Twitter et cie: outils de promotion ou de création de l’info?
Le Washington Post a demandé cette semaine à ses journalistes de ne pas s'engager dans des discussions avec leurs lecteurs sur Twitter. Le quotidien a rappelé à son personnel que les médias sociaux doivent uniquement être utilisés à titre de canaux de promotion pour attirer des lecteurs vers le journal et les inciter à commenter les articles. Cette consigne est contraire à l'essence même de la profession qui est l'échange avec le public, selon le professeur Roy Greenslade de la City University de Londres.
Le Washington Post a demandé cette semaine à ses journalistes de ne pas s'engager dans des discussions avec leurs lecteurs sur Twitter. Le quotidien a rappelé à son personnel que les médias sociaux doivent uniquement être utilisés à titre de canaux de promotion pour attirer des lecteurs vers le journal et les inciter à commenter les articles.
Cette consigne est contraire à l'essence même de la profession qui est l'échange avec le public, selon le professeur Roy Greenslade de la City University de Londres. «Interdire aux journalistes de discuter avec les lecteurs c'est nier leur liberté et celle des citoyens», écrit-il sur le site du Guardian. Il estime qu'en instaurant une telle règle le quotidien fait preuve d'arrogance, car il résume l'engagement du et envers le public à une activité promotionnelle plutôt qu'à la promotion d'un dialogue.
De la communication à sens unique…
Pour le consultant Bruno Boutot, spécialiste des stratégies médias sur le web et des communautés participatives, la logique du Washington Post relève de la structure traditionnelle des médias selon laquelle l'information se fait à sens unique. Dans cet univers, les lecteurs ne sont que des consommateurs et commentateurs sans importance.
C'est pour quoi plusieurs grands médias choisissent de confier la modération des commentaires à des firmes privées. C'est le cas par exemple de CTV, Rogers, CBC et Radio-Canada qui travaillent tous avec la firme ICUC, spécialiste de la modération de contenu et de communauté en ligne.
Le directeur de l'information Internet services numériques de Radio-Canada, Pierre Champoux, explique que le réseau public a choisi de procéder ainsi par souci d'efficacité. «Nous recevons plus de 2000 commentaires par jour, c'est énorme et ça demande beaucoup de ressources. En travaillant avec ICUC, nous bénéficions de leur force de frappe et de leur expertise tout en nous donnant du temps pour faire autre chose.»
Bruno Boutot voit d'un mauvais œil cette façon de faire. Pour lui, elle est le signe d'une incompréhension de l'univers du Web basé sur la communauté. Selon le modèle des médias en ligne, «journalistes et membres du public participent ensemble à la construction de l'information», explique-t-il. De fait, il est important que les modérateurs, qu'ils soient internes ou externes à l'entreprise, soient des membres de la communauté.
… à la conversation
Sans affirmer que l'emploi d'une firme externe est idéal, Pierre Champoux assure que les modérateurs de ICUC sont choisis selon un casting très précis et doivent respecter les normes et pratiques de Radio-Canada. Il confie également être en contact quotidien avec la firme et prendre le temps lui-même d'échanger avec les internautes dans certains cas. «Nous faisons tout pour ne pas perpétuer le mythe que nous n'écoutons pas les gens, c'est important pour nous.»
Radio-Canada a par ailleurs établi un système avec «identité stable» qui met en mémoire toutes les collaborations d'un membre. «C'est un premier pas notable et intéressant, avec un espace minimal de personnalisation», un premier pas donc vers le concept de communauté, estime Bruno Boutot. «Cependant, il faudrait encore que ce soit un outil de réputation, c'est-à-dire que les commentaires soient classés par sujet, et éventuellement par appréciation, afin que puissent apparaître avec le temps des domaines de compétence», ajoute-t-il.
Très attentif aux nouvelles technologies, Pierre Champoux souligne qu'«Internet est un médium en évolution permanente qui demande donc qu'on s'adapte constamment». Pour répondre à ce souci, le réseau public a récemment embauché des gestionnaires de communautés qui ont pour mission d'entretenir le dialogue. Et ceci semble fonctionner puisque c'est grâce à un échange avec le public que le réseau public a réussi à rendre tou.tv accessible sous Linux.
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October 22, 2010
Juste ajouter quelques
Juste ajouter quelques précisions.
J’ai été très bien cité mais je profite de cet espace pour compléter mon propos.
Je ne vois pas d’un “mauvais oeil” le travail de Pierre Champoux et de Radio-Canada, au contraire: nous sommes aux premières loges pour apprécier le travail que font nos médias pour s’adapter à la nouvelle proximité de leurs lecteurs.
Il faut comprendre que tous les médias qui existaient avant le Web continuent d’abord de fabriquer leur produit. L’élan de ces splendides machines est formidable. Ils n’ont pas le loisir d’arrêter leurs opérations pendant deux ou six mois pour repartir à zéro sur le Web sur de nouvelles bases.
Tous les médias mènent donc au moins trois chantiers à la fois: produire leur produit, en même temps l’adapter au Web et aux nouveaux outils et enfin tenter de maîtriser l’interface avec ce public qui met tant d’énergie à “vouloir” participer. Beaucoup de gens contribuent efforts et créativité à ces trois chantiers.
Ceci dit, mon point de vue sur la place des lecteurs dans la chaîne de l’information n’est pas “opposé” à celui de Pierre Champoux, il est différent: on ne part pas des mêmes prémisses.
Nous sommes des journalistes: notre travail se base sur des observations. Les observations de Pierre Champoux sont bien expliquées, je les comprends, ainsi que les solutions adoptées.
De mon côté, je suis de près les travaux de Jay Rosen, Clay Shirky et Jeff Jarvis, ainsi que les expériences sur le terrain que font par exemple Steve Buttry avec TBD à Washington ou John Paxton avec les sites de la Journal Register Company. S’y ajoute depuis bientôt dix ans la fréquentation quotidienne des communautés de participation sur le Web comme MetaFilter.
Je n’ai pas de “meilleure solution”. J’ai des observations différentes, dans des contextes différents. Par exemple, MetaFilter traite chaque jour des milliers de commentaires et a deux millions de visiteurs uniques par mois: l’entreprise marche très bien et les propos des membres sont très bien contrôlés avec un grand total de … 4 employés dont seulement deux modérateurs.
Comment font-ils? Ils partent de prémisses différentes et ont des outils différents. Il y a des objectifs de contenu; ne sont membres que les gens qui partagent ces objectifs. C’est juste de cela qu’il s’agit: une observation différente du potentiel de la participation du lecteur, donc une exigence de contenu différent et un encadrement différent.
On n’a pas fini d’en parler. 🙂