Intimidation de la part d’Hydro-Québec?
Le comité aviseur de la municipalité de Saint-Adolphe d’Howard, dans les Laurentides, accuse Hydro-Québec «d’intimidation» et de «tentative de bâillonnement d’un média régional», en l’occurrence l’hebdomadaire Point de Vue Sainte-Agathe.
Le comité aviseur de la municipalité de Saint-Adolphe d’Howard, dans les Laurentides, accuse Hydro-Québec «d’intimidation» et de «tentative de bâillonnement d’un média régional», en l’occurrence l’hebdomadaire Point de Vue Sainte-Agathe.
Par Hélène Roulot-Ganzmann
Le comité aviseur a pris la défense du journal régional de TC Media dans une lettre adressée à Josée Morin, Chef des affaires publiques et médias à Hydro-Québec, dont ProjetJ a obtenu copie.
L’affaire remonte au 10 septembre dernier. Brigitte Bertrand, journaliste à Point de Vue Sainte-Agathe, signe un article intitulé Lignes de haute tension: la lutte n'est pas finie. Elle y fait le point sur la mobilisation des citoyens de la petite ville de Saint-Adolphe d’Howard, qui tentent depuis plusieurs mois de faire modifier le tracé de la future ligne à haute tension allant de Mont-Tremblant à Sainte-Adèle et Saint-Sauveur. Ce tracé, selon la population, viendrait défigurer le paysage autour du lac des Trois-Frères, en plus de nécessiter un déboisement majeur.
«Ce genre de projets passe normalement par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), et est donc soumis à des études d’impact, explique Sarah Perreault, membre du comité aviseur et par ailleurs journaliste, et dans le domaine de la communication scientifique depuis presque 25 ans. Mais il y a une faille dans la règlementation et les citoyens ont découvert avec surprise qu’il n’y aurait pas de BAPE. Depuis, nous faisons des démarches auprès du gouvernement pour que le projet soit soumis aux citoyens et qu’il y ait de véritables discussions. Nous avons notamment déposé à l’Assemblée nationale une pétition qui a recueillie plus de 4 000 signatures.»
Cette faille dans le règlement serait en fait «une fraude intellectuelle» de la part de la société d’État, à en croire Jean-Claude Deslauriers, ex-ingénieur d’Hydro-Québec, embauché comme expert par la municipalité de Saint-Adolphe. Dans un reportage de Christian Latreille diffusé à Radio-Canada le 12 juin dernier, il confirme avoir constaté que la ligne projetée ne peut pas être, comme l’affirme Hydro-Québec, à 120 kilovolts, mais bien à 315 kilovolts, ce qui est tout à fait différent en termes de taille de pylônes, donc d’impact sur le milieu de vie. Dans ce même reportage, Sarah Perreault évoque une manœuvre d’Hydro-Québec dans le but justement, d’éviter de se soumettre au BAPE.
Retirée du dossier
Mais l’article écrit par Brigitte Bertrand n’a pas été du goût de Natalie Roussel, Chef Relations avec le milieu et projets spéciaux Laurentides à Hydro-Québec, qui remplaçait à ce moment-là Sophie Lamoureux, en charge du projet. Au lieu de chercher à rejoindre la journaliste, Madame Roussel a préféré directement appeler Mychel Lapointe, le chef des nouvelles. Un bref entretien, suivi d’un communiqué.
«Brigitte Bertrand ne nous a pas demandé d’entrevue, reproche Sophie Lamoureux. Il y avait dans son article des éléments faux et nous devions apporter des précisions. Ce tracé soulève des préoccupations au sein de la population et des lecteurs de Point de Vue. C’est par soucis d’exactitude que nous avons demandé à parler à M. Lapointe et que nous lui avons ensuite envoyé par courriel les précisions à apporter», défend Mme Lamoureux, en entretien à Projet J.
Mais le comité aviseur juge le geste de Mme Roussel démesuré, d’autant que Brigitte Bertrand a écrit un dernier article sur le sujet le 16 septembre, tenant compte des précisions d’Hydro-Québec, avant de se voir retirer le dossier.
«Avant cela, elle m’a téléphoné parce que son premier article reprenait principalement mes propos, raconte Sarah Perreault. Elle était ébranlée, je la sentais secouée. Ne perdons pas de vue que Mme Roussel est cadre chez Hydro-Québec. Ça a du poids. C’est facile pour elle de prendre le téléphone et de mettre la pression. J’étais un peu inquiète pour Brigitte Bertrand, alors j’ai cherché à la joindre. Là, je suis tombée sur un message disant qu’elle était absente pour une durée indéterminée. Elle m’a réécrit à son retour pour me dire que le dossier avait été transféré à un collègue plus expérimenté qu’elle.»
(paragraphe modifié – 19 février 2014) En l’occurrence René-Pierre Beaudry, qui signe désormais les articles sur le sujet. Ni lui, ni Brigitte Bertrand, qui s'est absentée du bureau pour quelques jours, ni Mychel Lapointe, n’ont souhaité répondre aux questions de Projet J.
Prix de la Noirceur
«Nous sommes clairement en face d’un geste d’intimidation, accuse Sarah Perreault au nom du comité aviseur. Dans ce dossier, Hydro-Québec tente de contrôler l’information depuis le départ. Je me suis fait reprocher par Sophie Lamoureux de ne pas l’avoir prévenue lorsque nous avons lancé la pétition. En fait leur but, c’est que ça ne fasse surtout pas de vague. Parce que si nous arrivons à les obliger à passer par le BAPE, ce qui est loin d’être gagné, ils devront faire la démonstration que leur projet est acceptable socialement. Or, un des critères pour le démontrer, c’est la manière dont les médias en traitent.»
Un geste qui aurait d’ailleurs déjà eu pour conséquences une certaine frilosité à son égard, à en croire Mme Perreault.
«Le problème, il est là : que va-t-il se passer la prochaine fois qu’un journaliste va proposer un sujet sur Hydro-Québec à Point de Vue? Le patron va hésiter… il va se dire qu’il a déjà eu assez de problèmes la dernière fois. Quelques jours après cette affaire, j’ai d’ailleurs déposé un mémoire à la Commission des enjeux énergétiques, précisément sur cette saga Saint-Adolphe, et René-Pierre Beaudry était là. Lui-même était très frileux à en parler.»
Le journaliste a toutefois écrit un article à ce sujet le 23 septembre dernier.
De son côté, Hydro-Québec plaide la bonne foi et assure à Projet J ne pas avoir demandé le retrait de Brigitte Bertrand. Rappelons cependant que la société d’État a reçu en 2009, le premier prix de la Noirceur, remis par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) à l’organisme public qui manifeste le moins de transparence et pose le plus d’obstacles à la diffusion de l’information. Et les journalistes qui ont régulièrement à se frotter à l’entreprise font souvent état de son peu d’entrain à collaborer.
Complément: Sarah Perreault précise que M. Beaudry n’était pas présent lors du dépôt du mémoire mais qu'il avait pris connaissance du document. Ils se sont parlés au téléphone par la suite. De plus, les citoyens de Saint-Adolphe veulent faire annuler le tracé, pas simplement le faire modifier. Ils s’opposent à toute ouverture d’un nouveau corridor de ligne à haute tension car ce projet menace le paysage sur une vingtaine de kilomètres à travers la municipalité.