À Carleton-sur-Mer, un « rendez-vous citoyen » avec les journalistes en mai 2023
Par Antoine Char
La cause est entendue ! Le débat n’est pas clos pour autant. Oui le journalisme est en crise à l’heure où vérité et démocratie battent de l’aile. Non, il ne faut pas baisser les bras car c’est un métier crucial, important, le plus beau de tous diront ses praticiens. Alors ? Du 19 au 21 mai à Carleton-sur-Mer en Gaspésie, les « ouvriers de l’information » et le grand public seront sous le même chapiteau, face à la Baie-des-chaleurs, pour assister au Festival international du journalisme. Une première au Canada.
Cadre idyllique pour la réflexion sur un métier idéalisé ou décrié, ce rendez-vous printanier des férus de l’info se veut convivial et festif (expositions de photos, projections de films, pièces de théâtre … ) tout en jonglant avec les différentes facettes du « quatrième pouvoir » et mieux comprendre ses difficultés, ses contraintes.
Il s’inspire de celui de Couthures-sur-Garonne, village de 400 âmes du sud-ouest de la France qui attire chaque année depuis sept ans quelque 6000 festivaliers, « pour l’ambiance festive et décontractée », explique le directeur général du Festival de Carleton, Bertin Leblanc, ancien journaliste et réalisateur à Radio-Canada.
Pourquoi pas à New Carlisle où a vu le jour il y a un siècle un journaliste qui a marqué le paysage médiatique de son époque avant de devenir premier ministre ? « Le village n’a pas les infrastructures nécessaires », répond celui qui est né à New Richmond, localité proche de celle de René Lévesque.
« Recréer le lien entre la presse et la population »
« Avec l’équipe nous avons imaginé ce festival comme un rendez-vous citoyen avec pour ambition de mieux faire comprendre le métier et de le faire aimer. Il nous semble important de recréer le lien entre la presse et la population. L’information est un bien public et il est aujourd’hui indispensable de le rappeler. Le FIJC sera, j’espère, un espace de dialogue en cette période trouble et difficile pour les médias. »
C’est une évidence : hier comme aujourd’hui, le métier de journaliste est pris à partie, malgré un effort constant de tenter de faire le mieux en évitant le pire. Impossible perfection, en dépit de toutes les précautions suggérées par la réflexion éthique.
Le FIJC se penchera donc sur les conditions de production de l’information et sur son contenu. Une cinquantaine de journalistes canadiens, français, belges, haïtiens et mexicains seront présents pour répondre aux questions d’étudiants en journalisme « venant de partout au Canada ». La programmation (www.fijc.ca) fait d’ailleurs ressortir l’urgence de jeter « des passerelles entre le public, les professionnels des médias, pour ouvrir un nouvel espace démocratique ».
Une quinzaine de partenaires, dont l’École des médias de l’UQAM, se sont associés à ce premier festival qui, soutient Bertin Leblanc, ne va aucunement porter ombrage aux congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). « Nous sommes très complémentaires. Notre positionnement est grand public et le leur professionnel. »
La FPJQ a « très, très bien » réagi et elle « fut l’un de nos premier partenaires dans l’élaboration du projet. Son président [Michaël Nguyen] est d’ailleurs l’un de nos panélistes et deux membres de notre conseil d’administration sont des membres très actifs de la FPJQ : Blaise Gagnon et Johanne Fournier ».
« Vieux routier » du journalisme, Bertin Leblanc s’est installé à Paris en 2005 et a pris part à la naissance de France 24 en tant que rédacteur en chef. Pour lui, le citoyen peut vraiment jouer son rôle dans le maintien en santé du bien public qu’est l’information.
Un savoir-faire qui s’étiole
Et si la société a plus que jamais besoin de journalistes à l’heure où tout le monde croit l’être avec les médias sociaux, comment expliquer une cote de popularité en constante baisse ici comme ailleurs ?
À cette question, Jean-François Bélanger (Radio-Canada), présent au Festival, répond : « L’un explique l’autre. À partir du moment où tout le monde croit pouvoir s’improviser journaliste, la valeur associée à ce corps de métier, à ce savoir-faire s’étiole. On respecte les chirurgiens-cardiologues car ils ont un savoir que le commun des mortels ne maîtrise pas. Personne ne peut s’imaginer effectuer une opération à cœur ouvert mais tout le monde s’imagine écrire un reportage ou parler devant une caméra. »
Si l’éthique et la déontologie ne suffisent pas à rendre un journaliste compétent, comment le citoyen peut-il jouer son rôle dans le maintien en santé du bien public qu’est l’information ? La réponse de Bertin Leblanc : « En étant conscient du rôle primordial que joue la presse dans sa vie. »
Mais encore ? « La Covid-19, la crise climatique, la santé, l’économie, comment ferions-nous pour s’y retrouver sans les journalistes ? Il faut cependant rappeler les fondamentaux du métier et donner des clefs de compréhensions aux gens pour qu’ils puissent s’y retrouver. Avec les nombreuses plateformes, les réseaux sociaux, le commentariat, la confusion est totale aujourd’hui. L’éducation aux médias est plus urgente que jamais et nous espérons pouvoir modestement avec le FIJC y contribuer à notre manière. »
Ukraine sur l’écran-radar
La guerre en Ukraine, sous la loupe des médias depuis l’invasion russe le 24 février 2022, sera sur l’écran-radar du Festival et avec elle la place minuscule qu’occupe l’international au Québec. Bélanger, qui est allé une douzaine de fois en Ukraine depuis 2011, a une explication : « […] En Amérique du nord, on a parfois l’impression d’habiter sur une île, loin de tout. Ce phénomène est moins présent en Europe par exemple ou il est plus difficile de se désintéresser de guerres comme celle de Bosnie, ou plus récemment l’Ukraine, se passent en Europe, dans la cour arrière en quelque sorte.
« Ce phénomène est, à mon sens, encore plus marqué au Québec où les gens se sont historiquement davantage repliés sur eux-mêmes et se sont toujours sentis plus éloignés des événements se passant ailleurs sur la planète. Du fait de la distance et de la différence culturelle et de langue, pour beaucoup de Québécois, des événements se déroulant à Vancouver apparaissent déjà comme des événements étrangers. »
Selon la firme Influence Communication, la couverture moyenne de l’international dans les médias québécois oscille année après année autour de 5 %. Dur constat, mais comment y remédier ? « Raconter des histoires humaines plutôt que de présenter des statistiques. Personnaliser davantage les reportages et mettre les informations dans le contexte afin de permettre de mieux saisir leur importance », note encore Jean-François Bélanger.
Il sera avec Florence Aubenas (Le Monde), Isabelle Hachey (La Presse) et Jean-François Lépine, parrain du Festival, afin de faire vibrer l’« inter » au Festival. Pour Bertin Leblanc, il faut « donner le goût aux gens de l’international en l’incarnant par des grands journalistes tout en traitant des choses ultra-locales. L’idée est de montrer la complémentarité des choses […] On va brasser tout cela pour montrer que l’information locale et internationale est interreliée. »
Le FIJC, une première qui se veut un rendez-vous annuel des mordus de l’information.