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Entretien exclusif sur le reportage de guerre

Ferdinand Mayega, Trois-Rivières | Le reporter est un journaliste acteur de l’histoire immédiate. Mais, le reportage de guerre demande de nombreuses contraintes, une dose de courage parce qu’il représente un risque certain pour le journaliste. Pour en savoir davantage sur ce journalisme difficile exercé dans les foyers de tension où le reporter est souvent mal…
Ferdinand Mayega, Trois-Rivières |

Le reporter est un journaliste acteur de l’histoire immédiate. Mais, le reportage de guerre demande de nombreuses contraintes, une dose de courage parce qu’il représente un risque certain pour le journaliste. Pour en savoir davantage sur ce journalisme difficile exercé dans les foyers de tension où le reporter est souvent mal vu d’un camp comme de l’autre malgré son souci d’impartialité, nous sommes allés à la rencontre de M. Aimé-Jules Bizimana. Ce journaliste canadien d’origine burundaise est chercheur au Groupe de recherche interdisciplinaire sur la communication, l’information et la société (GRICIS) et chercheur associé à la Chaire Hector-Favre d’histoire, spécialiste des pratiques journalistiques en temps de guerre à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et auteur de l’ouvrage intitulé : « De Marcel Ouimet à René Lévesque : les correspondants de guerre canadiens-français durant la Deuxième Guerre mondiale. » 


Qu’est-ce qui a motivé votre spécialisation dans les pratiques du journalisme en temps de guerre et l’intérêt d’écrire un livre sur les correspondants de guerre canadiens-français notamment Marcel Ouimet et René Lévesque devenu aussi un grand homme politique du souverainisme québécois?

Je dirais que la première motivation, c’est mon intérêt depuis le secondaire et l’université pour le travail des médias. Ma préoccupation était de faire des recherches dans ce cadre et particulièrement sur le journalisme de guerre. C’est le contrôle de l’information en situation de conflit qui m’a intéressé et en travaillant sur la Deuxième Guerre mondiale, je me suis aperçu notamment que durant cette période, le Québec a eu des correspondants de guerre. Ces Canadiens-français ont fait un travail remarquable notamment le journaliste Marcel Ouimet qui travaillait pour le Réseau francophone au Québec et René Lévesque pour La Voix d’Amérique aux côtés des troupes américaines. Voilà comment des concours de circonstances m’ont poussé à m’intéresser au journalisme de guerre.   

Quels sont les préalables et les qualités d’un bon reporter de guerre?

Parler des qualités d’un bon reporter de guerre… je préfère plutôt insister sur les qualités d’un bon journaliste d’une manière générale. Le respect des normes éthiques, du code déontologique que doit respecter tout journaliste. Il ne faut pas oublier que les journalistes d’une manière générale servent l’intérêt public et doivent être le plus impartial possible en ayant à coeur les critères de recherche de vérité, de rigueur. La difficulté ici quand on parle de couverture de guerre, c’est de ne pas oublier que la vérité est le plus souvent la première victime de la guerre, comme disait un sénateur américain, c’est le cas dans plusieurs conflits du monde, notamment avec certains reporters de guerre américains en Irak, par exemple.

En quoi le reportage de guerre se distingue-t-il fondamentalement de tous les autres types de reportages qui peuvent être aussi dangereux?

La guerre est un champ d’instrumentalisation des rapports de force et par conséquent, le reportage de guerre d’un journaliste sur le terrain de combat se distingue du reportage parlementaire d’un reporter qui couvre les débats à la Chambre des communes. Le reporter de guerre qui va couvrir le conflit armé à partir d’un bunker à Bagdad doit penser au moindre détail et va se soucier d’emmener avec lui tout un appareillage pour se protéger à la fois contre les tirs ennemis mais aussi les tireurs embusqués et autres menaces réelles car la guerre a ses risques propres. Il ne faut pas oublier que comme les militaires, les reporters de guerre souffrent souvent du syndrome post-traumatique. Aujourd’hui, dans certaines grandes rédactions, les journalistes qui doivent aller couvrir la guerre reçoivent une formation particulière, une mise en conditionnement et beaucoup d’autres conseils pour une meilleure préparation psychologique lors de la couverture médiatique. Dans certaines de ses rédactions aussi, quand le journaliste est de retour, on met à sa disposition un conseiller psychologique, c’est-à-dire qu’il y a cette prise en compte du risque pour le reporter de guerre qui ne s’applique pas aux autres journalistes.  

L’impartialité dans le traitement de l’information en temps de guerre est–elle vraiment possible pour un journaliste d’un pays impliqué militairement dans les affrontements? Le cas des journalistes américains entre le marteau du Pentagone et les mortiers des GI en Irak, pour prendre ce cas précis lors des deux guerres du golfe?

