«Chaque permanent risque de se retrouver à la pige»
Bientôt tous pigistes? La menace est heureusement loin d’être aux portes des rédactions mais le fait que l’avenir des permanents ne soit plus tout rose pourrait bien s’avérer une opportunité pour les journalistes en statut précaire. Explications.
Bientôt tous pigistes? La menace est heureusement loin d’être aux portes des rédactions mais le fait que l’avenir des permanents ne soit plus tout rose pourrait bien s’avérer une opportunité pour les journalistes en statut précaire. Explications.
Par Hélène Roulot-Ganzmann
«La situation n’a rien d’idéale mais force est de constater que le contexte a véritablement changé depuis le conflit au Journal de Montréal, affirme André Dumont, vice-président de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ). Avant, journalistes salariés et indépendants se parlaient peu; on voyait moins nos causes comme étant imbriquées. Aujourd’hui, les permanents ne souhaitent pas que la pige se transforme en « cheap labor » de peur que ça ne devienne vraiment plus intéressant pour les patrons de presse d’éliminer des postes fixes pour faire appel à de plus en plus de pigistes. Mais aussi parce que, dans le contexte de crise dans lequel nous nous trouvons, chaque permanent risque de se retrouver à la pige un jour ou l’autre.»
Et à ce moment-là, ajoute-t-il, il a tout intérêt à ce que de meilleures conditions de travail aient été obtenues en amont par son syndicat. Paradoxalement, ces meilleures conditions passent, à court terme, par la négociation avec les employeurs de la limitation du quota de pigistes tolérés, les obligeant à ouvrir des postes en interne, à permanentiser les surnuméraires, à en faire entrer de nouveaux, piochés parmi les pigistes qui ne le sont pas par choix. Le mécanisme peut cependant s’avérer long, et il ne concerne pas les journalistes indépendants et contents de l’être, pour autant qu’on ne rogne pas toujours plus sur leurs conditions de travail et de vie.
[node:ad]Pour ceux-là, le grand cheval de bataille de l’AJIQ, c’est le vote d’une loi sur le statut du journaliste indépendant, calquée sur la loi sur le statut de l’artiste. «Nous travaillons sur ce dossier depuis bientôt 20 ans, concède Pierre Roger, président de la Fédération nationale des communications (CSN-FNC), le plus important regroupement de syndicats de journalistes salariés à l’échelle de la Province, et auquel l’AJIQ, sans être elle-même un syndicat, est affiliée. Nous appuyons cette démarche parce qu’elle est primordiale. L’AJIQ deviendrait l’interlocuteur officiel des médias désirant faire affaire avec un pigiste. Cette loi permettrait de mettre sur pied un contrat collectif type avec des conditions minimales, que chaque journaliste pourrait renégocier à la hausse. Elle assurerait des conditions de travail décentes. N’oublions pas que les tarifs de pige n’ont pas augmenté depuis plus de quinze ans dans une majorité de rédactions. Malheureusement, le dossier piétine et il faut absolument qu’on le pousse avec un peu plus de vigueur pour le faire avancer.»
Dans ce cas, comme dans celui du recours collectif intenté par l’AJIQ contre une dizaine de rédactions ne respectant pas les droits d’auteur de ses membres, les syndicats de salariés affiliés à la FNC sont là en soutien. «De façon générale, ils sont empathiques et ils nous appuient dans nos combats, estime André Dumont. Ils ne nous apportent pas une aide concrète avec de l’argent, des ressources, de la logistique. Ils ne vont pas jusqu’à revendiquer, auprès de leur employeur, une amélioration des nos conditions. Ils pourraient le faire, d’autant que dans certaines rédactions, les pigistes cotisent au syndicat. Le fait d’être affilié à la FNC-CSN nous donne cependant les moyens juridiques de poursuivre des rédactions, par exemple. Nous bénéficions de leur expérience en matière de négociation et nous obtenons des conseils stratégiques. Mais ils ne font pas la bataille pour nous! »
Des conseils stratégiques qui seront précieux dans les prochaines semaines, alors que l’AJIQ se lance dans un combat contre TC Média et son nouveau contrat de pige. «Nous allons nous rencontrer dans les jours qui viennent, assure Pierre Roger. Pour déterminer ensemble comment nous pourrions les accompagner dans leur démarche. Ce contrat est épouvantable! Il oblige le pigiste à céder ses droits d’auteur et ses droits moraux dans tout l’univers et jusqu’à la fin des temps, ironise-t-il. Nous allons tenter tout ce qui est en notre pouvoir pour faire revenir l’employeur à la raison… mais il faut bien avouer que la situation économique lui est favorable. Le meilleur moyen de pression, ce serait que personne n’accepte ces conditions… mais tout le monde a un loyer ou une hypothèque à payer.»
«Nous sommes tous confrontés à des attaques, conclut André Dumont. Salariés comme indépendants. Tous les grands groupes de presse cherchent à réduire la qualité de nos conditions de travail. Dans ce contexte, nous n’avons pas d’autre choix que de se mobiliser et se serrer les coudes.» Un simple vœu pieux? De la réponse dépendra l’avenir du métier de journaliste, de son indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics et des milieux d’affaires, donc de notre démocratie.