Faire des relations publiques oui, mais pas pour n’importe qui
Parce que leurs postes sont coupés et qu’ils n’en retrouvent pas ailleurs ou parce qu’ils ne s’accommodent pas des nouvelles conditions de travail inhérentes à l’arrivée du numérique dans les salles de nouvelles, de nombreux journalistes choisissent de déserter le métier et nombre d’entre eux se retrouvent dans le secteur des relations publiques. Avec l’impression de trahir un tant soit peu leur idéal? Non, affirment-ils. Parce qu’ils choisissent avec précautions la cause qu’ils vont devoir défendre.
Parce que leurs postes sont coupés et qu’ils n’en retrouvent pas ailleurs ou parce qu’ils ne s’accommodent pas des nouvelles conditions de travail inhérentes à l’arrivée du numérique dans les salles de nouvelles, de nombreux journalistes choisissent de déserter le métier et nombre d’entre eux se retrouvent dans le secteur des relations publiques. Avec l’impression de trahir un tant soit peu leur idéal? Non, affirment-ils. Parce qu’ils choisissent avec précautions la cause qu’ils vont devoir défendre.
Durant tout l’été, ProjetJ met un coup de projecteur sur ces ex-journalistes qui ont décidé de quitter le métier.
Par Hélène Roulot-Ganzmann
Pendant plus de trente ans, Rose-Aline Leblanc a été en relation avec le service des communications de l’Université du Québec à Montréal (Uqàm). Trente ans durant lesquels, en tant que recherchiste, principalement à Radio-Canada, elle a appelé pour être mis en relation avec un professeur ou un chercheur, ou pour avoir plus d’informations sur un projet de recherche ou les résultats d’une étude. Mais depuis bientôt trois ans, c’est elle qui répond aux différentes sollicitations en provenance des salles de nouvelles.
«J’ai toujours été pigiste et je le suis encore à l’Uqàm, je ne recherchais donc pas la sécurité de l’emploi, affirme-t-elle. Mais depuis quelques années, chaque fin de saison, je me questionnais, je me demandais si je voulais vraiment continuer. Les conditions de travail se dégradaient. Sur la fin, j’étais toute seule à faire le travail que l’on faisait à deux ou trois cinq ans plus tôt. Tout était toujours revu à la baisse. Je faisais des efforts constants pour tenter de gagner la même chose que l’année précédente. Et pourtant, je n’avais pas à me plaindre. Je travaillais autant que je le voulais et je pouvais même choisir mes contrats.»
Alors, elle a vu ce poste à l’Uqàm, elle a appliqué et elle l’a eu. Elle ne savait pas combien de temps ça durerait. Elle ne savait pas si elle retournerait ensuite à la recherche. Mais ça va bientôt faire trois ans et elle n’a aucun regret.
«Je suis d’ailleurs très étonnée parce que j’avais un fort sentiment d’appartenance à Radio-Canada, note-t-elle. C’est là que j’ai tout appris, et ça me sert encore beaucoup aujourd’hui d’ailleurs. Je pense que j’ai été choisie parce que je connaissais l’intérieur d’une salle de nouvelles. Je sais ce que les journalistes et les recherchistes veulent. Je comprends leur urgence…»
Besoin de résultats plus concrets
Même discours de la part d’Émilie Russo. Journaliste pendant quatre ans, tour à tour pigiste ou à l’emploi notamment pour TC Média et Radio-Canada, la jeune femme a laissé tomber sa jeune carrière il y a trois ans pour travailler au service des communications de la Fondation du Dr Julien.
«Mon rêve était de travailler à Radio-Canada et ça y est, c’est ce que je faisais, raconte-t-elle. C’est alors que j’ai compris que ça ne me convenait pas. Entre la radio, la télé, le web, le rythme est trop dense, le temps de collecte de nouvelles réduit. Ça dessert le droit à l’information. Bref, je ne pouvais pas faire mon travail comme je l’entendais, sans compter que j’étais sur appel et qu’il m’arrivait d’être réveillée à 5 heures du matin pour être à 8 heures à Trois-Rivières. J’étais en pleine réflexion sur ma volonté ou non de continuer, quand d’autres considérations d’ordre plus personnel m’ont amenée à reconsidérer ce mode de vie difficile.»
