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Le photojournalisme, «un métier sous respirateur artificiel»

Alors que les prix du World Press Photo 2014 ont été décernés la semaine dernière, ProjetJ  braque ses projecteurs sur le photojournalisme, qui dans le contexte de crise que traversent les journaux du monde entier, écope tout particulièrement. Le Québec ne fait pas exception, sauf à regarder du côté de La Presse, où le nombre…

Alors que les prix du World Press Photo 2014 ont été décernés la semaine dernière, ProjetJ  braque ses projecteurs sur le photojournalisme, qui dans le contexte de crise que traversent les journaux du monde entier, écope tout particulièrement. Le Québec ne fait pas exception, sauf à regarder du côté de La Presse, où le nombre de professionnels de l’image a explosé ces dernières années. Explications.

Alors que les prix du World Press Photo 2014 ont été décernés la semaine dernière, ProjetJ  braque ses projecteurs sur le photojournalisme, qui dans le contexte de crise que traversent les journaux du monde entier, écope tout particulièrement. Le Québec ne fait pas exception, sauf à regarder du côté de La Presse, où le nombre de professionnels de l’image a explosé ces dernières années. Explications.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

L’annonce au printemps dernier du licenciement par le Chicago Sun-Times de l’ensemble de ses photographes, a eu l’effet d’une bombe dans la communauté journalistique. Mais on ne compte plus aujourd’hui le nombre de rédactions, qui à défaut de supprimer purement et simplement son service photo, coupent à tout va.

Ainsi en décembre, le quotidien parisien gratuit, 20 minutes, annonçait la suppression de son service et le congédiement de  ses onze photographes. Le mois dernier, c’est le Globe and Mail, qui dans le cadre d’un  plan de restructuration plus large, annonçait la réduction de son département photo, qui ne compte plus désormais que deux photographes, un à Toronto et l’autre à Vancouver.

La faute à qui?

«Je vois deux tendances qui portent atteinte à notre profession et qui font en sorte que depuis cinq ans environ, notre métier est sous respirateur artificiel, estime Steeve Duguay, photojournaliste indépendant, correspondant de l’AFP au Québec. D’un côté, le photojournalisme citoyen qui fait que toute personne armée d’un téléphone peut prendre une photo et l’envoyer à une rédaction. De l’autre, le fait que par souci d’économie, de plus en plus les grands groupes vont demander à leurs journalistes de faire leurs propres photos.»

Éducation à l’image

C’est le cas notamment du Journal de Montréal, où les signatures des photos correspondent souvent a celles des articles, et qui n’hésite pas à publier des photos de courtoisie, quelle qu’en soit la qualité.

Sollicité pour une entrevue, le JdM n’a pas souhaité répondre à la demande de ProjetJ. Mais en interne, on s’étonne qu’il n’y ait «presque plus de photographes au sein de la rédaction. Un tabloïd sans photographe… c’est quand même paradoxal!»

«Il y a aussi un manque d’éducation de la population à l’image, poursuit Steeve Duguay. La tendance pourra s’inverser si les lecteurs se plaignent de la piètre qualité. Mais qui fait vraiment la différence entre une photo prise par un journaliste avec son cellulaire et un reportage photo, pensé, réfléchi par un photojournaliste, et qui raconte en lui-même une histoire?»

Valérian Matazaud, lui aussi photojournaliste indépendant, est moins pessimiste que son confrère.

«Oui, il y a des patrons de presse qui font le choix de la gratuité et qui, surtout lorsqu’il s’agit d’illustrer l’actualité immédiate, font appel au citoyen qui était sur place. Mais il y a encore d’autres publications, plus sélectives, qui cherchent des images qui ont plus de sens», argue celui qui travaille régulièrement pour La Presse, Le Devoir et L’Actualité.

Polyvalence

Et le modèle de La Presse semble lui donner raison. Si le quotidien montréalais comptait neuf photographes en 2009, il emploie aujourd’hui vingt-huit photographes-vidéastes.

«Nous faisons le choix de la qualité et nous pensons que nous avons de meilleurs résultats avec une équipe en interne, explique Martin Tremblay, directeur photo et vidéo. Aussi, il est très rare que nous fassions appel à des photos amateurs car elles sont en général de mauvaise qualité. Bien sûr, si un citoyen nous envoyait la photo de Jean Charest sur un bateau en compagnie d’un mafieux, nous la publierions. Mais ce sont des cas qui se rencontrent peut-être une fois par an.»

