Procès Turcotte: le droit du public à l’information en question
Voilà six semaines que le procès pour infanticide du Dr Guy
Turcotte occupe les médias québécois. Chaque jour, les
journalistes rapportent les témoignages qui doivent permettre de
déterminer dans quel état d’esprit était ce père de famille au
moment d’assassiner ses deux jeunes enfants. Certains textes sont
farcis de détails morbides qui font sursauter les lecteurs.
Voilà six semaines que le procès pour infanticide du Dr Guy
Turcotte occupe les médias québécois. Chaque jour, les
journalistes rapportent les témoignages qui doivent permettre de
déterminer dans quel état d’esprit était ce père de famille au
moment d’assassiner ses deux jeunes enfants. Certains textes sont
farcis de détails morbides qui font sursauter les lecteurs.
Des
détails qui font frémir
«Je
trouve abominable la médiation des détails sordides et macabres du
procès de Guy Turcotte! Est-ce vraiment nécessaire? Simplement le
titre d’un article ce midi, m’a littéralement coupé l’appétit
et levé le cœur. Je n’ai même pas lu l’article et j’ai
encore le cœur tout à l’envers», écrivait début mai
une lectrice de Cyberpresse,
Sabrina Tremblay.
Même son de cloche du côté du
blogue La diagonale,
où La Tache écrit «je crois pas que le “droit de savoir”
ou le “droit du public à l’information” justifie le fait
qu’à tous les jours, on a des dépêches qui racontent, dans les
plus horribles détails, ce qu’il s’est passé ce soir-là. Des trucs
qui font frémir. Des trucs que tu lis même pas dans un Patrick
Sénécal.»
Face
au flot de critiques, l’éditorialiste de La
Presse, André Pratte,
a concédé récemment qu’«il n’est pas facile pour
les médias de tracer la ligne entre ce qui doit et ce qui ne doit
pas être publié». Toutefois, il a défendu ses collègues et
confrères soulignant qu’«un procès est un événement public et il
est fondamental qu’il en soit ainsi». Plusieurs commentateurs
martèlent par ailleurs, que le public à le choix de suivre ou non
le procès Turcotte.
Le journaliste
David Santerre, qui couvre le dossier pour Rue Frontenac,
estime toutefois qu’«il y a bien des détails qu’on peut épargner
au gens sans sacrifier la qualité de l’information». Selon lui, les
médias auraient par exemple pu s’abstenir de donner des détails sur
l’état des corps des victimes. Si toutes les pièces fournies en
cour et les témoignages sont certes publics, ils n’apportent
cependant pas tous un éclairage sur l’enjeu central du procès, soit
l’état d’esprit de Guy Turcotte au moment du drame, souligne David
Santerre.
La pression commerciale
«Dans
le feu de l’action, les journalistes ont tendance à en mettre plus
que moins. Ils sont motivés par la peur que le concurrent publie
plus de détails qu’eux», explique le professeur Marc-François
Bernier, titulaire de la Chaire de recherche en éthique du
journalisme de l’Université d’Ottawa. Dans ce contexte d’intense
concurrence, la réflexion éthique ne fait pas le poids face aux
impératifs commerciaux et à la pression organisationnelle.
«La
couverture médiatique des procès est le plus souvent réduite aux
éléments sensationnalistes, privilégie le dramatique et laisse de
côté les nuances, ce qui ne permet pas de comprendre pleinement la
portée d’un jugement», explique le chercheur. Pourtant, «le
rôle des médias est de rapporter les tenants de la cause afin de
nous permettre de comprendre la sentence».
David
Santerre est d’avis que suivre le procès Turcotte pour un site web,
plutôt que pour une publication imprimée, lui permet de mieux jouer
ce rôle. «Dans un journal imprimé, on a moins de place pour mettre
en contexte, donc on va aux faits saillants rapidement. Sur Internet,
je n’ai pas de limite d’espace, ça me permet d’apporter plus de
nuances et ça plaît aux lecteurs. C’est la première fois que je
reçois autant de courriels de gens satisfaits.»
Marc-François
Bernier se questionne sur l’espace qu’accorde les patrons de presse à
l’affaire Turcotte. «Il n’y pas de doute qu’il faille couvrir ce
procès, mais il faut se questionner sur l’importance qu’on lui
accorde. Est-ce qu’on publie l’histoire en page une ou en page 17? Ça
demeure un fait divers et non un fait de société.» Selon lui, en
accordant une couverture intense à ce type d’événement, les
médias véhiculent l’image d’une société violente, alors que les
indicateurs de criminalité sont en baisse constante au Canada.
Voir aussi:
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