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Le journalisme scientifique : état de situation

Désirée-Emmanuelle Duchaine, étudiante, Université Laval | À l’heure où la terre tourne au rythme des grands bouleversements de toutes sortes et de l’évolution des technologies qui changent constamment nos vies, la compréhension de ces phénomènes s’avère essentielle. Le journalisme scientifique a pour mission de les expliquer afin de permettre aux citoyens de mieux saisir ce…

Désirée-Emmanuelle Duchaine, étudiante, Université Laval |

À l’heure où la terre tourne au rythme des grands bouleversements de toutes sortes et de l’évolution des technologies qui changent constamment nos vies, la compréhension de ces phénomènes s’avère essentielle. Le journalisme scientifique a pour mission de les expliquer afin de permettre aux citoyens de mieux saisir ce qui façonne leur vie et leur réalité. Malgré une présence grandissante dans certains médias qui ne sont pas nécessairement spécialisés en la matière, les articles scientifiques n’ont pas toujours la cote auprès des lecteurs. Le journalisme scientifique doit donc sans cesse se réinventer afin de capter l’attention de ces derniers.

Véronique Morin, journaliste scientifique pigiste depuis plus de vingt ans, remarque que depuis les années 2000, les sciences semblent bénéficier d’un élan de sympathie. Les salles de rédaction ont adopté de nouvelles approches dans leur couverture des nouvelles technologiques et scientifiques. Toutefois, elle constate qu’en dépit de l’existence de deux chaires de journalisme scientifique au Canada, peu d’écoles et d’universités canadiennes encouragent les jeunes journalistes à développer un intérêt pour la science (Morin, 2007).

Crise identitaire du journaliste scientifique

Selon Pierre Sormany, journaliste depuis plus de 30 ans et actuellement rédacteur en chef d’émissions d’affaires publiques à la Télévision de Radio-Canada, certains journalistes scientifiques vont « se définir comme des promoteurs de la culture scientifique et technique, parler de l’importance de cette culture comme ferment de développement économique ou s’interroger sur les moyens à prendre pour améliorer le rapport du public avec la science » (www.cirst/uqam.ca/PCST3/PDF/Communications/SORMANY.PDF). Cette vision émane de la pratique journalistique conventionnelle qui perçoit le journaliste scientifique comme un vulgarisateur dont le principal rôle est d’éduquer les lecteurs aux grandes questions scientifiques. Cependant, plusieurs reproches sont formulés à l’égard de ce type de journaliste. Pallab Ghosh, correspondant scientifique pour la BBC News et ancien président de la World Federation of Science Journalists (WFSJ), souligne la difficulté que les journalistes scientifiques semblent éprouver dans la diffusion objective de l’information scientifique (www.wfsj.org/news/news.php?id=86). Plusieurs journalistes dénoncent ce manque de distance critique vis-à-vis leurs sources dont font preuve plusieurs journalistes scientifiques (Marcotte et Sauvageau, 2006 : 174). Pierre Sormany emploie même le terme de « promiscuité » pour désigner les rapports qu’entretiennent certains journalistes scientifiques avec leurs sources tout en mentionnant que ceux-ci pourraient être une des résultantes du journalisme spécialisé (Sormany, 2000). Pour Pallab Ghosh, le journaliste scientifique doit non seulement rester neutre mais il doit faire preuve de scepticisme envers les informations qui lui sont transmises (www.wfsj.org/news/news.php?id=86). « En sciences plus particulièrement, cette vision d’une mission sociale et culturelle des journalistes-vulgarisateurs a fait qu’on les a souvent perçus comme partie intégrante de l’entreprise scientifique dont ils devaient assurer la diffusion, et non pas comme des témoins critiques. Un journaliste asservi aux objectifs du secteur qu’il couvre est toujours un mauvais journaliste » www.cirst/uqam.ca/PCST3/PDF/Communications/SORMANY.PDF).
    
Dans l’intérêt du public avant tout
    
Plusieurs raisons, aussi valables les unes que les autres, justifient l’importance de transmettre l’information scientifique au public. Même si la science est complexe, elle a un impact sur la vie des gens. Selon le journaliste Pallab Ghosh, la science doit être « traduite » pour la faire comprendre au grand public et ainsi en générer de l’intérêt et de l’enthousiasme (www.wfsj.org/news/news.php?id=86).

Pour Pierre Sormany, « la recherche scientifique est une activité humaine essentielle. Ses enjeux sont majeurs. Elle mobilise d’importants fonds publics, et, à ce titre, elle doit être couverte comme tout autre domaine d’intérêt collectif » (Sormany, 2000 : 381). Selon Véronique Morin, la population a le droit de savoir et de connaître puisqu’elle finance en grande partie ces recherches (Morin, 2007). Le journaliste scientifique ne doit surtout pas oublier qu’il est au service du public et non au service des entreprises ou instituts qui sont responsables de ces recherches.