Steeve Duguay évoque cette obligation faite aux photographes de devenir aussi vidéastes, bien que ce ne soit, selon lui, pas du tout le même regard.

«Moi-même, 60 à 75% de mes revenus proviennent de la vidéo aujourd’hui alors que je suis photographe avant tout, avoue-t-il. D’autres font plutôt le choix d’accepter aussi d’autres types de travaux comme des photos de mariage ou du corporatif, bien plus payant. Il y a aussi les expositions, qui permettent aux photojournalistes de montrer leur travail. Mais ce n’est pas rémunérateur.»

Un âge d’or, quel âge d’or?

Valérian Matazaud inaugure justement une exposition jeudi à la Maison de la culture du Mont-Royal. Exposition qui s’attache à traduire la mémoire et la perte des réfugiés syriens à travers les photos des objets qu’ils ont emporté dans leur fuite.

«Nous sommes des journalistes indépendants, il faut donc viser dans tous les sens afin d’entretenir notre notoriété, estime-t-il. Je pars plusieurs fois par an à l’étranger, je vends des reportages à des journaux et j’en profite pour créer des projets plus personnels, qui ne trouvent pas forcément leur place dans les médias.»

«Est-ce qu’ils l’auraient trouvée il y a vingt ou trente ans, lors du prétendu âge d’or de la photo? Je n’en suis pas certain, répond-il. Je ne suis même pas sûr de croire en cet âge d’or et de toutes façons, je n’étais pas là pour y goûter. Mais je me demande aussi si une partie du problème ne viendrait pas du fait que, le matériel numérique étant plus abordable, nous sommes plus nombreux sur le marché, et qu’il faille donc partager le gâteau? Quoi qu’il en soit, je fais un métier qui me passionne. Alors, oui, il y a des difficultés à surmonter. Mais je les assume.»

«C’est comme si le photojournalisme était devenu, dans la tête des gens, un hobby, estime pour sa part Steeve Duguay. Le problème, c’est que tout le monde doit vivre, et aussi rembourser le matériel acheté souvent à crédit. Ceux qui n’y parviennent pas finissent pas tout revendre et passer à autre chose. C’est alors toute la population qui paie en n’ayant pas accès à ces talents.»

Bilingues photos et vidéos

À La Presse, les photographes-vidéastes ne sont pas pour autant des hommes et des femmes à tout faire. Lorsqu’ils partent sur le terrain, c’est comme photographe ou comme vidéaste, très rarement les deux à la fois.

«Ces deux médias ne sont d’ailleurs pas en compétition, assure Martin Tremblay. Depuis le lancement de La Presse+, lorsqu’une équipe part en reportage, on se pose la question du storytelling. Comment on va raconter au mieux l’histoire? Par du texte, de la photo, de la vidéo? Et au final, on  se rend compte que le texte et la vidéo sont bien plus en compétition que la photo.»

À Québec, Le Soleil, lui aussi propriété de Gesca, regarde de très près ce qui se passe à Montréal. Jusque-là, un seul photographe était à l’emploi à l’interne, et le quotidien de la capitale avait un contrat avec une firme extérieure, Focus, qui lui fournissait six pigistes. Firme à qui Le Soleil demandait l’exclusivité en matière de photos de presse.

Depuis le début de l’année, alors même que le journal a annoncé un plan de réduction d’effectifs, cinq de ces six pigistes ont intégré la salle de nouvelles et sont devenus eux-aussi, des photographes-vidéastes.

«Par souci d’économie, nous avons dû revoir tous nos contrats et c’est pourquoi nous avons décidé d’intégrer les photographes, explique Pierre-Paul Noreau, éditeur adjoint du Soleil. Mais nous espérons aussi nous en aller vers le plan Ipad rapidement. Alors oui, une de mes préoccupations est de faire de plus en plus de vidéo. Nous mettons encore cependant l’accent sur la photo, et sur la photo de qualité. J’ai donc besoin de gens capables de faire les deux, des bilingues comme je les appelle. Le marché est ainsi fait aujourd’hui.»

De son côté, Le Devoir, qui garde pour l’instant son propre plan Ipad  très secret et qui n’a pas répondu à la demande d’entrevue de ProjetJ, a recruté un responsable photo et archives. L’application tablette, sensée être prête au printemps, devrait faire plus de place à la photo et intégrer un peu de vidéo. Au point de voir débarquer des photographes-vidéastes dans la salle des nouvelles? Il faudra patienter encore quelques mois pour en savoir plus sur le modèle adopté par le quotidien indépendant.

Pour voir les photos lauréates du World Press Photo 2014

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