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La qualité de linformation : à quel prix?

Étienne Ferron-Forget et Marie-Pier Giguère, Université Laval | Les politiques de la Société Radio-Canada, qui possède un service d’information de grande qualité selon plusieurs, constituent-elles un certain contrôle de l’information?  Plus précisément, les journalistes de Radio-Canada sont-ils brimés dans leur liberté d’expression, lorsqu’ils interviennent sur des sujets chauds? Étienne Ferron-Forget et Marie-Pier Giguère, Université Laval…
Étienne Ferron-Forget et Marie-Pier Giguère, Université Laval |

Les politiques de la Société Radio-Canada, qui possède un service d’information de grande qualité selon plusieurs, constituent-elles un certain contrôle de l’information?  Plus précisément, les journalistes de Radio-Canada sont-ils brimés dans leur liberté d’expression, lorsqu’ils interviennent sur des sujets chauds?


Étienne Ferron-Forget et Marie-Pier Giguère, Université Laval |

Les politiques de la Société Radio-Canada, qui possède un service d’information de grande qualité selon plusieurs, constituent-elles un certain contrôle de l’information?  Plus précisément, les journalistes de Radio-Canada sont-ils brimés dans leur liberté d’expression, lorsqu’ils interviennent sur des sujets chauds?

À l’automne 2008, Simon Boivin, journaliste au Soleil de Québec, rapportait qu’Isabelle Guilbault, de la radio de Radio-Canada à Québec, s’était mise dans l’embarras après avoir pris position concernant les compressions budgétaires en culture émanant du gouvernement conservateur. Elle était intervenue sur le site unissonsnosvoix.ca*, un collectif exprimant leur volonté de ne pas revoir Stephen Harper reprendre le pouvoir aux dernières élections fédérales. Pour les fêtes du 400e, il était acceptable d’investir pour la culture, mais lorsque vient le temps de payer pour un laissez-passer au Festival d’été de Québec, la population se plaint, affirmait-elle. « Faudrait savoir ce qu’on veut », disait-t-elle, rappelant à la population son manque de soutien pour la culture.

Mentionnons qu’en 2006, l’ancienne journaliste de la SRC Christine St-Pierre, aujourd’hui ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine du Québec, avait pris position sur la présence des troupes militaires canadiennes en Afghanistan, ce qui lui avait valu le relèvement de ses fonctions de correspondante parlementaire à Ottawa.

Dans ces deux exemples, il y a une prise de position claire de la part des journalistes. Elles ont démontré une forme d’engagement sur le plan politique. « Des voix s’élèvent pour réclamer votre retour au pays. Moi je dis de grâce non », avait affirmé Madame St-Pierre, dans sa lettre ouverte, publiée en 2006. Quant à Madame Guilbault, en se prononçant tel qu’elle l’a fait, elle a démontré son opposition devant une éventuelle reprise de pouvoir du gouvernement Harper. Dévoilant son parti pris ainsi que ses couleurs politiques.

On pourrait être tenté de croire qu’il y a, dans ces décisions de la part de la SRC, une atteinte aux opinions personnelles des journalistes. Or, il est justement du devoir des journalistes de s’abstenir d’exprimer leurs points de vue. Le journaliste, en tant qu’informateur public, ne peut se permettre de s’impliquer dans les affaires qu’il couvre. « Il faut éviter toute situation qui pourrait jeter un doute sur l’impartialité de l’entreprise ou du journaliste et sur leur indépendance par rapport à des groupes de pression, soient-ils idéologiques, politiques, économiques, sociaux ou culturels », précise la SRC, dans ses Normes et pratiques journalistiques.

Dans sa décision sur une plainte à propos du relèvement de fonction de Christine St-Pierre, l’ombudsman de Radio-Canada décrit les pratiques de la Société comme un idéal. « Ces règles, qui visent à développer un journalisme d’excellence, […] proposent un idéal difficile à atteindre mais vers lequel tous les artisans doivent tendre. »

De l’avis du Conseil de presse du Québec, tel que mentionné dans le document Les responsabilités de la presse au Québec, les journalistes doivent éviter de « donner l’impression qu’ils ont partie liée avec des intérêts particuliers ou quelque pouvoir politique, financier ou autre ».  De plus, le CPQ soutient qu’ « afin de préserver leur crédibilité professionnelle, les journalistes sont tenus à un devoir de réserve quant à leur implication personnelle dans diverses sphères d’activités sociales, politiques ou autres », ce qui pourraient mettre en cause leur neutralité et leur indépendance.

Lorsque des propos sèment le doute et tendent à manipuler l’opinion publique et l’indépendance, du journaliste est remise en question. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), dans son Guide de déontologie, affirme que « les journalistes doivent éviter tout comportement, engagement ou fonction qui pourraient les détourner de leur devoir d’indépendance, ou semer le doute dans le public. »

Florian Sauvageau, professeur associé au Département d’information et de communication de l’Université Laval et directeur du Centre d’études sur les médias, rappelle qu’à la base, le journaliste est davantage un témoin qu’un simple citoyen qui s’exprime. En ce sens, il lui importe de faire preuve de réserve. « Le journaliste peut bien aussi commenter l’actualité, mais ce n’est pas ce qui caractérise son travail. Le journaliste, c’est le témoin. Le témoin “professionnel.” […] Il faut, je pense, distinguer l’activité journalistique de la liberté d’expression et d’opinion qui appartient à tous. »

Il est important de distinguer les faits des opinions. Dans le cas contraire, le public ne saura plus faire la distinction entre ce qui est rapporté et ce qui est commenté. Marie-Josée Richard, journaliste membre de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), a recueilli les propos de Marc-François Bernier, professeur au Département de communication de l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de l’éthique du journalisme, au sujet de l’opinion politique du journaliste. À son avis, « le journaliste qui prend position et se livre à du journalisme partisan doit en aviser explicitement ses publics à chaque fois qu’il traite de sujets politiques controversés et de nature partisane. » L’objectif demeure toujours d’éviter d’induire le public en erreur, en somme, «on peut faire de l’opinion sans devenir le propagandiste des partis politiques», ajoute encore M. Bernier.

Que conclure? Doit-on y faire une forme d’audace dans la transgression de certaines règles?  Est-il toujours préférable que tous se taisent toujours? Plutôt que de voir dans ces décisions de la SRC un contrôle serré de l’information, peut-on les interpréter comme des gages de qualité de l’information? Au lieu de brimer l’autonomie de ses journalistes, Radio-Canada, en tant que société d’État, encourage-t-elle une démarche plus professionnelle, plus impartiale? Bref, de quelle façon, et de quel angle est-il souhaitable d’aborder de telles décisions de la part de la direction même de la SRC?

*NDLR: Le lien vers ce site a été supprimé en raison d’une transformation de son contenu que nous qualifierons de substantielle.

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