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Un titre, une survie

Par Joëlle Robillard Les nouvelles recrues québécoises du journalisme seraient peut-être plus optimistes face à l'avenir si le travail de pigiste semblait offrir une qualité de vie désirable, et si la profession leur donnait les moyens nécessaires pour protéger la démocratie plutôt que de les réduire à se conformer aux besoins d'un marché. Un titre…

Par Joëlle Robillard

Les nouvelles recrues québécoises du journalisme seraient peut-être plus optimistes face à l'avenir si le travail de pigiste semblait offrir une qualité de vie désirable, et si la profession leur donnait les moyens nécessaires pour protéger la démocratie plutôt que de les réduire à se conformer aux besoins d'un marché. Un titre de journaliste professionnel changerait la donne.

Par Joëlle Robillard, étudiante au baccalauréat en journalisme à l'UQAM

Les nouvelles recrues québécoises du journalisme seraient peut-être plus optimistes face à l'avenir si le travail de pigiste semblait offrir une qualité de vie désirable, et si la profession leur donnait les moyens nécessaires pour protéger la démocratie plutôt que de les réduire à se conformer aux besoins d'un marché. Un titre de journaliste professionnel changerait la donne.

Le 11 novembre dernier, lors de la consultation publique sur l'avenir de l'information au Québec, le vice-président, Affaires d'entreprise, de Cogeco Inc., Yves Mayrand, s'est montré en défaveur d'un titre de journaliste professionnel au Québec (le mémoire de son entreprise). «Le public devra se heurter à un problème de définition», a-t-il énoncé comme raison de ne pas officialiser cette profession «qui n'en n'est pas vraiment une», a-t-il souligné. Ce que ce patron du deuxième plus grand cablôdistributeur au Québec ne savait peut-être pas en se présentant devant la ministre de la Culture, Christine St-Pierre, c'est que cette carrière qui attend les jeunes journalistes rime malheureusement trop souvent avec extrême précarité.

«Selon une étude faite en 2006 par la firme MCE Conseils, les revenus bruts moyens tirés du journalisme des journalistes membres de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) étaient de 10 000 dollars par année», indique l’AJIQ dans le mémoire qu’elle a présenté à la ministre St-Pierre. Le tarif minimal accordé aux indépendants serait de 25 dollars le feuillet (250 mots), selon la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). L'AJIQ parle de 10 dollars le feuillet. L'un est peut-être optimiste ou l'autre dramatique, le résultat reste le même: «un passeport pour la pauvreté», déplore l'AJIQ. Il ne faut pas espérer d'un journaliste qu'il serve pleinement l’intérêt public, s'il n'a même pas de quoi se déplacer pour aller chercher l'information.

Le journalisme a connu une époque plus glorieuse. Une époque où les professionnels de l'information étaient respectés par la population en tant que chien de garde de la démocratie. «Une époque où les hommes politiques accordaient des entrevues aux meilleurs journalistes et ne faisaient pas la publicité de Saint-Hubert», écrit Christian Rioux du Devoir. Aujourd’hui, la confiance des Québécois envers les journalistes s'évalue à 44% «soit beaucoup moins que celle exprimée envers les chauffeurs de taxi (63 %), les enseignants (86 %) ou les médecins (91 %)», s’inquiète le Rapport Payette. Les exemples semblent être plaqués, mais le constat n’en est pas moins navrant.

Le journalisme est devenu le fonds de commerce de quelques gros acteurs qui s'assurent de la rentabilité de l'information marchandise en recyclant une même nouvelle sur plusieurs plateformes. Une entreprise qui veille à faire croire au public que ce qu'il doit savoir et comprendre réside à l'intérieur des limites de ce qu'elle lui présente. Pour alimenter ces géants, la FPJQ évaluait, en 2005, à 4300 le nombre de journalistes au Québec, dont environ 14% de pigistes.

Dans ce contexte, peut-on en vouloir à la population québécoise de douter de la crédibilité des journalistes? Ce d’autant plus que le Conseil de presse, chargé de s’assurer d’une pratique intègre de la profession, ne dispose que d'un pouvoir de réprimande moral et ne peut contraindre les médias à souscrire à son code de déontologie? «En ce moment, les journalistes ont un code de déontologie, mais il n'a pas de dents, explique Léo Bureau-Blouin, président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) qui représente notamment les étudiants en communication de Jonquière (le mémoire de la FECQ). Ce n'est pas très efficace. Pour assurer la qualité de l'information et éviter les dérapages, il faut créer un statut de journaliste professionnel et se doter d'un code de déontologie contraignant.»

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La FECQ adhère ainsi à la première recommandation du rapport Payette qui demande la mise en place d’un statut de journaliste professionnel (JP) basé sur le respect d’un code de déontologie commun à tous. Le Conseil provincial du secteur des communications (CPSC) et le Syndicat canadien de la Fonction publique (SCFP) recommandent eux d’aller plus loin en créant un nouveau Conseil de presse indépendant ayant des pouvoirs de contraintes. Bien qu'une telle idée comporterait des coûts de restructuration que la ministre de la Culture ne pense pas être en mesure de porter, elle reflète un message clair: quand les représentants syndicaux des travailleurs de l’information de Quebecor proposent la création d'un tribunal administratif pour baliser l'information et s'assurer de l'étanchéité des salles de presse, c'est qu'il faut admettre qu'il y a nécessité de rétablir certaines choses.

Également favorable au titre de JP, l’AJIQ souhaite aller plus loin: elle demande que cette définition claire de la profession lui permette d’obtenir le droit à la négociation collective pour les pigistes. La FPJQ a fait volte-face sur son appui d'un titre de journaliste professionnel lors de la consultation. Elle demande à garder les pleins pouvoirs sur la gestion du titre pour pouvoir l'appuyer. La ministre St-Pierre s'est quant à elle questionnée sur la façon d'imposer une négociation collective à des journalistes pigistes qui ne sont pas membres d'une association, donc non recensés.

L'affaire n'est pas simple, mais les décisions finales devraient considérer l'intérêt public plus que les incommodités de gestion. Avant que quelques acteurs financiers ne prennent le contrôle total de l'information et que celle-ci soit réduite à sa plus basse expression, un renversement de la situation s'impose pour l'avenir des jeunes journalistes et de la démocratie québécoise.

 

Joëlle Robillard a assisté aux audiences montréalaises de la tournée de consultation publique sur l'avenir de l'information à l'invitation de ProjetJ qui souhaitait en dégager un regard étudiant.

 

 

Voir aussi:

Quand les intérêts de l'association l'emportent sur ceux de la profession

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La FPJQ ébranle la ministre St-Pierre

Titre professionnel: le milieu journalistique divisé

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