliser un reportage, répond-il. Vous devez connaître votre audience pour savoir ce qui va lui parler, ce qui va l’intéresser dans vos écrits.»

«Votre audience doit pouvoir comprendre la réalité que vous décrivez», ajoute-t-il.

Pour travailler au Québec, il est essentiel de comprendre le français, estime Duboyce.

«Si vous travaillez au Québec pour un média anglophone, il est indispensable d’être bilingue, affirme-t-il. Vous ne pouvez pas faire votre travail de manière optimum si vous ne parlez pas français couramment.»

Duboyce insiste sur la nécessité de nouer des relations à l’intérieur de l’Assemblée nationale et l’obligation de posséder une langue commune pour le faire.

«C’est en discutant de manière informelle avec les députés et les membres du gouvernement que les relations se construisent, explique-t-il. Si vous ne pouvez pas le faire en français, vous vous coupez de ça. Vous serez toujours considéré comme un outsider

Gloria Galloway n’est pas d’accord. La correspondante du Globe and Mail au Québec pense que les reporters francophones et anglophones savent qu’ils parlent deux langues différentes et s’en accommodent.

«Il y a de l’aide partout, note-t-elle. Tout ce qui se passe en comité, au Parlement, en conférence de presse, dans la salle de presse, est traduit. Ça rend les choses très faciles.»

«Je ne pense pas qu’il faille être bilingue pour être journaliste au Québec», ajoute-t-elle.

Knox pense cependant qu’il n’est pas toujours opportun de s’en remettre au traducteur car celui-ci peut interpréter les déclarations.

«C’est difficile de faire la part entre un verbatim et son interprétation, estime-t-il. Ça mène souvent à des incompréhensions.»

Shannon O’Reilly est une Montréalaise de naissance, qui a grandi en jouant au hockey avec ses frères. Elle vit à Toronto où elle poursuit des études en journalisme, carrière qu’elle a choisi parce qu’elle voulait entendre ce que les gens ont à raconter. C’est également un prétexte pour voyager et apprendre toujours de nouvelles choses.

 

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