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Les nouveaux habits de l’actualité

Par Colette Brin Pour les journalistes dont l’information est non seulement le métier mais aussi une passion, il peut être pénible de constater que pour la plupart des gens, le devoir civique de s’informer est d’abord un loisir. Loisir qui s’inscrit dans un emploi du temps et un environnement médiatique de plus en plus surchargés.…

Par Colette Brin

Pour les journalistes dont l’information est non seulement le métier mais aussi une passion, il peut être pénible de constater que pour la plupart des gens, le devoir civique de s’informer est d’abord un loisir. Loisir qui s’inscrit dans un emploi du temps et un environnement médiatique de plus en plus surchargés.

 

Par Colette Brin, professeur au Département d'information et de communication de l'Université Laval – texte initialement paru sur le blogue Contact.

Pour les journalistes dont l’information est non seulement le métier mais aussi une passion, il peut être pénible de constater que pour la plupart des gens, le devoir civique de s’informer est d’abord un loisir. Loisir qui s’inscrit dans un emploi du temps et un environnement médiatique de plus en plus surchargés.

Autrefois, les médias pouvaient compter sur des habitudes de consommation apparemment stables et prévisibles: les journaux papier, radiophonique et télévisuel avaient chacun leur créneau et leur auditoire fidèle. On y offrait un menu varié, avec des sujets d’actualité «sérieuse» (politique, économique, sociale, internationale) et des thèmes plus légers, souvent axés sur le divertissement ou la consommation (faits divers, sports, arts et spectacles, voyages…). En espérant que le public, attiré par les seconds, finirait par s’intéresser aux premiers.

Or, cette formule reposait surtout sur une situation de quasi-monopole… et sur une connaissance finalement assez approximative des pratiques réelles du public en matière d’information (à ce sujet, lire les explications du chercheur et ex-journaliste Philip Meyer). Depuis, des médias spécialisés (chaînes de télévision, magazines et sites web) sont devenus les sources privilégiées pour la plupart de ces sujets «légers». Selon un rapport de recherche du Centre d’études sur les médias (Les publics de l’information, 2009), les champs d’intérêt les plus souvent cités pour les quotidiens sont la politique canadienne, l’économie et la finance et la politique québécoise, tandis que pour le web, la palme revient aux voyages, au cinéma et à l’automobile…

Une tendance à l’éclatement

L’attention du public se trouve donc dispersée sur une multitude de supports et de sources d’information: c’est, en gros, pourquoi les médias traditionnels ont perdu une bonne partie de leurs revenus publicitaires et qu’ils ne les récupèreront peut-être jamais sur les plateformes numériques. La popularité croissante des médias sociaux et des appareils mobiles (voir le fascicule 4 de l’étude NetTendances 2011 du CEFRIO) ne freinera sans doute pas cette tendance à l’éclatement de la consommation et des revenus publicitaires.

D’autre part, la précision quasi chirurgicale des outils d’analyse statistique de fréquentation des sites web et la richesse des observations qualitatives sur la réception, les usages et les pratiques médiatiques fournissent de nombreuses pistes (complexes et parfois contradictoires, il faut le dire!) pour développer des contenus mieux adaptés au comportement réel des internautes.

Comprendre ce qui motive à feuilleter un magazine, à écouter un reportage ou à partager sur les réseaux sociaux un texte de son chroniqueur préféré est devenu quasiment une obsession pour les entreprises médiatiques. Et dans cette course folle à l’innovation et à l’expérimentation, plusieurs visent à maximiser le plaisir, la dimension ludique de la consommation d’information. On essaie d’alléger les sujets sérieux, de les décoincer un peu, souvent avec des moyens technologiques dernier cri.

Quelques exemples:

  • Les formules d’«infodivertissement», surtout à la télévision, qui traitent de sujets d’actualité dans une formule décontractée, humoristique, parfois satirique (Au Québec, Tout le monde en parle et Infoman; au Canada, le Rick Mercer ReportLe Petit Journal en France et The Daily Show aux États-Unis, pour ne citer que ces quelques exemples);
  • La bande dessinée comme forme journalistique, pour traiter de situations complexes et lointaines, de la guerre (qui a fait l’objet d’un très intéressantdocumentaire);
  • Le quiz, pour tester ses connaissances sur un sujet (une formule régulièrement utilisée par le magazine L’actualité);
  • Le jeu vidéo humanitaire, récente initiative du grand reporter Nicholas Kristof duNew York Times;
  • Les agrégateurs personnalisés, comme les applications Zite et Flipboard qui permettent de se créer un magazine web selon ses propres champs d’intérêt à partir de textes puisés dans un répertoire varié de publications;
  • Les infographies animées et interactives, comme ces deux exemples primés de La Presse et de l’Agence France Presse.

Faut-il s’inquiéter du mélange des genres, de l’information-spectacle, de la forme qui prend le dessus sur le fond? Cette effervescence de projets hétéroclites ne contribue-t-elle pas à la tendance à l’éparpillement et à la superficialité des contenus? Sans doute.

Mais comme s’informer est un travail extrêmement exigeant pour le citoyen comme pour le journaliste, l’idée de valoriser le plaisir de l’expérience n’est pas mauvaise en soi. Quitte à redécouvrir ce plaisir suranné de lire son journal papier le samedi ou le dimanche matin, accoudé à la table de cuisine, en dégustant un bon café…

 

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