La mise en marché de la science
Il y a trois mois, une étude réalisée par le scientifique Gilles-Éric Séralini sur les dangers des OGM était publiée dans la revue Food and Chemical Toxicology. L’étude a eu l’effet d’une bombe dans le milieu scientifique. Et les médias en ont fait leurs manchettes. Coup d’œil sur le traitement médiatique réservé à ce sujet controversé.
Par Annie Labrecque
Il y a trois mois, une étude réalisée par le scientifique Gilles-Éric Séralini sur les dangers des OGM était publiée dans la revue Food and Chemical Toxicology. L’étude a eu l’effet d’une bombe dans le milieu scientifique. Et les médias en ont fait leurs manchettes. Coup d’œil sur le traitement médiatique réservé à ce sujet controversé.
Une controverse prévue d’avance
La recherche scientifique sur les OGM est un sujet aussi épineux que le réchauffement climatique ou le gaz de schiste. L’équipe de Séralini conclut qu’un régime alimentaire composé de maïs génétiquement modifié augmente l’apparition de tumeurs chez les rats. Les journalistes et scientifiques ont souligné plusieurs faiblesses dans cette étude.
On critique la méthodologie utilisée, mais aussi l’entente de confidentialité interdisant aux journalistes de faire appel à d’autres experts afin de pouvoir lire l’article en primeur. Les journalistes qui ont accepté cette condition se sont retrouvés à rédiger un quasi communiqué de presse.
La mise en place d’une campagne promotionnelle autour de l’étude a attiré les critiques. La publication des résultats coïncidait avec le lancement de deux livres (l’un de Séralini et l’autre de sa collègue) ainsi qu’un documentaire sur le sujet quelques jours plus tard. Dans un entretien publié par le centre de débats publics Mission Agrobiosciences en France, Olivier Godard du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) souligne que « cette étude ne justifiait pas l’orchestration du tapage médiatique avec un plan de communication décliné sur les différents médias. »
Florence Piron, professeur agrégée au département d’information et communication à l’Université Laval, pense que les médias avaient un parti pris dès le départ contre Séralini. Selon elle, les médias québécois ont été beaucoup plus durs et impartiaux envers l’étude de Séralini que les médias français. « Il a utilisé une mauvaise stratégie de communication, mais sur le fond de l’avancement des connaissances, il a brassé les choses. »
Qu’en est-il vraiment de l’étude de Séralini? Michel Rochon, journaliste scientifique et médical à Radio-Canada y va de prudence face à ces sujets chauds. « Comme journaliste scientifique, il faut prendre du recul, mettre des bémols et prendre le temps de voir comment ça se passe. Dans le contexte médiatique actuel, on se sent obligé d’en parler tout de suite. Les institutions utilisent les médias pour faire mousser leurs découvertes. Cela n’existait pas il y a 20 ans. C’est la responsabilité des médias de refuser d’embarquer dans ce jeu de pression. »
Accrocher le lecteur à tout prix?
La science ne fait pas souvent la manchette des grands journaux, à moins de conflit ou de controverses comme les OGM. Lorsque c’est le cas, la plupart des médias communique bien les travaux scientifiques, mais pas toujours. D’après Olivier Gobard, « la crise de la presse écrite, où les journalistes scientifiques sont devenus peu nombreux, exacerbe la concurrence et pousse les médias à ce genre de comportement catastrophe pour accrocher l’intérêt».
Le journaliste scientifique Michel Rochon le constate aussi. « Le Nouvel Observateur a joué la carte du sensationnalisme avec une écriture propagandiste. Ce n’est pas du bon journalisme scientifique. Cela fait vendre de la copie pour le média, mais ça ne fait pas avancer le débat. »
Comme la grippe H1N1, le gaz de schiste ou le réchauffement climatique, l’étude sur les OGM a pris beaucoup de place dans l’espace médiatique. Il reste à voir si les médias sauront prendre du recul pour mieux couvrir les prochaines controverses.
Pour en savoir plus:
Anti-OGM, climatosceptiques : même combat? Le blogue de Valérie Borde, L’actualité.com
L’étude anti-OGM : comment s’assurer des médias favorables, Pascal Lapointe, Agence Science-Presse
Press digs into anti-GMO study, Columbia Journalism Review
Stenographers, anyone? GMO rat study authors engineered embargo to prevent scrutiny, Embargo Watch
A rancid, corrupt way to report about science, Debora Blum, Knight Science Journalism at MIT
La publication des résultats en manchette du Nouvel Observateur
GMO opponents are the climate skeptics of the left, Slate
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