Ex-journalistes passés en politique: pour en finir avec le devoir de réserve
Il n’est pas rare, à la veille du lancement d’une campagne électorale, de voir des journalistes vedettes se lancer en politique. D’autres se mettent au service d’un parti ou d’un autre tout en restant dans l’ombre, en s’occupant notamment des communications. Les uns comme les autres clament aujourd’hui leur bonheur de pouvoir sortir de leur devoir de réserve pour défendre leurs valeurs et leurs idéaux sur la place publique.
Il n’est pas rare, à la veille du lancement d’une campagne électorale, de voir des journalistes vedettes se lancer en politique. D’autres se mettent au service d’un parti ou d’un autre tout en restant dans l’ombre, en s’occupant notamment des communications. Les uns comme les autres clament aujourd’hui leur bonheur de pouvoir sortir de leur devoir de réserve pour défendre leurs valeurs et leurs idéaux sur la place publique.
Durant tout l’été, ProjetJ met un coup de projecteur sur ces ex-journalistes qui ont décidé de quitter le métier.
Par Hélène Roulot-Ganzmann
«J’avais hâte de pouvoir dire que j’haïssais les conservateurs, avoue Karine Fortin, directrice des communications stratégiques du chef de l’opposition officielle à Ottawa, Thomas Mulcair. C’est ce que je disais à tous ceux, qui lors de mon pot de départ il y a deux ans à la Presse canadienne, me demandaient si je n’avais pas un petit pincement au cœur à l’idée de quitter le métier.»
Après une quinzaine d’années comme journaliste, d’abord comme pigiste, puis au Devoir et finalement à la Presse canadienne, la jeune femme ne s’accomplit plus dans son métier. Après avoir passé trois ans à Tribune de la presse à Ottawa, elle prend un poste au pupitre à Montréal de retour d’un congé maternité.
«Je ne voyais plus comment évoluer sur le plan professionnel tout en conciliant travail et famille, explique cette mère célibataire. C’était un véritable casse-tête pour moi. Si j’avais voulu prendre plus de responsabilités, que ce soit à la PC ou ailleurs dans l’industrie, j’aurais dû travailler tard, parfois les fins de semaine. J’avais quarante ans, je ne me voyais pas déjà attendre ma retraite… et puis il y a eu la vague orange au Québec. Le Nouveau parti démocratique (NPD) a cherché des gens qui connaissaient les médias et qui soient capables d’organiser les communications dans la province. J’avais couvert ce parti lorsque j’étais à Ottawa. Je n’en étais pas membre à l’époque, mais je partageais ses valeurs. J’ai fait le saut.»
Pourtant, être responsable des communications de Thomas Mulcair peut-il vraiment être moins prenant que travailler au pupitre à la PC?
«Au moins, là, c’est moi le boss!, répond-elle. Je quitte quand je veux même si je suis toujours joignable. Je travaille à distance. Et puis, c’est plus payant, ça permet d’avoir des services que je n’avais pas les moyens de m’offrir lorsque j’étais journaliste.»
Des regrets? Elle n’en a jamais. Tannée d’être une observatrice, le témoin passif d’une situation qu’elle aurait voulu changer. Écœurée aussi par l’industrie, le manque de rigueur de certains, les coupures, notamment parmi ses anciens collègues de la Tribune de la presse. Elle avoue cependant être nostalgique de l’atmosphère de franche camaraderie qui règne entre confrères.
«Je n’avais plus le feu sacré»
Des regrets, Christine Saint-Pierre avoue quant à elle n’en avoir finalement qu’un seul, celui de ne pas avoir fait le saut en politique plus tôt. Approchée en 2005 par le parti libéral alors qu’elle revenait de Washington, où elle avait été correspondante pour Radio-Canada, l’actuelle ministre des relations internationales et de la francophonie avait refusé à l’époque.
«Ça a été les deux années de trop, estime celle qui a finalement lâché le journalisme pour la politique en 2007. Après trente et un ans de carrière, je tournais en rond, j’avais atteint mes objectifs, je n’avais plus le feu sacré. J’avais aussi l’impression d’avoir acquis assez d’expérience pour me mettre au service des citoyens, d’être crédible. Je ne m’attendais cependant pas à ce que ça aille aussi vite, à ce que je devienne ministre quelques mois plus tard par exemple.»
Depuis, Christine Saint-Pierre a été sans cesse réélue dans la circonscription montréalaise d’Acadie. Toujours avec des scores records. Et ce, malgré une couverture qu’elle n’estime pas favorable.
