Four people sit around a set of tables facing each other. One person appears on a monitor overhead.
A summit hosted by the Canadian Freelance Union and the United Photojournalists of Canada took place at Toronto Metropolitan University on Feb. 3, 2023. Photo by Aloysius Wong

Un collectif face à la précarité multiple des pigistes au Québec

par Marine Caleb Face à des salaires inchangés depuis des années, des pigistes se réunissent pour améliorer leurs conditions de travail. Car au-delà des faibles tarifs, les pigistes au Québec vivent dans une précarité multiple. L’action collective serait-elle la solution ? Des tarifs qui n’avaient pas augmenté depuis au moins 2012. C’est ce que dénonçaient 30…

par Marine Caleb

Face à des salaires inchangés depuis des années, des pigistes se réunissent pour améliorer leurs conditions de travail. Car au-delà des faibles tarifs, les pigistes au Québec vivent dans une précarité multiple. L’action collective serait-elle la solution ?

Des tarifs qui n’avaient pas augmenté depuis au moins 2012. C’est ce que dénonçaient 30 pigistes du Devoir dans une lettre ouverte publiée le 8 décembre 2022. Soutenus par l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) et la Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC), ils utilisent la force du collectif pour faire changer les choses. Le Devoir a depuis augmenté ses tarifs (voir rectificatif ici-bas).

Les tarifs offerts par Le Devoir étaient parmi les plus bas du marché. Au Québec, les pigistes gagnaient en moyenne 31 336 $ par an, selon un sondage réalisé par l’AJIQ et la FNCC. Les tarifs des piges n’avaient pas été revalorisés depuis plus de 10 ou 20 ans pour la majorité des médias. Des conditions de travail problématiques, comme en témoigne Renaud Philippe, photographe indépendant depuis 18 ans, par passion.

Il se spécialise dans la couverture des conséquences des conflits sur la population. S’il travaille surtout avec le New York Times et le Globe and Mail, il vit très modestement. « Je n’ai pas d’extra ni plus d’argent pour aller au resto que lorsque j’étais étudiant. Cela commence à me frustrer et à créer un sentiment d’injustice », raconte-t-il.

Précarité multiple

Car au-delà du salaire, il dénonce la solitude. « On n’a pas de soutien, on est tout seul. Quand on couvre des crises comme moi, on n’a pas le choix de travailler sur sa santé mentale, mais on n’a pas de budget pour voir un psychologue », rapporte-t-il, amer. De même, malgré son expertise, il explique ne ressentir aucun soutien des médias avec lesquels il collabore : « Après 18 ans de piges, aucun média de me dit qu’il reconnaît mon travail », regrette-t-il.

À cet isolement, il faut ajouter le retard dans le versement des honoraires par les clients (pour 70 % des pigistes sondés par l’AJIQ), ainsi que l’absence d’assurances, de protections face au harcèlement ou au chômage. « Si on est blessé ou que l’on tombe malade, on n’a pas d’assurance ou de filet de sécurité », dénonce Ruby Irene Pratka, journaliste pigiste et membre du conseil d’administration de l’AJIQ. Et cela peut être plus difficile encore pour un photographe ou un vidéaste : « Si je me casse une jambe, je peux écrire dès demain depuis chez moi, mais un photographe a besoin de se déplacer! », rappelle Ruby.

Autant de difficultés qui ont un impact sur la santé mentale. En mai 2022, le Forum des journalistes canadiens sur la violence et le traumatisme révélait que les professionnels des médias avaient plus de problèmes de santé mentale que la moyenne des Canadiens.

Un tarif de base

En novembre 2022, l’AJIQ a lancé une campagne pour sensibiliser la population aux problèmes vécus par ses membres et révélés par le sondage.

Avec l’aide de la FNCC, elle demande au gouvernement la mise en place d’un tarif de base pour la pige : « Il doit être ajustable selon les médias et leurs revenus, mais aussi indexé selon l’inflation », déclare la présidente Léa Villalba. L’association a aussi reçu 200 000 $ du ministère de la Culture, qu’elle espère obtenir annuellement, afin de créer un fonds pour financer les reportages plus approfondis de pigistes.

Long terme

Samuel Lamoureux salue ces actions collectives. « La lettre au Devoir a déjà eu des retombées chez certains médias », explique le candidat au doctorat à l’UQAM qui étudie le déclin des conditions de travail des journalistes au Québec.

« Il faut faire des campagnes publiques et politiques et penser à long terme pour que cela marche », poursuit-il. Pour le chercheur, si ces campagnes ne fonctionnent pas, il faut « insister » : « Les journalistes doivent incarner ce combat, car ce n’est pas un problème d’objectivité », affirme le chercheur.

Il recommande aussi de s’inspirer des actions dans les autres pays, où les pigistes vivent les mêmes défis. En Allemagne, par exemple, ils ont le même socle de droits communs que les salariés. Aux États-Unis, le collectif Cultural Workers Organized a cartographié les regroupements de pigistes d’Amérique du Nord. « Entre 2015 et 2020, plusieurs dizaines de campagnes ont été organisées et ont réussi », se félicite le chercheur. Autant d’initiatives pour valoriser un travail encore perçu comme bon marché.

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PRÉCISION À LA SUITE DE LA PARUTION DE CET ARTICLE

Le Devoir a augmenté ses tarifs aux pigistes depuis janvier 2023 :

«Le Devoir menait, en décembre, une réflexion sur l’ajustement des tarifs à la pige de la section culturelle, en lien avec la préparation du budget 2023. Ces réflexions sont arrivées à maturité au début de l’année 2023. Ainsi, nous avons augmenté les cachets pour les formats proposés dans nos pages et plateformes. Ces augmentations varient de 17 % à 67 % selon les formats. Pour les quatre formats principaux et les plus souvent utilisés (reportage, critique, entrevue et vitrine), nous avons rattrapé et même dépassé l’indexation des 10 dernières années. Ces informations ont été communiquées aux pigistes sur une base individuelle et les nouveaux tarifs s’appliquent depuis le 1er janvier 2023.» – Brian Myles, directeur du Devoir