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Femme d’aujourd’hui, une leçon pour les femmes d’aujourd’hui.

Un groupe « turbulent, agité, inquiet », qui minait « la société occidentale dans ses racines les plus profondes », avait besoin d’une émission télé à sa mesure. Femme d’aujourd’hui allait donc offrir aux femmes un forum donnant « la parole aux téléspectatrices issues de tous les milieux sociaux ».  Le viol, la répartition inégale du pouvoir dans le couple, le Mouvement de…

Un groupe « turbulent, agité, inquiet », qui minait « la société occidentale dans ses racines les plus profondes », avait besoin d’une émission télé à sa mesure. Femme d’aujourd’hui allait donc offrir aux femmes un forum donnant « la parole aux téléspectatrices issues de tous les milieux sociaux ».  Le viol, la répartition inégale du pouvoir dans le couple, le Mouvement de libération des femmes aux États-Unis et les inégalités hommes-femmes au travail font partie des sujets abordés dans l’émission phare de Radio-Canada.

Femme d’aujourd’hui est née en 1965 et a disparu des ondes en 1982. Josette Brun et Laurie Laplanche en présentent un court mais dense portrait dans un chapitre du livre « La télévision de Radio-Canada et l’évolution de la conscience politique au Québec ».

Par Chantal Francoeur

Un groupe « turbulent, agité, inquiet », qui minait « la société occidentale dans ses racines les plus profondes », avait besoin d’une émission télé à sa mesure. Femme d’aujourd’hui allait donc offrir aux femmes un forum donnant « la parole aux téléspectatrices issues de tous les milieux sociaux ».  Le viol, la répartition inégale du pouvoir dans le couple, le Mouvement de libération des femmes aux États-Unis et les inégalités hommes-femmes au travail font partie des sujets abordés dans l’émission phare de Radio-Canada.

Femme d’aujourd’hui est née en 1965 et a disparu des ondes en 1982. Josette Brun et Laurie Laplanche en présentent un court mais dense portrait dans un chapitre du livre « La télévision de Radio-Canada et l’évolution de la conscience politique au Québec ». Les auteures racontent que Femme d’aujourd’hui n’a pas tout de suite été une émission féministe. Elle était plutôt un magazine quotidien féminin. Elle remplaçait des émissions de service comme Fémini-thé, Votre cuisine, madame, Votre enfant, madame et Bonjour Madame, où on parlait d’entretien ménager et de maternité. Les premières années de Femme d’aujourd’hui proposaient aux téléspectatrices un animateur, accompagné d’une animatrice, abordant les sujets mode, décoration, beauté et cuisine. Des chroniques arts et spectacles ont ensuite fait leur apparition. Puis l’animateur est disparu, le magazine a été mené par une animatrice et les sujets socio politiques ont pris de l’importance. Femme d’aujourd’hui a affirmé son intérêt pour le féminisme et reçu les Betty Friedan, Germaine Greer et Gisèle Halimi.

La figure emblématique de Femme d’aujourd’hui, Aline Desjardins, a été à la barre de l’émission pendant douze ans, de 1966 à 1978. Elle devait naviguer en eaux troubles, la société étant elle-même indécise quant à la direction à prendre. Une anecdote en témoigne : Aline Desjardins anime une séance sur le bilan du Parti québécois. Tout de suite après, une publicité demande aux téléspectatrices « Vous demandez-vous comment servir cette aubergine? »! De même, un des principaux commanditaires de l’émission, Kraft, suggérait « de bonnes recettes bien simples aux ménagères en mal d’inspiration », offrant « un contraste saisissant avec la solide remise en question de la domesticité » présentée à Femme d’aujourd’hui, écrivent les deux auteures.

Remontant le fil de l’histoire, Josette Brun et Laurie Laplanche décrivent le contexte qui a donné naissance à Femme d’aujourd’hui. Au tournant du XXe siècle, des chroniqueuses revendiquaient des droits civils, le suffrage féminin ou l’accès à l’éducation supérieure. Elles réclamaient toutefois ces droits « au nom de leur différence pour mieux exercer leur fonction de mère ». À leurs côtés, des chroniqueuses attitrées aux pages féminines traitaient de ménage, d’hygiène ou de vie sentimentale. Mais même sous ces apparences de sujets futiles, les auteures font remarquer qu’il y avait « une volonté bien établie chez les rédactrices d’aider et de conseiller les lectrices, notamment avec les courriers du cœur, considérés comme une façon de rendre publiques des préoccupations privées ».

Femme d’aujourd’hui a été le reflet des revendications et des préoccupations des femmes à qui elle s’adressait. L’émission « a approvisionné l’espace public en questions politiques axées sur les problèmes, l’expérience et la parole des femmes ». Les auteures font valoir que l’émission a contribué à rendre le privé politique, une revendication féministe essentielle. Elles font par ailleurs remarquer que l’émission accorde moins d’importance au mouvement féministe après 1977, et « son retrait définitif des ondes en 1982 pourrait refléter le début du ressac qui freine les mouvements de contestation sociale au Québec au cours de la décennie 1980 ». L’émission a donc été en phase avec la société qu’elle servait. Femme d’aujourd’hui a rénové la maison de la féminité et du féminisme.

Pour celles et ceux qui voudront en savoir plus, Laurie Laplanche prépare une thèse de doctorat sur la production du magazine télévisé Femme d’aujourd’hui à l’université Laval. Pour ceux et celles qui s’intéressent à la télévision de Radio-Canada en général, l’ouvrage « La télévision de Radio-Canada et l’évolution de la conscience politique au Québec » l’aborde sous plusieurs angles : la langue, le téléroman et l’identité, la démocratie et la culture, etc. Des chapitres qui alimentent les réflexions sur Radio-Canada, au moment où le CRTC étudie le renouvellement de licence du radiodiffuseur public.

Chantal Francoeur est professeure à l'École des médias à l'Université du Québec à Montréal et membre du comité éditorial de ProjetJ.ca

Référence : Brun, J. et Laplanche, L. (2012). Rendre le privé politique à la télévision de Radio-Canada : Femme d’aujourd’hui et le féminisme au Québec (1965-1982). Dans D. Monière et F. Sauvageau (dir.), La télévision de Radio-Canada et l’évolution de la conscience politique au Québec (p. 57-71). Québec : Presses de l’Université Laval.

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