«Le fait d’être partie au parti libéral a été vécu comme une trahison pour certains de mes ex-collègues de Radio-Canada, affirme-t-elle. La preuve, Bernard Drainville s’est engagé auprès du parti québécois la même année, et même si le diffuseur public n’a pas toujours été tendre avec lui, il a bénéficié d’un meilleur traitement journalistique. Bernard Derome lui-même, la veille du scrutin, avait dit à Tout le monde en parle, qu’il fallait le surveiller, qu’il irait loin. Il a d’ailleurs été ensuite critiqué par l’ombudsman.
Deux fonctions au service du public
Pourtant, Pierre Duchesne, lui-même ex-journaliste à Radio-Canada devenu député et ministre péquiste avant d’être défait lors de la dernière élection, n’estime pas avoir été particulièrement choyé par ses ex-petits camarades.
«Et c’est bien correct, précise-t-il. Les journalistes sont des chiens de garde. On n’attend pas d’eux qu’ils collaborent avec les politiques, même lorsque ce sont des ex-collègues. En tant que ministre de l’éducation, ma première mission a été de mettre sur pied un sommet pour dénouer la crise étudiante. Ce n’était pas une mince affaire. Certains leaders étudiants et certains recteurs ne s’adressaient plus la parole. Et vous pouvez relire tout ce qui a été écrit sur le sujet, j’avais beau être au parti québécois, je ne peux pas dire que les journalistes m’aient réservé un régime de faveur.»
Pierre Duchesne explique que lorsqu’il a quitté le diffuseur public au printemps 2012, il avait pris la décision d’aller vers l’enseignement. Trois mois plus tard, il est approché par Pauline Marois, alors cheffe de l’opposition officielle à Québec, pour venir gonfler les rangs du PQ. Il accepte, et deux semaines plus tard, le premier ministre libéral Jean Charest déclenche les élections. En septembre, il remporte le comté de Borduas et entre au cabinet Marois.
«Tout est allé très vite, raconte-t-il. J’ai toujours eu deux grandes passions dans la vie, l’histoire et le nationalisme. Pendant vingt-cinq ans comme journaliste, j’ai vécu de la première. Petit à petit, la deuxième est venue grignoter du terrain et j’avais de plus en plus de mal avec le devoir de réserve inhérent au journalisme.»
Battu par quatre-vingt dix-neuf voix lors des dernières élections provinciales, Pierre Duchesne est devenu depuis conseiller stratégique auprès du chef de l’opposition officielle. Et à l’entendre, les fonctions de journaliste et de politique, ne sont finalement pas très éloignées l’une de l’autre.
«L’un comme l’autre et d’abord et avant tout au service du public, précise-t-il. Ce sont deux fonctions fondamentales en démocratie. Je ne vois pas de coupure brutale entre mes deux carrières. Plutôt une continuité.»
«Me battre pour mes valeurs»
Même discours de la part de David Patry, qui malgré sa fonction actuelle de directeur des médias pour le caucus du NPD au Québec, se vit toujours comme un journaliste dans l’âme.
«Je suis encore à la recherche de la vérité et de l’intérêt public, justifie celui qui a quitté le métier après le lock-out au Journal de Montréal. Il y avait trop de clauses dans la nouvelle convention collective qui allaient à l’encontre de mes valeurs. J’ai toujours aimé la chose politique. J’ai eu deux offres concrètes pour intégrer une autre salle des nouvelles et dans le même temps, j’ai eu l’opportunité d’aller au NPD. Lorsque nous étions lock-outés, ce parti avait créé des liens avec nous, il s’était intéressé à notre sort. Jack Layton et Thomas Mulcair étaient venus en assemblée générale. J’ai des valeurs de gauche. Il m’a paru complètement naturel de continuer à me battre pour elles.»
Du temps du lock-out, David Patry s’était montré particulièrement virulent, il avait pris la parole, avait dénoncé les méthodes de Quebecor.
«Ça tisse un lien de confiance avec mes ex-confrères alors que les conditions d’exercice se dégradent un peu partout, estime-t-il. Aujourd’hui encore, il y a des journalistes qui se confient à moi.»
De sa carrière de journaliste, Christine Saint-Pierre garde quant à elle une certaine aisance devant le caméra et le sens du punch. Quant à Karine Fortin, elle reconnait que du fait d’avoir fréquenté la colline parlementaire durant plusieurs années, elle connait la plupart des membres de la tribune parlementaire, mais aussi beaucoup de politiques.
«Les journalistes prennent pour acquis le fait de voir le Premier ministre tous les jours, or ce n’est pas donné à tout le monde, explique-t-elle. Je ne peux pas dire que je les connais mais beaucoup me reconnaissent. C’est un premier contact. Et ça me sert énormément dans mes nouvelles fonctions.»
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