Décrire avec honnêteté des projets de coopération internationale
Le livre « ‘Qui a dit que nous avions besoin de vous?’ Récits de coopération internationale » interpellera les journalistes qui ont déjà eu l’impression de ne pas aller au fond d’une question. De ne pas pouvoir tout dire. Pas par manque de temps, ni par manque d’espace. Plutôt à cause de la complexité d’une situation. Complexité si profonde qu’aucun angle de reportage ne permet de l’englober.
Le livre « ‘Qui a dit que nous avions besoin de vous?’ Récits de coopération internationale » interpellera les journalistes qui ont déjà eu l’impression de ne pas aller au fond d’une question. De ne pas pouvoir tout dire. Pas par manque de temps, ni par manque d’espace. Plutôt à cause de la complexité d’une situation. Complexité si profonde qu’aucun angle de reportage ne permet de l’englober.
par Chantal Francoeur, professeure à l’école des médias de l’UQAM et membre du comité éditorial de ProjetJ
Rencontrer des coopérants internationaux, leurs clients, leurs patrons, leurs collègues, leurs ennemis. Le faire à travers un roman qui n’est pas un roman, ni un essai. Plutôt le vivre comme une immersion ethnographique. Le livre « Qui a dit que nous avions besoin de vous? » offre une plongée dans le monde du développement international. Le lecteur partage la vie intime des développeurs, ministres, agrozoologistes, ingénieurs, et voit naître et mourir des projets bien intentionnés.
Par exemple, un puits construit au Sahel a tenu deux mois. Les pompes fonctionnent et il y a assez d’eau mais le puits est fermé : « Les pâturages sont trop éloignés. Cette eau ne sert à personne. » Il y a quand même des gardes armés près du puits fermé : « À cause des Touaregs qui descendent du Mali, ils veulent s’installer ici et ainsi accaparer le puits. » Est-ce grave, est-ce dommage, est-ce regrettable? Pas pour l’ingénieur qui a construit le puits. Il a rempli son mandat. C’est d’ailleurs un tour de force, construire un puits en profondeur en plein Sahel. Cela rehausse un curriculum vitae.
L’auteur, feu Jacques Claessens, a eu un bureau de gestion en développement de projets internationaux à Montréal. Il connaissait bien le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la Banque mondiale et l’Agence canadienne de développement international (ACDI). Sa compagne, Constance Fréchette, s’est assurée que le manuscrit de son mari devienne un livre, une « docufiction » écrite.
Le lecteur fait la connaissance de blancs qui ne manquent pas d’ego, qui pensent pouvoir aller de l’avant sans tenir compte de l’avis des citoyens visés. Qui, en une seule phrase, peuvent perdre une partie de la confiance d’un chef de village. Et qui rendent des rapports de fin de mission sans s’être assurés que les solutions proposées répondent aux besoins de la population locale.
[node:ad]L’auteur décrit le terrain dans ses moindres détails : « 1er juillet, 44 degrés à l’ombre, indice humidex de 66%. 20 juillet, 46 degrés, indice humidex de 70%. » D’autres descriptions montrent la rigidité des programmes d’aide : « Le PNUD fonctionne par cycles de quatre ans […] Si une demande ne respecte pas les échéances, elle passe son tour jusqu’au prochain cycle. » Bien gérer, c’est donc « faire tourner la machine », dépenser dans les temps prévus. Peu à peu, le lecteur saisit la complexité des situations et voit venir les échecs et les rares succès.
L’ouvrage est l’antithèse d’un rapport froid et impersonnel. C’est une sorte de décapage des micros solutions offertes à de macros problèmes. C’est aussi un objet ironique : Claessens raconte une rencontre avec un coopérant international Burkinabé, formé en Chine, dont la thèse de maîtrise au sujet imposé porte sur « Les chiens de boucherie et leur valeur nutritive. » Son premier contrat de développement international a eu lieu au Nunavut. Il devait améliorer « la gestion et les parcours des troupeaux de caribous. » Le coopérant déplore le fait qu’il n’ait pas pu avoir d’interlocuteur inuit.
Des journalistes reconnaîtront les multiples facettes du malaise décrit par Claessens. Pour qui a déjà préparé un reportage sur un projet de développement, constaté que sur papier, le projet est crédible, puis, être allé sur le terrain et avoir pressenti que le projet allait déraper pour mille petites raisons : le mépris du maire pour les citoyens visés; le manque d’organisation et de cohésion de la communauté; l’inadéquation entre le projet et les besoins réels; l’obligation de dépenser des sommes dans un délai strict; les luttes de pouvoir, les mensonges et mesquineries, etc.
L’ouvrage de Jacques Claessens touchera ces journalistes, même ceux qui n’ont pas fait de reportage international. Il confirmera leurs intuitions, leur malaise. Il les touchera aussi parce que le verdict de Claessens est sans appel mais sa description est toute en nuances. Un modèle pour les journalistes, ce livre? Plutôt une illustration des forces d’un roman et des limites d’un reportage. Claessens fait sa démonstration en 256 pages et il change les noms des acteurs principaux. Mais il parle de vrais projets.
Référence : Claessens, Jaques. (2013). Qui a dit que nous avions besoin de vous? Montréal : Les Éditions Écosociété.