Éprise de justice sociale, engagée dans le milieu associatif, le droit de réserve inhérent au journalisme commençait aussi à lui peser. Elle souhaitait prendre position, avait besoin de résultats plus concrets. Pour rien au monde, elle ne serait entrée au service d’une entreprise privée ne représentant pas ses convictions, mais elle se sent tout à fait à l’aise à promouvoir les actions de la fondation du Dr Julien.
«Je ne regrette jamais mon choix mais c’est sûr qu’il y a des choses qui me manquent, ajoute-t-elle. Je porte toujours un regard de journaliste sur tout, je vois des idées de reportages à tous les coins de rue. Mais je garde des amis dans le milieu, alors je les leur propose.»
«Je ne voyais plus la finalité»
Florence Meney, quant à elle, est arrivée à la direction des communications et affaires publiques de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas un peu plus tôt ce printemps, après une expérience malheureuse en tant que cadre au Journal de Montréal.
«J’ai adoré être journaliste, précise-t-elle. Je l’ai été depuis l’âge de 19 ans, d’abord en continuant à faire mes études, et majoritairement à Radio-Canada. Mais le contexte ne me nourrissait plus intellectuellement. J’avais fait le tour, je ne voyais plus de sens à ce que je faisais. Ce sens-là, je l’ai retrouvé depuis que je suis à l’Institut Douglas. On travaille pour les patients, on travaille pour la recherche, je suis en contact avec des gens qui font des découvertes incroyables, qui essayent d’améliorer le sort de l’humanité… ça parait naïf, mais j’en apprends vraiment tous les jours! Ça me fait tellement de bien de changer d’univers. J’en étais venue à produire de l’utilitaire en nouvelles et ça ne m’intéressait pas. Je comprends que d’autres s’y retrouvent et j’ai des collègues qui font encore un travail extraordinaire. Mais moi, dans mon rôle, je ne voyais plus la finalité.»
Comme les autres, Mme Meney assure cependant que ce qu’elle fait aujourd’hui fait appel à des qualités de journaliste. La curiosité, l’ouverture d’esprit, la capacité de communiquer des choses de façon simple, concise, de s’intéresser aux autres. Des qualités qu’elle dit utiliser finalement plus maintenant, que dans ses anciennes fonctions de journaliste.
«Je fais gagner du temps aux journalistes parce que je sais ce qui va intéresser qui, précise-t-elle. Je ne me vois d’ailleurs pas du tout comme leur ennemie dans la mesure où j’ai choisi un employeur dont je partage les valeurs. Mais c’est certain qu’il y a plus d’endroits où je n’aurais pas travaillé que d’endroits où je pourrais travailler.»
«Je n’ai pas l’impression de faire totalement autre chose»
Pour Philippe Renault aussi, avoir quitté le journalisme est une véritable liberté. Chroniqueur culturel au Journal de Montréal, il n’a pas eu le gout de reprendre le chemin de la salle des nouvelles après les deux années de lock-out. Alors quoi faire? Retourner dans les hebdos? Aller taper à la porte d’autres quotidiens?
«Il n’y avait pas vraiment de place, surtout dans le domaine de la musique, explique-t-il. Or, c’est ma passion. Au fond, je n’ai pas l’impression de faire totalement autre chose aujourd’hui. J’écrivais sur les artistes que j’avais envie de mettre de l’avant parce que j’appréciais ce qu’ils faisaient. Aujourd’hui, je m’occupe de leurs relations avec les médias. Je suis plus proche d’eux, je peux mieux les aider, j’écris leur biographie, etc.»
Après avoir passé deux ans sur le trottoir de la rue Frontenac, Philippe Renault a donc fondé l’agence Mauvaise influence. Si ses revenus ne sont pas ceux de l’époque, il apprécie le rythme, moins soutenu, plus malléable. La liberté de choisir seulement les projets qui lui tiennent à cœur. Il aime sa vie, tout simplement.
«Je n’ai jamais l’impression de me trahir parce que je suis passé de l’autre côté de la barrière, précise-t-il. Dans le domaine politique ou dans les grandes entreprises, oui journalistes et relationnistes peuvent être des frères ennemis parce que les seconds ont souvent des choses à cacher… moi, je fais découvrir des talents aux journalistes. Je me vois plus comme un entremetteur.»
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