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RSF: «Le Canada n’est pas une priorité»

En janvier dernier, le Canada a perdu dix rangs au classement de la liberté de la presse publié chaque année par Reporters sans frontières (RSF). Il se classe désormais vingtième… juste derrière le Costa Rica et la Namibie. Pourtant, l'organisation n'a pas l'intention de s'impliquer davantage au pays. Article modifié mardi 18 juin à 11h31…

En janvier dernier, le Canada a perdu dix rangs au classement de la liberté de la presse publié chaque année par Reporters sans frontières (RSF). Il se classe désormais vingtième… juste derrière le Costa Rica et la Namibie. Pourtant, l'organisation n'a pas l'intention de s'impliquer davantage au pays.

Article modifié mardi 18 juin à 11h31 et mercredi 19 juin à 09h36

En janvier dernier, le Canada a perdu dix rangs au classement de la liberté de la presse publié chaque année par Reporters sans frontières (RSF). Il se classe désormais vingtième… juste derrière le Costa Rica et la Namibie. Pourtant, l'organisation n'a pas l'intention de s'impliquer davantage au pays.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

«Le Canada n’est pas une priorité pour le bureau Amériques compte tenu du faible nombre d’affaires qu’il présente et de la globale bonne tenue de son rang en matière de liberté de l’information», indique Benoît Hervieu, responsable du bureau Amériques, en entrevue à ProjetJ.

«Suite à des problèmes financiers que je ne peux détailler, la section RSF Canada a cessé d’exister, explique-t-il. Le Canada compte aujourd’hui une correspondante basée à Montréal, mais n’a plus de président, d’où une moindre visibilité, ce que nous regrettons.»

«Reporters sans frontières est en pleine restructuration, explique François Bugingo, journaliste spécialiste de l’actualité internationale et ex-président Canada de RSF. Elle est moins visible que du temps de Robert Ménard, son fondateur. C’est une question de personnalité. Il avait un caractère bouillonnant, était extrêmement présent, avait toujours la volonté d’être le premier sur le terrain. Aujourd’hui, c’est une nouvelle équipe avec à sa tête Christophe Deloire. Ils sont dans une phase de reconstruction et à la recherche d’une meilleure santé financière.»

Nouvelle méthodologie

La bonne tenue de son rang. Entre 2011 et 2012, la Confédération est pourtant passée de la 10ème à la 20ème place du classement mondial de la liberté de la presse. Alors même que ce classement, longtemps critiqué, semble plus sérieux cette année.

«Le Canada compte une vingtaine de répondants, explique Antoine Héry, responsable du classement. Mais peu importe le nombre puisqu’il ne s’agît pas d’une enquête quantitative. C’est une étude qualitative qui privilégie la qualité des réponses et la diversité du réseau de répondants: des journalistes, qui constituent la grande majorité du panel, mais aussi de plus en plus de chercheurs. C’est une volonté d’ouverture qui s’inscrit dans une nouvelle méthodologie, mise en place pour l’édition 2013, sortie en janvier.»

Marc-François Bernier, titulaire de la Chaire de recherche en éthique journalistique à l’Université d’Ottawa, fait partie de ce panel.

«Je dois avouer que le questionnaire s’est largement amélioré cette année, affirme-t-il. Avec notamment l’utilisation de l’échelle d’intensité, qui permet de donner une note de 1 à 10 pour un grand nombre de questions ou d’affirmations. C’est ainsi que nous travaillons nous même en tant que chercheurs. Ça permet de réaliser des moyennes et de sortir du tout blanc ou tout noir.»

«Un classement précieux»

«On peut toutefois se poser des questions sur les connaissances dont disposent les répondants, nuance Marc-François Bernier. Ainsi que sur les conclusions qui sont tirées des réponses. On nous demande notamment s’il y des écoles de journalisme dans notre pays. Est-ce un indice de la liberté de la presse? Est-ce que la France, qui dispose de plus d’écoles que le Québec, jouit d’une plus grande liberté? Ce sont des indicateurs et au final, j’ai l’impression que ça donne un portrait assez réaliste de ce qui se passe dans chaque pays.»

«Il y a toujours moyen d’affiner, estime pour sa part François Bugingo, mais ce classement est extrêmement précieux. Ce n’est pas pour rien qu’il est le premier élément non-économique retenu par la Banque mondiale pour mesurer la crédibilité et la fiabilité des États.»

2012, année meurtrière

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RSF vient également de se voir décerner le prix de la liberté d’expression de l’Association internationale des clubs de la presse (IAPC). Presque 30 ans après sa fondation, sa pertinence est pourtant questionnée et ses résultats souvent critiqués.

2012. Jamais année n’aura été aussi meurtrière pour les journalistes dans l’exercice de leur fonction depuis la publication du bilan annuel de Reporters sans frontières (RSF) en 1995. Au total 135 confrères, 88 journalistes professionnels et 47 journalistes citoyens, ont payé de leur vie le simple fait de vouloir informer.

L’une des missions de Reporters sans frontières est pourtant de soutenir et protéger les journalistes. Faillirait-elle à sa tâche?

En 2011, 163 bourses d’assistance ont été attribuées à des journalistes en situation d’urgence ainsi qu’à leurs familles. Sur le terrain, l’organisation prête des gilets et des casques pare-balles siglés «Press». Elle offre également du soutien psychologique et informe les journalistes sur la détection des traumatismes post-mission. Mais les plus critiques estiment qu’elle passe surtout son temps à émettre des communiqués condamnant telle pratique, tel État, telle organisation. Avec au final, peu de poids.

Les journalistes trop critiques?

«RSF est une organisation qui a encore de la pertinence, affirme François Bugingo. C’est certain qu’elle ne peut pas faire grand-chose dans le cas de la couverture d’une guerre civile comme en Syrie, alors que les bombardements viennent de partout. Mais prenons l’exemple de la Guinée, en Afrique. Lorsqu’un animateur a été menacé de mort récemment, il a eu le réflexe d’appeler Reporters sans frontières, qui lui garantit aujourd’hui sa sécurité.»

L’ex-président Canada de RSF fustige pour sa part les journalistes occidentaux, toujours prêts à critiquer Reporters sans frontières, mais peu engagés et peu enclins à soutenir l’organisation.

«Sans doute sommes-nous trop habitués à la gratuité, estime-t-il. À recevoir des livres, à être invités à des spectacles. Toujours est-il que lorsque j’étais président de RSF Canada et que j’organisais une conférence avec un journaliste iranien histoire de faire rentrer un peu d’argent, les seuls qui m’appelaient pour avoir un billet gratuit, ce sont les journalistes.»

L’ombre de Robert Ménard

Or, les revenus de l’organisation ne seraient pas au beau fixe depuis 2008 et la campagne menée contre la tenue des Jeux Olympiques à Pékin. Le drapeau représentant les cinq anneaux remplacés par des menottes sur fond noir n’a semble-t-il pas été du goût des Chinois, qui auraient décidé, en représailles, de retirer des contrats à des entreprises françaises.

«Les grandes compagnies ont alors suspendu leur soutien financier à Reporters sans frontières, raconte François Bugingo. Aujourd’hui, la tension est retombée sur ce plan-là, la situation s’apaise et il est temps de réfléchir à un repositionnement. Sauf que la médiatisation entourant le rapprochement de Robert Ménard avec l’extrême-droite en France, n’arrive pas forcément au meilleur moment.»

À ce sujet Reporters sans frontières a émis un communiqué se désolidarisant de son fondateur.

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