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Infomédiaires et producteurs de contenus: des liens complexes

Par Renaud Carbasse Dans la foulée des débats qui ont entouré le lancement du Huffington Post au Québec, la question de la reprise des contenus journalistiques par des sites tiers a été remise au goût du jour. Doctorant à l'UQAM et à l'Université Paris 3, Marc-Olivier Goyette-Côté se spécialise sur les questions de l'infomédiation et…

Par Renaud Carbasse

Dans la foulée des débats qui ont entouré le lancement du Huffington Post au Québec, la question de la reprise des contenus journalistiques par des sites tiers a été remise au goût du jour. Doctorant à l'UQAM et à l'Université Paris 3, Marc-Olivier Goyette-Côté se spécialise sur les questions de l'infomédiation et de la mise en relation par les agrégateurs entre les producteurs de contenus et les audiences. ProjetJ l’a rencontré.

Par Renaud Carbasse

Dans la foulée des débats qui ont entouré le lancement du Huffington Post au Québec, la question de la reprise des contenus journalistiques par des sites tiers a été remise au goût du jour. Doctorant à l'UQAM et à l'Université Paris 3, Marc-Olivier Goyette-Côté se spécialise sur les questions de l'infomédiation et de la mise en relation par les agrégateurs entre les producteurs de contenus et les audiences. ProjetJ l’a rencontré.

Quelle place prennent les infomédiaires dans le processus de fabrication et distribution des contenus journalistiques?

Dans une étude de 2011, Yang et Leskovec affirment que plus d'un million et demi de nouvelles pages Web sont mises en ligne chaque jour! Dans ce contexte de surabondance de l’offre, c'est l’attention disponible qui devient rare et l’enjeu principal n’est plus de pouvoir diffuser, mais bien d’être entendu et repris. Ce sont notamment les infomédiaires (portails, agrégateurs, moteurs de recherches, plateformes mobiles, réseaux sociaux, etc.) qui se chargent de l'organisation, de la hiérarchisation et de la redistribution de l'information en ligne. On parle ici de près de la moitié des visites sur les sites de presse qui passent par un mécanisme d'infomédiation.

En d'autres termes, ils se chargent de mettre en relation une offre variée avec une demande éclatée. L'infomédiaire fonctionne comme une plateforme capable d'agréger une offre variée provenant de différentes sources externes et de l'offrir sous un nouvel emballage aux internautes en fonction de différents critères qu'ils pourront personnaliser eux-mêmes.

L'émergence des infomédiaires a changé la répartition des rôles le long de la filière journalistique, en externalisant une partie des processus de diffusion vers des acteurs industriels du web spécialisé dans l'organisation de l'information. Ces acteurs, les Google, MSN, Sympatico, Yahoo, Facebook, Flipboard, Huffington Post, etc., ont structuré leurs activités d'information autour de l’organisation et de la mise en circulation de documents numériques ayant trait à l’actualité, « triés et structurés par des algorithmes simulant une maîtrise de la sémantique » comme le précisent F. Rebillard et N. Smyrnaois pour le cas du marché français. Dans le secteur du journalisme, cela se traduit par le fait qu'ils récupèrent les contenus produits par les entreprises de presse pour les rendre disponibles à une clientèle déjà constituée autour de leur offre de service traditionnelle de fournisseurs de services internet, de courriel, de moteur de recherche ou d’annuaire de site.

Quelle est de fait leur valeur ajoutée à la production d'informations?

C'est l'aspect le plus problématique avec les infomédiaires: ils ne produisent aucune information originale, alors qu'ils sont capables de générer des revenus à partir de contenus produits par d'autres sans en partager un sou, sous le prétexte qu'ils apportent une clientèle importante sur les sites de presses et qu'ils n'hébergent pas les contenus sur leurs serveurs, mais ne font que diriger vers les contenus originaux. Leur argument est qu'alors ce sont les éditeurs de presse qui sont responsables de rendre l'activité journalistique rentable en ligne. À l'exception de Yahoo! qui offre des contenus de trois chroniqueurs, les autres infomédiaires que j'ai étudiés ne produisaient aucune nouvelle (NDLR: Au moment de l'étude, le Huffington Post n'avait pas encore été lancé au Québec).

Il existe aussi un modèle d'infomédiation qualifié de "transactionnel" qui fonctionne sur la base de partenariats contractuels entre les producteurs de contenus et les infomédiaires. C'est le cas des portails généralistes qui paient un abonnement annuel pour un certain volume de nouvelles, un fonctionnement analogue à celui des agences de presse. Dans ce modèle, les contenus sont alors hébergés sur les pages du portail et accompagnés de publicités. En France, le portail 2424Actu.fr avait mis en place un système de nouvelles multimédias organisé en grappe de sujets et dont les revenus de publicité étaient partagés presque à moitié avec les producteurs. Toutefois, Orange, propriétaire du portail, a décidé de mettre un terme à l'aventure pour intégrer la technologie 2424Actu dans son portail Orange remodelé. Par la même occasion, Orange a renégocié avec les éditeurs et les parts de revenus versés aux éditeurs de presse ont diminué.

