«On ne peut pas regretter quelque-chose qui n’existe plus»
On ne compte pas les ex-journalistes qui sont devenus enseignants au Cégep ou chargés de cours voire professeurs à l’université. Une reconversion qu’ils expliquent souvent par la volonté de transmettre leur expérience aux futures générations et d’être plus dans réflexion que dans l’action permanente.
On ne compte pas les ex-journalistes qui sont devenus enseignants au Cégep ou chargés de cours voire professeurs à l’université. Une reconversion qu’ils expliquent souvent par la volonté de transmettre leur expérience aux futures générations et d’être plus dans réflexion que dans l’action permanente.
Durant tout l’été, ProjetJ met un coup de projecteur sur ces ex-journalistes qui ont décidé de quitter le métier.
Par Hélène Roulot-Ganzmann
«Après trente-deux ans de journalisme, j’avais le sentiment d’avoir fait le tour du jardin, raconte Dominique Payette, qui a quitté le métier il y a huit ans pour rejoindre le département des communications à l’Université Laval. À part les sports, j’avais pratiquement tout fait. J’avais parcouru le Canada d’un bout à l’autre, j’avais couvert plusieurs événements internationaux, je ne voyais plus bien ce que je pourrais apporter de plus. D’autre part, je savais que j’aimais l’enseignement puisque j’avais déjà été chargée de cours à l’Université de Montréal et à l’Uqàm. Je trouve ça très gratifiant d’entendre mes étudiants à la radio, de les voir à la télévision, de les lire. Et j’estimais que l’université manquait de gens qui connaissaient le milieu de l’intérieur. Ça faisait plusieurs années que je repoussais le fait de changer totalement de carrière, et puis le poste s’est ouvert à Laval.»
Depuis, Dominique Payette affirme n’avoir jamais regretté son choix, tout en soulignant que le journalisme est un métier extraordinaire qui permet à la fois de découvrir la société dans laquelle on vit, tout en pénétrant des cultures complètement différentes.
«Mais je me rends compte aussi à quel point il est difficile de pratiquer le métier aujourd’hui tel que je voulais le faire, ajoute-t-elle. Je sais que beaucoup de collègues encore journalistes pensent la même chose, ils me le disent autour d’une bière. Mais c’est comme si personne ne voulait le dire publiquement, comme si le milieu avait peur d’aller chercher des appuis. Depuis que je suis professeure, je découvre aussi la fin du devoir de réserve, et c’est fort agréable.»
C’est d’ailleurs ce même bonheur de pouvoir enfin dire publiquement ce qu’elle pense et d’agir plus concrètement qui l’a poussée à se lancer en politique, d’abord aux municipales, puisqu’elle est depuis novembre mairesse de Lac-Delage, puis lors de la dernière campagne provinciale, durant laquelle elle a échoué à faire son entrée à l’Assemblée nationale.
Un manque? L’esprit de corps
De son côté, Jean-Hugues Roy aimait encore beaucoup le journalisme lorsqu’il a décidé de quitter ses fonctions à Radio-Canada pour devenir professeur à l’Uqàm. C'était en 2011, il y était déjà chargé de cours depuis trois ans.
«J’ai failli ne pas appliquer lorsque le poste s’est ouvert, explique-t-il, racontant d’ailleurs accorder cette entrevue, alors que quelques minutes plus tôt, il était justement dans la grande tour pour rendre visite à ses ex-collègues. J’aimais la SRC, c’est une belle place pour être journaliste, j’y ai beaucoup d’amis, je m’ennuie d’eux. D’un autre côté, j’ai eu la piqure pour l’enseignement. Lorsque je suis arrivé, le programme de journalisme était en pleine refonte et j’ai travaillé à la mise en place du cours sur l’utilisation des nouvelles technologies et de l’internet. J’essaye plein de choses, j’apprends plein de choses. Je suis plus libre d’approfondir ce que j’ai envie d’approfondir. Ce qui ne signifie pas que je n’ai pas un manque. L’enseignant est très solitaire. J’appréciais l’esprit de corps qui règne dans une salle de nouvelles.»
Jean-Hugues Roy avait quarante-cinq ans lorsqu’il a entrepris son mouvement. Pour lui, c’était le moment où jamais d’essayer quelque-chose d’autre. Aujourd’hui, il n’envisage aucun retour mais affirme qu’il restera journaliste toute sa vie.
