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De journalistes à biographes: l’aventure d’une vie

Longtemps considérées comme la chasse gardée des historiens, les biographies sont devenues monnaie courante dans la pratique des journalistes québécois depuis 30 ans. Exercice périlleux pour certains, opportunité de se dépasser pour d’autres, l'aventure littéraire a marqué Pierre Godin, Isabelle Massé et Martin Leclerc.   Longtemps considérées comme la chasse gardée des historiens, les biographies…

Longtemps considérées comme la chasse gardée des historiens, les biographies sont devenues monnaie courante dans la pratique des journalistes québécois depuis 30 ans. Exercice périlleux pour certains, opportunité de se dépasser pour d’autres, l'aventure littéraire a marqué Pierre Godin, Isabelle Massé et Martin Leclerc.

 

Longtemps considérées comme la chasse gardée des historiens, les biographies sont devenues monnaie courante dans la pratique des journalistes québécois depuis 30 ans. Exercice périlleux pour certains, opportunité de se dépasser pour d’autres, le genre biographique est une aventure littéraire qui a marqué Pierre Godin, Isabelle Massé et Martin Leclerc pour des raisons bien différentes.

Par Samuel Larochelle

Pierre Godin, auteur de biographies sur les politiciens Daniel Johnson et René Lévesque

Figurant parmi les premiers journalistes québécois à écrire une biographie, Pierre Godin explique avoir eu envie de rédiger autre chose qu’un reportage sur Daniel Johnson. « Après le passage du Général de Gaule au Québec dans les années 60, j’ai senti qu’un nouveau Daniel Johnson est apparu. À cette époque-là, les biographies étaient souvent très pointues et peu accessibles au public. Mais au lieu d’écrire un simple article fugitif, qui passe et qui disparait, j’avais envie d’expliquer la mutation du politicien dans un livre. Lorsque j’ai publié la biographie dans les années 80, les journalistes ne comprenaient pas qu’on puisse passer autant de temps sur un livre, comme si c’était une trop grande entreprise pour eux. »

En consacrant deux ans à la recherche et à l’écriture du livre sur Daniel Johnson et autant à chacun des quatre tomes sur René Lévesque, Pierre Godin considère avoir accompli du travail de moine. « Il faut fouiller l’écrit, l’audiovisuel, les Archives nationales et faire des centaines d’entrevues. Après avoir dégagé les thèmes importants de mes recherches, j’écrivais le scénario complet du berceau jusqu’à la mort de l’homme, avant d’écrire une seule ligne. Il ne faut pas oublier qu’une biographie demeure une histoire à raconter. Si l’auteur peut être à la fois journaliste, historien et romancier, c’est un grand avantage. »

Selon Godin, les aspirants-biographes doivent s’attendre à ce que leur travail soit très frustrant par moment. « Puisque la biographie ne vaut pas le salaire d’un journaliste à temps plein, on se demande parfois si ça vaut la peine de sacrifier du temps, de l’argent et plusieurs autres contrats passionnants. Idéalement, il faut un certain bien-être économique avant de se lancer. Je crois aussi qu’on doit avoir un grand appétit pour notre sujet et être très à l’aise avec la solitude. »

Alors que plusieurs auteurs préfèrent travailler en collaboration avec les biographiés, Pierre Godin est tout à fait contre les biographies autorisées. « Moi, je travaille sur du mort, jamais sur des personnages vivants. Je n’ai jamais demandé la permission aux familles de Daniel Johnson et de René Lévesque. Ce sont des hommes élus par les citoyens qui sont imputables devant l’histoire. Les gens doivent avoir confiance en notre travail. »

Isabelle Massé, auteure d’une biographie sur l’animateur Normand Brathwaite

Lorsque les dirigeants de la maison d’édition Québec Amérique ont proposé à Isabelle Massé d’écrire une biographie, ils ne se doutaient pas que la journaliste rêvait d’écrire un livre depuis longtemps. « Je n’ai jamais souhaité une ascension verticale dans ma carrière ou devenir boss d’une entreprise. J’ai envie de multiplier les formes d’écritures en tâtant les quotidiens, les magazines, les livres, l’humour et la télé. »

