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Communiquer les coulisses de la science?

RALEIGH, Caroline du Nord, Sciences Online 2014 – Une des choses sur laquelle se rejoignent scientifiques et journalistes scientifiques, c’est que le monde des communications, incluant les médias, a trop tendance à ne s’intéresser qu’à «la découverte», et pas assez au «processus»: c’est-à-dire la façon dont la science se construit. Or, je sors d’un congrès…

RALEIGH, Caroline du Nord, Sciences Online 2014 – Une des choses sur laquelle se rejoignent scientifiques et journalistes scientifiques, c’est que le monde des communications, incluant les médias, a trop tendance à ne s’intéresser qu’à «la découverte», et pas assez au «processus»: c’est-à-dire la façon dont la science se construit. Or, je sors d’un congrès qui tend à révéler, par ses non-exemples, que le constat est un peu injuste.

RALEIGH, Caroline du Nord, Sciences Online 2014 – Une des choses sur laquelle se rejoignent scientifiques et journalistes scientifiques, c’est que le monde des communications, incluant les médias, a trop tendance à ne s’intéresser qu’à «la découverte», et pas assez au «processus»: c’est-à-dire la façon dont la science se construit. Or, je sors d’un congrès qui tend à révéler, par ses non-exemples, que le constat est un peu injuste.

Par Pascal Lapointe, journaliste scientifique, auteur, blogueur sur la science et les médias. Article initialement publié sur le site de l’Agence Science-Presse, le 1er mars 2014.

Qu’entend-on par «le processus»? Tout ce qui se passe en coulisse. La démarche, plutôt que son aboutissement. Ou ce qui différencie le travail du chercheur de celui du faiseur d’opinions. Ou ce qui l’influence: la politique, les sous, les modes.

À l’atelier Communiquer le processus scientifique, dans le cadre du congrès annuel Science Online auquel j’ai assisté du 27 février au 1er mars, l’animatrice Kerstin Hoppenhaus, journaliste allemande, a fait rêver avec ce contrat qui lui a permis de passer trois mois à arpenter les corridors de l’Institut Max-Planck d’anthropologie de l’évolution, à parler aux gens et à apprendre de leur train-train quotidien.

Alice Bell, qui enseigne le journalisme en Angleterre, appelait ça, en 2010, «amener le journalisme scientifique en amont». Autrement dit: nous faire découvrir ce qui se passe avant ce «grand moment» qu’est la publication d’un article dans Nature ou Science. Dans la foulée, Matthew Nisbet, professeur de journalisme à New York, avait ajouté cette définition:

Journalistes et éditeurs – spécialement dans notre époque de coupes – ont toujours tendance à définir ce qui est «nouvelle» en science à travers la publication d’une étude scientifique, d’une façon qui couvre rarement la connaissance scientifique telle qu’elle se produit, ignorant du coup les incertitudes, les idéologies, les personnalités et les politiques qui définissent les laboratoires, les universités, les domaines et les organismes subventionnaires.

Évidemment, n’importe quel journaliste, dans quelque domaine que ce soit, aimerait bien avoir un employeur qui le paierait pour passer trois mois à creuser un sujet. Même les scientifiques présents à l’atelier convenaient que pareille opportunité ne saurait se présenter très souvent. Et comme l’a résumé Kerstin Hoppenhaus, «souvent, le processus scientifique est lent et désordonné».

D’autant que, uniquement en Caroline du Nord, il y a des milliers de recherches en cours. Qu’on soit journaliste, blogueur ou même relationniste dans une université, il faudra cibler. Et en fonction de quels critères risque-t-on de cibler? Eh bien, en premier lieu, probablement une découverte. Et en second lieu, la possibilité de raconter une belle histoire.

Raconter: c’est l’élément qu’ont souvent le plus de mal à comprendre les chercheurs. C’est qu’aucun reportage magazine – à moins d’être très court – et documentaire n’y échappe. On n’intéresse pas le lecteur non initié au boson de Higgs pendant cinq pages: on conserve son attention si on a une histoire à raconter.