«Plus je vieillis, plus je me dis que si je revenais, je prendrais la place d’un jeune, confie-t-il. Et puis, je redeviendrais surnuméraire, précaire, je ne peux pas l’envisager. Mais pour moi, le journalisme est plus qu’un métier, c’est une vocation. C’est pour ça que jamais je ne pourrais faire des relations publiques, j’aurais l’impression de me trahir. Aujourd’hui encore, j’hésite à prendre position, j’ai de la difficulté à répondre à des questions, je préfère les poser. Je suis de très près le mouvement pour les données ouvertes et lorsque je lis des articles sur le manque de transparence de nos gouvernements, ça me révolte. Bref, je ne me considérerai jamais comme un ex-journaliste. Je le suis.»
Déçue par la profession
Le virage vers l’université, Geneviève Chacon l’a pris au passage de la trentaine. Pas qu’elle ait eu l’impression d’avoir fait le tour, au contraire, elle estime qu’après seulement dix ans à Radio-Canada, elle avait encore la possibilité d’évoluer et de progresser. Mais elle avoue avoir petit à petit été déçue par la profession.
«Le métier a changé très rapidement, analyse celle qui était en 2011, lorsqu’elle a quitté la profession, correspondante parlementaire à Québec pour Ici Radio-Canada Première. J’ai fait un choix personnel puisque j’étais devenue maman et que le rythme ne me convenait plus. Mais les considérations que j’ai pris en compte étaient avant tout d’ordre intellectuel. C’est sûr que parfois, je m’ennuie de l’action, de l’adrénaline, mais je me sens plus à l’aise à l’université. Ça me ressemble plus. Et mes dix ans de terrain m’apportent énormément. J’étudie les relations qu’entretiennent les journalistes et les politiciens… or, je connais les contraintes du métier. Je sais avec quelles obligations les journalistes doivent chaque jour composer. Ça me facilite la tâche.»
Deviendra-t-elle professeure après son doctorat? Peut-être. Mais elle envisage aussi d’autres possibilités… et le retour au journalisme en fait partie.
«L’industrie est en pleine mutation, note-t-elle. Les médias traditionnels tiennent encore une grande place, mais à côté, il y a de nombreuses petites organisations journalistiques en émergence. Personne ne sait quel sera le paysage dans deux, trois, quatre ans. Peut-être me conviendra-t-il mieux. Je ne ferme pas la porte totalement.»
«Avoir une vie plus confortable»
Pascale Millot, quant à elle, ne ferme tellement pas la porte qu’elle continue à écrire quelques chroniques.
«C’est un métier qui est difficile à battre, estime celle qui a raccroché l’an dernier pour aller enseigner la littérature au Cégep Édouard-Montpetit. Quand on dispose de bonnes conditions, quand on est libre, c’est fabuleux. On passe sa vie à apprendre, on rencontre des gens incroyables. Je m’en rends d’autant plus compte que j’en suis sortie. J’aimerais écrire plus aussi. Pour l’instant, je suis très prise car je dois mettre tous mes cours en place, mais ensuite, c’est certain que je vais me remettre à écrire. Est-ce que ce sera de la fiction? Je ne sais pas encore. Mais je sens que ça monte en moi. En revanche, je ne regrette jamais mon choix, parce qu’on ne peut pas regretter quelque-chose qui n’existe plus.»
En vingt ans de carrière, Pascale Millot a travaillé pour de nombreux médias. Elle a été pigiste, chef de pupitre, a écrit des portraits, des critiques littéraires, couvert l’actualité. Depuis huit ans, elle était rédactrice en chef adjointe de Québec Science.
«Mais il y a de moins en moins d’espace pour faire des reportages de fond, estime-t-elle. Rendue où j’étais, je ne voyais plus comment évoluer. C’est assez déprimant de se dire ça. J’aurais pu repartir dans un autre média, mais dans l’industrie, t’as beau gagner des prix, avoir fait tes preuves, si tu changes, tu dois tout refaire, repartir en bas de l’échelle. À quarante-neuf ans, j’avais le gout d’avoir une vie plus confortable.»
En tant qu’enseignante, elle peut transmettre son expérience, ses valeurs. Et selon elle, sa carrière de journaliste est un précieux atout.
«L’enseignement, comme le journalisme, demande de savoir vulgariser, faire des recherches, des résumés, analyse-t-elle. D’avoir un bon contact avec les gens aussi. Le journalisme apporte une bonne culture généraliste. Dans l’un comme dans l’autre, il faut aussi être capable de faire des liens. Bref, quand je regarde ce qui se passe encore ces derniers jours dans l’industrie des médias au Québec, je me dis que j’ai fait un maudit bon mouv’!»
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