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Au moment d’identifier son biographié, Isabelle Massé s’est rappelé de l’ouverture et de la générosité dont faisait preuve Normand Brathwaite en entrevues.  « Il a eu un choc en apprenant que je voulais écrire une bio sur lui, alors qu’il n’avait que 49 ans, mais je lui ai fait valoir qu’il avait déjà 30 ans de carrière. Et puis comme on est tous les deux métissés, je lui ai dit que j’avais envie de parler de l’histoire des Noirs au Québec en écrivant sa biographie. Ça l’a allumé. » 

Contrairement à Pierre Godin, Isabelle Massé tenait à écrire une biographie autorisée. « Au Québec, le marché est petit, tout le monde se connait et personne ne veut se faire de peine. Une biographie non autorisée aurait été plus risquée, même si la charge de travail est la même. De toute façon, Normand a été très lucide en lisant mon texte. Même s’il aimait moins certains passages plus difficiles, il savait qu’il fallait du crunchy et il a accepté qu’ils soient publiés. Il m’a seulement demandé quelques corrections d’ordre factuel. »

Travaillant sur la biographie pendant quatre ans, à coup de vendredis de congé, de fins de soirées et de congé de maternité, Isabelle Massé admet avoir paniqué lorsqu’elle s’est lancée. « Le travail de recherche était tellement grand que j’avais l’impression de faire l’équivalent d’une maîtrise. Je parlais de sa vie, d’histoire, de politique, de géographie, d’architecture et de sociologie. J’ai même dû faire un plan pour la première fois de ma vie, alors que je n’avais jamais cru à ça auparavant. C’était vraiment un projet imposant. »

Martin Leclerc, auteur de Game Over, la biographie sur le joueur de baseball Éric Gagné 

Martin Leclerc l’affirme sans détour : il voulait écrire la biographie sur Éric Gagné depuis longtemps. « Son histoire détonnait de ce qu’on voyait dans le monde du sport au Québec. Un gars de Mascouche qui devient une vedette des Dodgers de Los Angeles et qui rencontre autant d’adversité, ça donnait une histoire humaine fascinante à raconter. »

Selon le journaliste sportif, le lanceur n’a pas été difficile à convaincre. « Son image avait été sérieusement entachée par le rapport Mitchell sur le dopage. Il ne voulait pas se blanchir avec la 

biographie, mais il tenait à expliquer aux Québécois comment ça s’était passé. Il se disait que si les gens le considéraient comme un paria après avoir lu le livre, ils le feraient en sachant que tout n’était pas tout noir ou tout blanc. C’était comme une thérapie pour lui. Il a même refusé le contrat d’une maison d’édition new-yorkaise pour éviter que ça fasse un scandale aux États-Unis. Il voulait garder ça au Québec. »

Malgré le bien-être procuré au biographié, Martin Leclerc explique qu’il n’aurait jamais accepté d’accorder un droit de regard à Gagné. « Je suis journaliste, pas agent de relations publiques. Je lui ai dit très clairement que si on allait de l’avant, il devait accepter de tout me dire. À l’exception des inexactitudes factuelles qu’il m’a fait corriger en lisant mes chapitres, il m’a demandé de changer une seule chose : il voulait que j’insiste davantage envers son ex-femme dans les remerciements. Rien de plus. »

Leur collaboration était à ce point franche et naturelle que le journaliste s’est permis d’écrire la biographie à la première personne. « Le livre contient plusieurs passages très personnels, dont ceux où Éric s’exprime sur le dopage, et je voulais que les lecteurs aient l’impression que ça venait de sa bouche. Je pense aussi que c’est plus convivial pour eux de se faire raconter l’histoire par Éric. Et comme on se connait depuis longtemps, c’était assez simple. Si c’était à refaire avec une autre personne, j’hésiterais peut-être à écrire au "je". »

Leclerc compte d’ailleurs répéter l’expérience très rapidement. « J’ai tellement eu de plaisir à écrire le premier livre que je veux en écrire un tous les 18 mois. Présentement, je travaille sur un projet où 50 personnalités du sport au Québec me racontent une histoire extraordinaire. Ensuite, je veux écrire d’autres biographies. Je pense qu’en sports, le genre est négligé au Québec. Avec Game Over, on a vendu 18 000 copies dans les deux premières semaines. Ça prouve qu’il y a une demande. »