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Facebook, beaucoup plus qu’un média social

Le «être ou ne pas être?» d’Hamlet devient, aujourd’hui et de plus en plus, «être ou ne pas être sur Facebook»? Avec à la clé des questions existentielles: quel est le sens de la vie sur Facebook, quel est le sens de Facebook, y a-t-il une vie sans Facebook? Le chapitre Je suis libre moi…

Le «être ou ne pas être?» d’Hamlet devient, aujourd’hui et de plus en plus, «être ou ne pas être sur Facebook»? Avec à la clé des questions existentielles: quel est le sens de la vie sur Facebook, quel est le sens de Facebook, y a-t-il une vie sans Facebook? Le chapitre Je suis libre moi non plus du livre Mobilisation de l’objet technique dans la production de soi, aidera les Hamlet des réseaux sociaux. Il propose une réflexion fine, concrète et philosophique à propos de Facebook.

Par Chantal Francoeur, professeure à l’école des médias de l’UQAM et membre du comité éditorial de ProjetJ
 

Le «être ou ne pas être?» d’Hamlet devient, aujourd’hui et de plus en plus, «être ou ne pas être sur Facebook»? Avec à la clé des questions existentielles: quel est le sens de la vie sur Facebook, quel est le sens de Facebook, y a-t-il une vie sans Facebook?

Le chapitre Je suis libre moi non plus du livre Mobilisation de l’objet technique dans la production de soi, aidera les Hamlet des réseaux sociaux. Il propose une réflexion fine, concrète et philosophique à propos de Facebook.

Incontournable ce Facebook, qui compte 900 millions d’usagers. Une immense communauté avec qui socialiser. Cela demande du temps. Justement, en un an, entre 2010 et 2011, le temps que les Canadiens ont consacré au réseautage social a augmenté de 32 pour cent. «Participer ou non?» serait donc de moins en moins un questionnement pertinent. «Puis-je participer à ma façon?» voilà ce que développent Maude Bonenfant et Yanick Farmer dans leur texte savant. Oui, disent-ils d’entrée de jeu, le rôle de Facebook dépend de l’usage qui en est fait. Mais cet usage est circonscrit par Facebook.

Les auteurs décrivent le peu de marge de manœuvre des utilisateurs de Facebook. On peut y écrire des commentaires, partager des liens, utiliser la messagerie. Mais le réseau offre en fait un festival de choix binaires. Oui ou non: j’utilise ou non une fonctionnalité, je remplis ou non une case, je consulte ou non, je clique ou non. La structure de Facebook impose ces choix simplistes. Selon les auteurs, il y a un «dispositif de disciplinarisation» à l’œuvre. Seuls certains comportements et certaines interprétations sont encouragés. En fait, ce qui est le plus stimulé, c’est la participation à Facebook. Ainsi la plateforme performe, et c’est le but visé: «La participation à Facebook prime sur ce qui est publié».

Par ailleurs, chaque entrée laisse une piste qui suit l’utilisateur et qui permet de le suivre. «Pour le meilleur et pour le pire», puisque chaque action produit une empreinte. Cela, encore, disciplinarise l’internaute, car «chaque trace du passé peut constituer une preuve incriminante.» C’est excitant parce que l’internaute peut évaluer sa propre pratique mais c’est angoissant parce qu’il ne peut pas s’en déprendre. Et l’angoisse s’amplifie quand il s’aperçoit qu’il perd le contrôle: il peut être identifié dans une photo d’un autre profil; un utilisateur peut partager un statut d’un autre profil; une activité peut être vue par les amis de l’ami sans qu’il fasse partie du groupe d’amis.

Bonenfant et Farmer énoncent ensuite que Facebook est un «gestionnaire» de la vie sociale: les réflexes acquis sur Facebook sont reproduits ailleurs, «toujours avec le risque de préformater les rapports sociaux.» Prendre des photos pour les mettre sur son profil, penser à des statuts à écrire pendant qu’on vit un événement: on facebooke même quand on n’est pas sur Facebook. On le fait avec aisance, parce qu’il n’y a pas de gêne, pas de malaise sur Facebook. «Un plus grand contrôle sur les étapes de socialisation existe» sur cette plateforme, qui manque de sensualité, d’incontrôlabilité, d’alterité.

Quelles sont les conséquences de cette disciplinarisation et de cette vie sociale sécuritaire, sûre? Selon les chercheurs et ça devient évident, la liberté des usagers en souffre: «La conscience de soi, moteur de la liberté, repose sur […] l’épreuve physique et psychologique résultant du caractère lourd, souffrant et parfois incontrôlable de la vie humaine.» Ce caractère lourd, souffrant et parfois incontrôlable de la vie se retrouve peu sur Facebook.

Quel est alors l’idéal éthique de l’usage de Facebook? L’internaute est une des forces en jeu. Il doit se déprendre «des conditions d’asservissement» que le dispositif Facebook impose. Pour devenir «un meilleur être humain», il faut devenir plus fort que la structure de Facebook, ses objectifs mercantiles et policiers. «Détourner le dispositif vers une recherche du bien commun et la réduction de la souffrance de tous.» Voir Facebook comme un ajout aux moyens d’entrer en relation avec les autres, de diversifier ses sources d’information et ses expériences. «Être ou ne pas être sur Facebook» devient ainsi «être sur Facebook ET être sans – ou en dehors de – Facebook».

Je suis libre moi non plus est une lecture exigeante, citant Michel Foucault, Jeremy Bentham, Emmanuel Kant et John Stuart Mill. L’ouvrage complet, intitulé Mobilisation de l’objet technique dans la production de soi, intéressera les usagers, les étudiants et les chercheurs qui réfléchissent aux liens entre la technique et les «pratiques de soi». Les valeurs, les modèles d’action, le rapport à soi et aux autres, le capitalisme, le profit, la concurrence, le rendement, la compétitivité y sont tour à tour explorés.
 

Bonenfant, M., Farmer, Y. (2012). Je suis libre moi non plus : Facebook et la production de soi. In Perraton, C., Kane, O. et Dumais F. (Eds), Mobilisation de l’objet technique dans la production de soi. Presses de l’Université du Québec.

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