Quelles sont les conséquences pour les autres médias du secteur?

En fait, les infomédiaires favorisent surtout le modèle de gratuité financé par la publicité où le but est de viser une visibilité maximale pour les contenus. Or, en Amérique du Nord, les médias d'information qui font le plus de bénéfices avec leurs activités web sont souvent ceux qui comme Le Devoir, le AllNovaScotia.com ont adopté des barrières payantes suffisamment étanches pour ne pas voir leurs contenus reproduits ailleurs sur la toile, notamment sur des sites qui n'ont pas assumé les coûts de production de l'information.

Par ailleurs, la question des "paywall" est au coeur des préoccupations des infomédiaires puisqu'un de leur secteur en plus forte croissance est la prestation de micropaiements. L'exemple du Google "Checkout" est intéressant puisqu'il a été développé en partenariats avec les éditeurs de presse qui avaient adopté les barrières tarifaires. Cette collaboration a permis à Google d'être capable de référencer les contenus payant dans ses différents services pour rediriger ensuite les utilisateurs vers ces contenus, en plus de leur offrir un moyen flexible de payer à l'unité les articles désirés. Ce service étant encore dans une phase de consolidation de marché, Google offre toujours "un prix de lancement" à 10% de commission. Il est fort probable qu'à mesure que se développera cet usage du micropaiement les coûts de la plateforme transactionnelle vont augmenter pour se rapprocher des grilles tarifaires présentes sur les terminaux mobiles, à savoir des commissions allant de 20 à 30%.

En fin de compte, qu'est-ce que cela signifie pour le financement et la visibilité du journalisme écrit?

Si les infomédiaires étaient considérés par certains acteurs comme des vampires (notamment la FPJQ voilà quelques années), la position des éditeurs de presse s'est considérablement assouplie depuis. Cette situation s'explique par le fait que les acteurs de l'infomédiation sont plus nombreux, notamment les infomédiaires sociaux comme Facebook qui viennent diversifier les sources de trafic et rendent les éditeurs moins dépendants aux moteurs de recherche, notamment celui de Google. On voit par exemple que pour certains médias, notamment dans la presse alternative ou la presse émergente, que les réseaux sociaux sont considérés comme le nouvel Eldorado, la recommandation par les pairs étant plus importante que celles provenant des autres catégories d'infomédiaires.

Comment les infomédiaires feront-ils pour se maintenir?

En ce moment, les infomédiaires ne génèrent pas beaucoup de revenus sur leurs services d'actualités. L'importance des nouvelles pour eux est principalement la valorisation de services connexes, aussi ils n'ont pas développé à proprement parler de services de facturation. Or, avec le développement du marché de l'information mobile, nous assistons à un mouvement vers la tarification de l'accès aux contenus journalistiques via les applications. Du même coup, on assiste aussi à une guerre de prix et de "taxage" de la part des infomédiaires qui organisent l'accès aux contenus. Par exemple, Apple charge une commission de 30% sur toutes les transactions effectuées sur ses plateformes iOs et les plateformes Android chargent entre 10% et 20% pour la facturation. Du côté de Google, on nous a affirmé que la tendance serait probablement de rejoindre les taux d'Apple à mesure que le marché d'Android se consolidera.

Depuis quelques mois est apparu le Huffington Post, comment s'insère-t-il dans cet écosystème?

Le cas du Huffington Post est intéressant. Il semblerait que la première source de valeur de la marque ait été sa technologie et son mode d'organisation plutôt que ses contenus et la publicité. Ce qui est fascinant avec le modèle du Huffington Post est que les collaborateurs acceptent de ne pas être payés en échange d'une visibilité potentiellement accrue qui pourrait être traduite par une visibilité dans d'autres médias. Le jugement de la Cour du district de New York qui invalidait la requête des collaborateurs qui estimaient devoir être payés montre que la pérennité du financement du journalisme est affectée puisqu'au final, les collaborateurs ne reçoivent aucun incitatif autre que symbolique pour financer la production journalistique qui est une entreprise coûteuse.

 

Marc-Olivier Goyette-Côté et Renaud Carbasse appartiennent tous les deux au Centre de recherche GRICIS et travaillent sur des projets de recherche connexes, mais ne collaborent pas sur la question de l'infomédiation.

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