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WikiLeaks, l’affaire Manning, les journalistes d’investigation et la protection de leurs sources

Le soldat Bradley Manning a été condamné hier à 35 ans de prison pour avoir transmis à WikiLeaks des milliers de documents, constituant la plus importante fuite d’informations confidentielles de l’histoire des États-Unis. Une mine d’or pour les journalistes d’investigation du monde entier, mais qui les a également obligés à réfléchir sur leurs propres pratiques…

Le soldat Bradley Manning a été condamné hier à 35 ans de prison pour avoir transmis à WikiLeaks des milliers de documents, constituant la plus importante fuite d’informations confidentielles de l’histoire des États-Unis. Une mine d’or pour les journalistes d’investigation du monde entier, mais qui les a également obligés à réfléchir sur leurs propres pratiques et à renforcer la protection de leurs sources.

Le soldat Bradley Manning a été condamné hier à 35 ans de prison pour avoir transmis à WikiLeaks des milliers de documents, constituant la plus importante fuite d’informations confidentielles de l’histoire des États-Unis. Une mine d’or pour les journalistes d’investigation du monde entier, mais qui les a également obligés à réfléchir sur leurs propres pratiques et à renforcer la protection de leurs sources.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

«La masse de documents fournie par Manning à WikiLeaks a joué un rôle de révélateur, estime Alain Gravel, journaliste, animateur de l’émission Enquête à Ici Radio-Canada Télé. Mais au-delà de cette affaire, c’est certain qu’avec le numérique, le potentiel de fuite à grande échelle est immense. Ça nous met d’avantage sur nos gardes lorsque l’on recrute une source, lorsqu’on travaille avec elle.»

«De leur côté, les gens qui auraient de l’information d’intérêt public à nous donner sont très prudents, poursuit-il. Ils craignent des conséquences quant à leur emploi, des représailles physiques. On le ressent, les gens sont extrêmement craintifs lorsqu’il s’agit de transmettre de l’information à des émissions comme la nôtre.»

Un point de vue partagé par Andrew McIntosch, directeur des enquêtes journalistiques à l’agence QMI.

Manning, mais aussi Snowden

«Si l’information publiée par WikiLeaks est une véritable mine pour nous, il ne faut pas oublier que sa divulgation a pu mettre en péril certaines sources, affirme-t-il. Manning, mais encore plus Snowden, qui a révélé au printemps l’existence d’un réseau de surveillance complet de toute la communication par internet, viennent confirmer que tout ce qui est numérique peut être assujetti à des écoutes, de la surveillance, un traçage. La question qui se pose alors est de savoir si une de nos sources a recours à des outils numériques, est-ce qu’on est capable de la protéger?»

Il raconte alors qu’à lecture d’un portrait de Laura Poitras dans le New-York Times Magazine dimanche, il a failli laisser échapper mon café matinal en découvrant une citation d’Edward Snowden qui affirme qu’à la lumière des révélations de cette année, un journaliste qui communiquerait avec une source de façon non cryptée commettrait une imprudence.

«Le terme anglais est «reckless», précise-t-il, ce qui est même plus que de l’imprudence, il y a une notion de danger.»

Face à face

Ainsi, M. McIntosh avoue envisager un retour aux aux bonnes vieilles méthodes d’espionnage, des rencontres clandestines où l’information est donnée en face à face, les documents remis de la main à la main pour qu’il ne reste aucune trace.

«Chaque situation est différente, les besoins de chaque source sont différents, confie-t-il. Ça fait partie de notre travail que de réfléchir à la meilleure façon de les protéger. Depuis les révélations de Snowden, il y a des gens qui ne veulent plus parler au téléphone. Il y a un certain refroidissement. En tant que journaliste, nous avons besoin de nos sources. Elles nous aident. Mais si cette aide leur cause plus de tort que de bien, c’est sûr qu’elles ne reviendront pas vers nous.»

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Alain Gravel, quant à lui, se méfie du courriel et du téléphone cellulaire, et ne communique avec ses sources que via des lignes fixes.

«Et encore, on n’y dit rien de sensible, précise-t-il. Quand j’appelle quelqu’un pour avoir la confirmation qu’une information est vraie, ça se termine souvent par une rencontre. Les risques de se faire prendre sont moindres de cette façon, encore que je commence à être connu. On se trouve à des endroits. Il m’arrive de partir à vélo, de mettre mon casque, mes lunettes et de jaser avec une source tout en roulant. Ainsi, il y a peu de danger qu’on me reconnaisse.»

«Claque de réveil»

Si les deux journalistes disent devoir redoubler de précautions envers leurs sources, ils voient également tout un intérêt dans les révélations offertes.

«Le fondateur de WikiLeaks, Julien Assange, a raison de dire que trop de gouvernements ont tendance à classer top secret des informations routinières de façon abusive, estime Andrew McIntosh. Il a raison de vouloir tout rendre public parce que oui, il y a des choses là-dedans qui sont délicates, mais ce ne sont pas des choses secrètes. Et elles sont d’un grand intérêt pour le public.»

Le directeur des enquêtes journalistiques a lui-même fait un travail «ingrat» de lecture et de tri des différents documents publiés sur WikiLeaks, et en a sorti quelques histoires.

«Montréal est devenu le «Bangkok de l’Occident», un centre majeur d’activités criminelles, peut-on lire dans des documents rédigés entre 2003 et 2007 par des diplomates en poste au Consulat américain à Montréal, et rendus publics cette semaine par le site WikiLeaks», écrit-il notamment dans un article intitulé Montréal carrefour du crime, et publié en avril 2011.

Mais malgré les risques de surveillance à grande échelle, Andrew McIntosh ne veut pas tomber dans la paranoïa.

«Snowden nous a donné une bonne claque de réveil, note-t-il, mais ce n’est pas parce qu’un gouvernement a la capacité de surveiller, analyser, suivre les faits et gestes de tout un chacun sur les plateformes numériques, qu’il le fait. Il y a des gens qui devraient se méfier plus que d’autres. Moi-même, je sais que j’ai déjà fait l’objet d’une surveillance physique, mais est-ce que je suis sur écoute? Je ne sais pas. Et que je le sois ou pas, je fais mon travail, tout en prenant les précautions nécessaires au besoin.»

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