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ONG et journalistes: une relation amour-haine

«Les ONG sont des entreprises habillées en Mère Teresa et les journalistes ne le voient pas.» C'est sur cette citation tirée du livre The Crisis Caravane de la journaliste néerlandaise Linda Polman, qu'a commencé aujourd'hui une table ronde intitulée «Les ONG et les journalistes» et organisée par le Centre d'études et de recherches internationales (CERIUM)…

«Les ONG sont des entreprises habillées en Mère Teresa et les journalistes ne le voient pas.» C'est sur cette citation tirée du livre The Crisis Caravane de la journaliste néerlandaise Linda Polman, qu'a commencé aujourd'hui une table ronde intitulée «Les ONG et les journalistes» et organisée par le Centre d'études et de recherches internationales (CERIUM) à l'Université de Montréal.

«Les ONG sont des entreprises habillées en Mère Teresa et les journalistes ne le voient pas.» C'est sur cette citation tirée du livre The Crisis Caravane de la journaliste néerlandaise Linda Polman, qu'a commencé aujourd'hui une table ronde intitulée «Les ONG et les journalistes» et organisée par le Centre d'études et de recherches internationales (CERIUM) à l'Université de Montréal.

Dans le cadre de la semaine des correspondants de Radio-Canada, les journalistes Sophie Langlois, Jean-François Bélanger, Luc Chartrand et Jean-Michel Leprince, de même que le cameraman André Perron, ont décrit leur relation avec les nombreuses organisations non gouvernementales qu'ils côtoient sur le terrain. Loin de la citation de Linda Polman, tous ont posé un regard très critique sur l'univers de l'aide humanitaire et déploré le nombre important d'ONG qui se disputent férocement l'attention médiatique au risque, souvent, de tenter de contrôler le message pour s'assurer l'affection du public et attirer plus de dons.

Journalistes embeded

«La plupart des humanitaires sont avant tout des gens de bonne foi, mais ils évoluent dans un univers concurrentiel», a expliqué Jean-François Bélanger soulignant que chaque ONG essaie de se démarquer en définissant son marché. «Elles sont toutes cotées à la bourse de l'amour, de l'affection du public, donc elles ont totalement besoin de nous [les journalistes]», a ajouté Sophie Langlois.

Cependant, l'inverse est aussi vrai puisque dans certaines régions du globe, les humanitaires sont les seuls à pouvoir fournir aux professionnels des médias toute la logistique nécessaire à leur travail. À Dadab au Kenya, le plus grand camp de réfugiés au monde, seules les ONG ou l'ONU sont capables d'héberger et de nourrir les journalistes en plus de leur offrir des services de communication fiables. Lors de son dernier séjour sur place, Sophie Langlois y a ainsi été hébergée par CARE. En recevant l'offre de l'organisation, son premier réflexe a été de refuser, mais elle a dû revenir sur sa position. «Les gens de CARE étaient les seuls à pouvoir nous accueillir sans nous attacher les mains», a-t-elle expliqué en soulignant que Radio-Canada avait payé tous les services offerts par l'organisation.

Si dans ce cas elle a joui de sa pleine liberté, ça n'a cependant pas toujours été le cas. Après le tsunami qui a ravagé l'Indonésie en 2005, comme plusieurs collègues, Sophie Langlois s'est rendue sur place avec un cargo de Vision Mondiale. Elle a rapidement constaté que l'organisation avait littéralement transporté les journalistes dans sa poche arrière pour s'assurer, grâce à la pression de ses trois attachés de presse, que son action soit suivie à la trace par les médias. Elle a dû se battre contre ce qui avait tout l'air d'un statut de journaliste «embeded».

André Perron est retourné en Indonésie par la suite, avec l'équipe d'Enquête, pour enquêter sur la Croix-Rouge qui y a mené d'importants projets de reconstruction. Il a constaté que l'ONG sous-traitait à des entreprises locales dont les ouvriers étaient réduits à l'esclavage (la réplique de la Croix-Rouge ici). Au cours de son séjour, il a été confronté à la machine de relations publiques de la Croix-Rouge qui a en vain tenté de contrôler l'information. «Quand on est arrivé, ils nous on préparé un horaire de tournée pour 10 jours avec quoi filmer, quand manger, qui rencontrer … ça avait l'air d'une campagne électorale», a-t-il raconté.

L'humanitaire spectacle

Lors d'un séjour au Niger pour couvrir une crise alimentaire, Jean-François Bélanger a pour sa part été choqué qu'une douzaine d'attachés de presse d'ONG fassent la file pour le rencontrer le lendemain de son arrivée. «Il y a avait dix fois plus d'attachés de presse que de journalistes sur le terrain», a-t-il expliqué soulignant que sa relation avec eux est inconfortable, voir difficile. Sur l'invitation d'une ONG, il a visité un camp où des enfants malnutris étaient présentés aux caméras comme des bêtes de foire. André Perron a lui été confronté au phénomène en Éthiopie où il a vu une cinquantaine de cameren autour d'un même enfant. «Je n'y étais pas et il a vomi pendant qu'on le nourrissait. L'attaché de presse est venu me voir pour me dire qu'on pouvait le faire vomir à nouveau pour que j'aie des images», a-t-il raconté.

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Certains humanitaires orientent donc les caméras vers des images-chocs et alimentent le sensationnalisme au lieu de contribuer à expliquer la complexité des crises. Ils ne sont cependant pas les seuls responsables. «Les patrons me disaient "les autres chaînes montrent des enfants qui crèvent de faim, montres-en aussi"», a rapporté Jean-François Bélanger. Pour cette raison, à l'inverse, certaines ONG sont d'ailleurs méfiantes à l'égard des médias, a expliqué Jean-Michel Leprince en relatant son expérience avec l'organisation suisse Sentinelles.

Grâce à sa collaboration, il a pu rapporter d'Afrique un reportage sur le noma, une maladie méconnue qui atteint les enfants malnutris et leur dévore littéralement le visage. Contrairement aux grandes ONG, Sentinelles ne court pas après les caméras. Elle craignait même que l'équipe de Radio-Canada veuille faire un reportage sensationnaliste en montrant des images d'enfants défigurés. Jean-Michel Leprince a donc dû gagner sa confiance avant de pouvoir la suivre sur le terrain.

Selon lui, les ONG sont avant tout des sources qu'il faut traiter comme telle en n'oubliant jamais qu'elles ont leur propre agenda. En Amérique du Sud, il est d'ailleurs en contact régulier avec des organisations très militantes de la mouvance altermondialiste. Pour Luc Chartrand, qui côtoie le même type d'organisations dites «de cause», en Palestine notamment, ces ONG très politisées représentent un défi éthique important autant pour les médias que pour les gouvernements. Il se demande ainsi s'il est juste d'accoler le qualificatif «humanitaire» à la Flottille pour Gaza.

 

 

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