Premier regard scientifique sur la chronique politique montréalaise
Les premières chroniques contemporaines ont fait leur apparition vers 1920. Au Québec, la popularité de la chronique s'est accélérée à partir de 1985 pour atteindre des sommets avec l'avènement du blogue. En pleine crise, la presse écrite actuelle table sur ce genre pour fidéliser son lectorat. Malgré son rôle unique au sein des médias, la chronique n'a jamais été étudiée systématiquement ni au Québec ni dans le reste du Canada.
Par Marie Lambert-Chan, Journal Forum, hebdomadaire d'information de l'Université de Montréal
Les premières chroniques contemporaines ont fait leur apparition vers 1920. Au Québec, la popularité de la chronique s'est accélérée à partir de 1985 pour atteindre des sommets avec l'avènement du blogue. En pleine crise, la presse écrite actuelle table sur ce genre pour fidéliser son lectorat. Malgré son rôle unique au sein des médias, la chronique n'a jamais été étudiée systématiquement ni au Québec ni dans le reste du Canada.
«Au départ, je voulais comprendre pourquoi le public lisait les chroniques, mais j'ai constaté que personne n'avait défini précisément ce genre et qu'aucun chercheur d'ici ne s'était penché sur cette question. J'ai donc plutôt tenté de jeter un premier regard scientifique sur ce type de journalisme», explique Pénélope Poirier, qui a consacré son mémoire à la chronique politique montréalaise.
Selon ses observations, si les définitions de la chronique demeurent floues, c'est que le monde journalistique ne tient pas à l'encadrer de façon stricte. «On ne veut pas limiter la variété de sujets ou d'opinions qu'on y aborde, pas plus qu'on ne veut imposer des standards de formation aux chroniqueurs», précise-t-elle.
Ce vide lexical étant pour ainsi dire intentionnel, Pénélope Poirier s'est donc appliquée à désigner les éléments caractéristiques de la chronique politique. Elle a réuni près de 500 chroniques publiées entre 1991 et 2011 dans La Presse, Le Devoir, Le Journal de Montréal et The Gazette.
Toutes les publications ont aujourd'hui des habitudes de mise en pages qui mettent en valeur les chroniques: l'ajout systématique de la photo de l'auteur, une disposition distincte et un emplacement permanent, mais différent de l'éditorial. «Ces procédés étaient peu évidents il y a 20 ans. Au fil du temps, ils se sont raffinés», observe Pénélope Poirier, qui a été dirigée dans ses recherches par le professeur Claude Martin, du Département de communication de l'Université de Montréal.
La chronique se démarque aussi des autres genres journalistiques par la liberté accordée à son auteur. «Le sujet, le ton, le format, les images, tout est à la discrétion du chroniqueur», signale-t-elle.
Cette liberté ne vient pas sans responsabilités, selon l'un des cinq chroniqueurs que Pénélope Poirier a interviewés. «J'écris ce que je veux, dans les limites du journalisme et de ce qui est raisonnable et responsable. […] Les faits sont très importants aussi, tu ne peux pas les dénaturer pour le plaisir d'avoir une opinion ou pour adapter l'actualité à ta chronique.»
Pas étonnant que tous les chroniqueurs interrogés aient affirmé être journalistes avant d'être chroniqueurs. Après tout, ils ont fait du reportage politique avant de changer de fonction. «Leurs réflexes journalistiques ne sont jamais bien loin, remarque-t-elle. Ils se promènent toujours à l'Assemblée nationale, cultivent leurs relations, accumulent les faits pour soutenir leur argumentation.» Cela explique pourquoi les chroniqueurs préfèrent traiter de l'actualité dans leurs papiers et choisissent davantage l'explication plutôt que la prise de position, ajoute-t-elle.
Vedettes malgré eux
Les chroniqueurs sont bien connus du public en raison de leur apparition fréquente dans d'autres médias, mais aussi parce qu'ils sont au centre des campagnes publicitaires des journaux. «Ils deviennent des vedettes malgré eux», mentionne Pénélope Poirier.
«Je suis toujours mal à l'aise avec la vedettisation des journalistes, a confié un chroniqueur à Mme Poirier. D'autant que je trouve ça un peu insultant pour ceux qui sortent la nouvelle, qui travaillent super dur et qui souvent nous alimentent.»
On pourrait croire que cette célébrité rend les chroniqueurs politiques plus influents auprès de la population ou des politiciens. Mais les principaux intéressés n'en croient rien. «On a une certaine influence, mais on ne fait pas et on ne défait pas les gouvernements», dit l'un d'eux.
Pénélope Poirier, qui travaille actuellement en révision de textes tout en poursuivant des études en traduction, espère avoir posé les jalons de l'étude de la chronique. Beaucoup reste encore à faire, estime-t-elle. «On devrait analyser les chroniques culturelles, sportives, économiques et d'humeur et explorer tous ces genres à partir des points de vue des patrons de presse et des lecteurs.»