J-Source

La mort de Paul Desmarais et l’avenir de Gesca

L’homme le plus riche du Québec, propriétaire de Power Corporation et de sa filiale médiatique Gesca, est décédé la nuit dernière à l’âge de 86 ans. Quel impact cette disparition aura sur le paysage médiatique québécois? Gesca restera-t-elle dans le giron de la famille Desmarais? Différentes analyses s’affrontent. L’homme le plus riche du Québec, propriétaire…

L’homme le plus riche du Québec, propriétaire de Power Corporation et de sa filiale médiatique Gesca, est décédé la nuit dernière à l’âge de 86 ans. Quel impact cette disparition aura sur le paysage médiatique québécois? Gesca restera-t-elle dans le giron de la famille Desmarais? Différentes analyses s’affrontent.

L’homme le plus riche du Québec, propriétaire de Power Corporation et de sa filiale médiatique Gesca, est décédé la nuit dernière à l’âge de 86 ans. Quel impact cette disparition aura sur le paysage médiatique québécois? Gesca restera-t-elle dans le giron de la famille Desmarais? Différentes analyses s’affrontent.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

«Commençons par resituer Gesca au sein de l’empire que constitue Power Corporation, analyse Daniel Giroux, professeur-chercheur au département d’information et communication de l’Université Laval. Ce n’est pas une activité dominante sur le plan économique, loin de là. Même si lorsque les différents quotidiens ont été acquis dans les années 60, ce secteur d’activité avait des rendements relativement importants, on peut penser que Paul Desmarais s’est constitué ce pôle média aussi pour des raisons politiques. Il n’a jamais caché ses opinions fédéralistes et ça transcende dans le contenu éditorial, surtout en période électorale et durant les campagnes référendaires.»

La famille Desmarais entre dans l’édition en 1967 en faisant entre autres l’acquisition du Nouvelliste (Trois-Rivières) et de La Voix de l’Est (Granby), auxquels s’adjoignent dans les mois qui suivent La Tribune (Sherbrooke) et La Presse (Montréal), puis Le Soleil (Québec) et Le Droit (Ottawa), pour former Gesca.

«On peut parler d’un véritable empire au Québec, estime Daniel Giroux. N’oublions pas qu’au début des années 2000, le tirage total des titres de Gesca représentait la moitié du tirage des quotidiens québécois.»

Conception très 20e siècle

«Gesca fait partie de l’ensemble politico-économique que M. Desmarais s’est constitué, confirme Stéphane Baillargeon, chroniqueur média au Devoir. À l’époque, les médias écrits rapportaient de l’argent, mais l’homme d’affaires, fervent fédéraliste,  avait surtout la volonté de marquer la société de son empreinte. Sauf qu’aujourd’hui, non seulement économiquement parlant, ce secteur n’est plus qu’une goutte d’eau dans l’immense bain d’affaires qu’il s’est constitué, mais en plus, les médias traditionnels n’ont plus le monopole de la diffusion des idées. Avec la mort de Paul Desmarais s’éteint sans doute toute une vieille conception du fonctionnement et du rôle des médias, une conception très 20e siècle.»

Nombre d’observateurs s’accordent sur le fait que Paul Desmarais gardait une certaine affection pour ses quotidiens.

«Propriétaire de La Presse depuis près de cinquante ans, M. Desmarais était convaincu du rôle essentiel des médias dans la vie démocratique», écrit Guy Crevier, président et éditeur de La Presse et président de Gesca, à Projet J.

Une affection que partagent ses fils, Paul Jr et André, tout deux à la tête de la multinationale familiale depuis le milieu des années 90?

«Qu’ils le soient ou non, cela ne sera pas déterminant concernant l’avenir de Gesca au sein de Power Corporation, croit Simon Tremblay-Pépin, auteur de Illusions – Petit manuel pour une critique des médias (éditions Lux) et blogueur au Journal de Montréal. Le but n’est pas de faire de l’argent même si c’est mieux si cette filiale n’est pas trop déficitaire. L’objectif beaucoup plus vaste est d’imprimer dans la réalité une certaine vision de la société.»

Les millions de La Presse+

[node:ad]

«Il n’y a qu’à regarder la Charte des valeurs, commente-t-il. Au départ, il n’y avait pas vraiment débat, et c’est ce que cherchait le gouvernement justement. Et puis La Presse s’en est mêlée. Le quotidien a milité ouvertement, évidemment, pas de façon grossière, il y avait quelques voix discordantes ici ou là. Mais résultat, aujourd’hui la population est partagée. Les médias écrits ont encore une influence énorme parce que c’est sur elle que les autres supports se basent le matin pour choisir leurs sujets. Je serais bien surpris que les frères Desmarais pensent à s’en séparer.»

 Daniel Giroux n’y croit pas non plus, au moins à court terme, au regard des millions dépensés pour développer La Presse+.

«Gesca a mis en place une stratégie d’affaires audacieuse avec la tablette et avec la gratuité. 40 millions de dollars ont été investis. Paul Desmarais n’a pas été décideur sur cette question, il n’intervient plus à ce niveau depuis des années. Ce sont ses fils qui ont accepté la proposition qui leur a été faite par la direction de Gesca. Ça démontre qu’ils croient encore en une rentabilité possible dans ce secteur. Mais le retour sur investissement risque d’être long. On ne dépense pas autant d’argent pour revendre juste derrière.»

Le style Desmarais

Stéphane Baillargeon n’en est pas aussi certain.

«Mondialement, Gesca, ça ne compte pas. Power Corporation a des intérêts un peu partout et notamment en Europe, et les fils Desmarais passent une partie de l’année à Paris. Pour eux, Gesca fait partie du patrimoine dont ils héritent mais ça n’a pas la valeur sentimentale que ça avait pour leur père. Si j’ajoute à cela qu’il y a maintenant tellement de sources d’information que le poids d’un journal n’a rien à voir avec ce qu’il était il y a encore quelques années… Oui, La Presse+ est une mutation audacieuse. Oui, Gesca a peut-être pris ce virage pour sauver l’entreprise. Mais j’entends aussi dire qu’il s’agirait de la rendre plus attrayante dans l’éventualité de la vendre.»

Tout trois s’entendent en revanche sur le fait qu’il y avait bien un style Desmarais, principalement basé sur la discrétion.

«Un style feutré, très vieille école, décrit Simon Tremblay-Pépin. Quelque-chose qui n’est plus très à la mode mais qui a son efficacité. Ça donne l’impression au lecteur d’avoir entre les mains un journal à grand tirage, mais très respectable et au sein duquel les journalistes sont libres. C’est vrai, ils ne sont pas accrochés au téléphone rouge… mais il suffit de placer les bonnes personnes aux bonnes places pour que tout le monde ou presque parle d’une même voix. Est-ce que c’est le style de Paul Desmarais ou celui de l’entreprise? Laissons retomber la poussière et nous nous en rendrons assez vite compte.»

À voir aussi :

Pierre Foglia fait réagir

Gesca, Total et les sables bitumineux