Eh bien raconter cette histoire, ça veut justement dire expliquer la façon dont s’est construite cette science. Parce que si on raconte le parcours du chercheur, ou du patient, ou de l’inventeur, ou des collègues, ou de la famille, on va inévitablement parler de l’arrière-plan qui a conduit à cette percée.

Comment communiquer l’incertitude?

Il subsiste certes de grosses zones d’ombre dans cet arrière-plan, négligées par les communicateurs et journalistes. L’incertitude, par exemple, qui faisait l’objet d’un autre atelier, samedi à Science Online. Nous, journalistes, avons-nous échoué à faire comprendre qu’une découverte n’est jamais définitive, que l’incertitude fait partie inhérente de la science, et qu’incertitude n’est pas synonyme d’ignorance ni de danger?

Oui, nous avons échoué. Mais ce n’est pas juste un problème de communication scientifique, c’est un problème de société, a dit d’emblée le premier intervenant: personne n’aime l’incertitude, spécialement lorsqu’elle a un impact sur notre vie. Chez votre médecin, vous voulez des réponses claires. Nul n’est à l’aise avec l’idée d’une marge d’erreur (cancer ou pas?) ou d’un traitement dont on ne peut garantir l’efficacité à 100%. Et certains vont le prendre plus mal que d’autres: témoins, les parents anti-vaccination.

Pourtant, le malaise face à l’incertitude n’est pas monolithique. «Les prévisions météorologiques représentent un bon exemple d’incertitude avec laquelle les gens sont à l’aise», ont suggéré deux participants.

Des solutions? Parler davantage de l’incertitude dans les reportages (ou avec les nouveaux outils d’internet), mais surtout, en parler différemment avec chaque public: la mère effrayée par la vaccination de son enfant ne sera pas sensible aux mêmes choses que le climatosceptique. Aussi: utiliser du visuel, puisqu’il y a des statistiques sur la table. Placer ces chiffres dans un contexte qui va faire en sorte que la personne se sentira concernée. Raconter une histoire, encore. Et bien sûr, accomplir tout cela… brièvement.

Entre nouvelle et magazine

Les nouvelles au quotidien sont beaucoup plus à risque d’être centrées sur des découvertes. De ce côté, il y aurait place à amélioration, et pas juste en science: tout le journalisme bénéficierait d’une couverture qui soit un peu moins collée sur l’événement spectaculaire, et un peu plus «en amont».

Mais en comparaison, examinez vos magazines préférés: il y a de bonnes chances pour que «le processus scientifique» y soit beaucoup plus présent. Loin de ce qu’il aurait été si le journaliste avait passé trois mois «embedded» (à l'image de ses collègues avec l’armée), mais bel et bien là, à petites doses.

Mieux encore: il y a une évolution.

  • parce qu’internet le permet: ont été cités en modèle à l’atelier les blogueurs qui, ces derniers mois, ont publié depuis l’Afrique du Sud, où ils participent à une expédition de collecte de fossiles d’hominidés (Rising Star Expedition)
  • et parce qu’au cours de la dernière décennie, on a vu beaucoup de médias de vulgarisation, dont Science-Presse, ouvrir des rubriques «science et politique», parler de financement de la recherche, de fraude scientifique, et d’accès libre. Une évolution qu’on doit beaucoup aux médias en ligne ainsi que, dans le monde anglophone, aux blogues.

Je ne nie pas qu’il en faudrait davantage. Et du point de vue du chercheur qui ne pond pas des découvertes à la douzaine, on peut comprendre que l’accent mis sur les découvertes constituera toujours une source de frustration. Mais il était frappant de voir à Science Online autant de ces exemples encourageants défiler pendant un atelier originellement conçu autour de l’idée qu’on ne parle jamais du processus scientifique.

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