Cependant, la science n’a pas nécessairement la cote auprès de la majeure partie de la population. En effet, la population en veut mais pas au détriment de ses principaux centres d’intérêt que sont le sport et la politique (www.sciencepourtous.qc.ca/bulletin/2002/69/article3.html). Un autre problème auquel se heurtent les journalistes scientifiques correspond au fait qu’une grande majorité de ceux qui consomment l’information se sent moins interpellée quand celle-ci est trop compliquée. Ceci renvoie à l’image de la science qui doit être avant tout divertissante. Pourtant, les impacts de la science dans la vie quotidienne sont au cœur des enjeux majeurs auxquels la société doit faire face et des préoccupations de la population.

Pour plusieurs journalistes, la diffusion des nouvelles technologiques et scientifiques demeurent la responsabilité des médias. Selon Véronique Morin, la science devrait être couverte sur une base quotidienne au même titre que l’économie et la politique (Morin, 2007). Pourtant, rien ne semble avoir changé depuis les années 1970 selon Peter Calamai, journaliste au Toronto Star (Gauthier, 2002). Malgré quelques émissions télévisuelles et radiophoniques qui en traitent, la science reste toujours marginalisée dans certains grands médias. Pour des raisons strictement pécuniaires, ceux-ci se tournent vers une information de masse qui vise à rejoindre le plus grand nombre de personnes possible afin de satisfaire leurs commanditaires. Le problème avec la science, c’est qu’elle ne rapporte pas et a donc peu de considérations. En plus, les nouvelles scientifiques ne représentent habituellement pas d’urgence et ont donc une très faible emprise sur l’actualité courante et peu d’intérêt pour ceux qui prennent les décisions quant à leur diffusion (www.cirst/uqam.ca/PCST3/PDF/Communications/SORMANY.PDF).

Malgré le fait que la science ne semble pas être une priorité (Lapointe, 2002 : 27) pour certains patrons, plusieurs journalistes continuent de défendre la place de la science au sein des médias (www.cirst/uqam.ca/PCST3/PDF/Communications/SORMANY.PDF). Les administrateurs semblent oublier que la science appartient avant tout au public et le journalisme est essentiel à sa diffusion (Morin, 2007). La clé de l’intérêt que devrait susciter la science réside dans le fait que celle-ci a des impacts considérables sur la vie des citoyens comme la santé, l’économie et l’environnement. Dans la mesure où la science est souvent au cœur des débats majeurs que les médias ont le devoir de couvrir, elle devrait évidemment y tenir une place importante (www.cirst/uqam.ca/PCST3/PDF/Communications/SORMANY.PDF).

En somme, malgré les positions divergentes quant à la définition et à la mission du journaliste scientifique, plusieurs journalistes s’entendent pour dire que les médias devraient attribuer une plus grande place aux nouvelles scientifiques et technologiques. « La vulgarisation scientifique est essentielle à la démocratie puisqu’elle favorise l’esprit critique » (www.cirst/uqam.ca/PCST3/PDF/Communications/SORMANY.PDF). Elle contribue à faire des citoyens, des personnes plus conscientes de la réalité qui les entoure.

Bibliographie

LAPOINTE, Pascal (2002), « Le journalisme scientifique : ses publics et son marché. Les Actes du Colloque », Chaire de journalisme scientifique Bell Globemedia de l’Université Laval et CTV Chair in Science Broadcast Journalism of Carleton University, Carleton University, p.27-30.

GAUTHIER, P. (2002), « Ménage à trois », Science pour tous. Archives des bulletins 2002, no 69, 7 mai 2002. www.sciencepourtous.qc.ca/bulletin/2002/69/article3.html

GHOSH, Pallab (2007), « WFSJ President Pallab Ghosh speaks at Kyoto STS Forum ». www.wfsj.org/news/news.php?id=86

MARCOTTE, Philippe et Florian SAUVAGEAU (2006), « Les journalistes scientifiques : des éducateurs? Enquête auprès des membres de l’Association des communicateurs scientifiques du Québec », Les Cahiers du journalisme, no 15, hiver, p.174-195.

MORIN, Véronique (2007), « Speech notes written and given by Véronique Morin at the Public Science in Canada », Strengthening Science to Protect Canadians Symposium, 6 septembre 2007.

SORMANY, Pierre (2000), « Le métier de journaliste. Guide des outils et des pratiques du journalisme au Québec », Montréal, Les Éditions du Boréal, 494 pages.

SORMANY, Pierre, « Le journaliste scientifique dans la position du missionnaire : plaidoyer contre la promiscuité ».
www.cirst/uqam.ca/PCST3/PDF/Communications/SORMANY.PDF

THE NIEMAN REPORTS FOUNDATION FOR JOURNALISM AT HARVARD UNIVERSITY (2002), « Science Journalism », Cambridge, vol. 56, no 3, automne 2002. www.nieman.harvard.edu/reports/02-3NRfall/02-3NRfall.pdf

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