Évidemment, la difficulté pour un journaliste qui couvre la guerre vient du fait que tout d’abord, il faut avoir l’autorisation de son média, ensuite il doit
être accrédité auprès du ministère de la Défense ou du quartier général ou tout simplement des autorités du pays. Les journalistes qui s’obstinent à couvrir la guerre sans passer par le filtre militaire connaissent toutes les difficultés du monde. Ces reporters auront toutes les peines du monde à exercer librement leur métier. C’est dans la même situation que se trouvent les journalistes indépendants qu’on appelle aussi les unilatéraux puisqu’ils peuvent se faire tirer dessus pour la simple et unique raison qu’ils ne sont pas reconnus par les officiels. Les militaires considèrent généralement les journalistes indépendants comme des persona non grata. C’est là la première difficulté. Deuxième difficulté : même pour ceux qui se font reconnaître auprès des forces d’opérations, parce qu’ils couvrent le conflit auprès des soldats en question, les journalistes doivent respecter une discipline qui leur ait imposée. Pour cette raison, le reporter de guerre ne se sent pas totalement libre. Cependant, il faut reconnaître qu’en temps de guerre, les médias doivent respecter un certain nombre de directives sur la sécurité opérationnelle. Dans l’histoire de la Première Guerre mondiale à aujourd’hui, le constat est clair : la censure a presque toujours été sévère lorsqu’il a fallu pour les reporters de guerre de faire librement leur travail.

Le reportage de guerre, si nous prenons la guerre en Irak comme baromètre, est d’une complexité dommageable en ce sens qu’il est vraiment difficile pour le journaliste d’exercer librement son métier en ayant à côté de lui, des troupes dont il est presque toujours sous la protection et avec lesquelles il partage certainement de petits moments. Dans ces conditions, il devient difficile de les critiquer. Ce sont là autant de difficultés et d’entraves pour les journalistes couvrant un conflit armé.   

Les journalistes africains, compte tenu de la modicité des moyens de leur rédaction et de l’hostilité voire, l’acharnement de la grande muette sous le secret défense de l’armée, ne sont-ils pas à la merci de gros pouvoirs de l’argent pour influencer leur reportage et comment doivent-ils se prendre pour éviter l’appât des hommes en treillis?  

Les journalistes africains ne sont pas à l’abri de l’emprise des pouvoirs de l’argent ou tout simplement du pouvoir militaire. Cependant, il faut reconnaître que les journalistes africains, aujourd’hui comme par le passé, exercent leur métier même en temps de paix dans des conditions politiques très difficiles parce que les régimes au pouvoir, dans leur majorité, ne respectent pas la liberté de presse et le droit au libre accès à l’information. Donc en partant, ce n’est pas aisé d’être journaliste en Afrique si on a le souci de bien faire son travail. Pour prendre le cas des journalistes à Mogadiscio en Somalie, on n’en parle même pas de la condition de ces journalistes qui exercent depuis de longues années leur métier dans un environnement encore plus préoccupant. C’est un contexte général. En Afrique, les pays qui respectent la liberté de presse, on les compte sur les doigts de la main. Même les pays qui hier étaient dits être des modèles, il y a quelques années comme le Sénégal, donnent beaucoup de misère aux journalistes à cause de nombreux dérapages inacceptables. Si les journalistes africains ont de la difficulté à exercer librement leur métier même en dehors d’un conflit armé, vous pouvez vous imaginer alors les menaces, les multiples difficultés que ces derniers rencontrent lorsqu’il s’agit de couvrir la guerre. Comprenez que lorsqu’il n’y a pas à la base la liberté de presse en temps de paix, en temps de guerre, le risque devient encore plus grand.

Certains journalistes malgré tout, dans ces conditions, font beaucoup d’effort pour livrer au public la bonne information. C’est le cas, par exemple, en République Démocratique du Congo (RDC). Mais ces journalistes ne sont pas au bout de leur peine entre les forces gouvernementales et les milices armées qui multiplient des exactions et dérives, notamment des viols à l’endroit de petites filles, c’est même le cas aussi déplorable de certains casques bleus des Nations Unies. Mais, pour le salut des journalistes africains et la bonne éducation du public, il ne faut pas oublier que ces risques sont inévitables. J’espère quand même que dans certains pays où il y a eu des petites tendances démocratiques, nous pouvons espérer qu’il va naître ou se poursuivre une presse combative pour la liberté d’expression et l’instauration d’une démocratie.

Propos recueillis à Montréal par Ferdinand Mayega
                                                       
                                                               
                                                             

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