Quand le FQJI souffle ses cinq bougies
Un miracle? « Une belle surprise, plutôt! ». Laura-Julie Perreault ne cache pas sa joie. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis sa création il y a cinq ans, le Fonds québécois en journalisme international (FQJI) a accordé plus de 300 000 $ en bourses permettant à 65 journalistes de 18 médias de se rendre en reportage dans 48 pays.
par Antoine Char
Avec Guillaume Lavallée, journaliste à l’Agence France-Presse à Paris, et Jean-Frédéric Légaré-Tremblay du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM), la chroniqueuse aux affaires internationales de La Presse fait partie de l’équipe collégiale qui dirige le Fonds.
« Nous avons eu la même idée en même temps! », précise-t-elle. Une idée « folle » quand on n’arrête pas de répéter ceci : l’information internationale est le parent pauvre des médias québécois, trop tributaire des agences de presse.
Malgré tout, les « trois mousquetaires » de l’inter se sont escrimés pour récolter des fonds auprès d’une douzaine d’organisations publiques et privées afin d’augmenter un peu la place de l’information internationale dans le paysage médiatique d’ici qui, bon an mal an, ne dépasse guère les 5% de l’espace médiatique québécois. .
« Cinq ans plus tard, je me pince en regardant le travail accompli et surtout les plus de 150 reportages publiés depuis une cinquantaine de pays ou territoires », note Guillaume Lavallée.
Pour l’ancien professeur de journalisme à l’École des médias de l’UQAM (2016-2018), « l’idée pour nous était de ne pas être dans la critique des médias québécois en se disant qu’ils ne laissaient pas assez de place à l’international, mais plutôt de voir comment financer ce type de journalisme dans un petit marché où les médias peinent pour survivre ».
Avant le FQJI, il y avait les bourses Nord-Sud. Mais voilà, « elles étaient offertes deux fois par année, avec un montant fixe, un nombre très limité de récipiendaires et l’obligation d’avoir à chaque fois un angle canadien, déplore celui qui était jusqu’à récemment directeur du bureau de l’AFP à Jérusalem. Elles n’étaient finalement pas assez ambitieuses et souples. En creusant la question, j’ai découvert que Laura-Julie et Jean-Frédéric songeaient aussi à un concept de Fonds québécois en journalisme international ».
« Laissez-nous faire nos preuves »
« Après trois ans de démarchage, le projet voyait le jour. Dès le départ nous avons clairement indiqué que les donateurs n’avaient aucun droit de regard sur la manière dont les bourses seront attribuées. Nous leur avons dit : laissez-nous faire nos preuves et depuis nous recevons en moyenne 75 000 dollars par année », explique Laura-Julie Perreault.
Tous les ans, depuis 2018, cinq appels à candidatures sont lancés aux salariés des salles de rédaction et aux pigistes. Le montage financier va de 500 à 9 000 dollars pour les projets en équipe. « La moyenne est de 5 000 dollars », rappelle la journaliste qui aurait aimé qu’une telle bourse existe quand elle a aiguisé sa plume il y a plus de vingt ans au Soleil.
Nora T. Lamontagne a eu cette chance, elle. L’an dernier, la journaliste au bureau d’enquête du Journal de Montréal a passé 13 jours en Moldavie où elle a notamment interviewé « un homme avec trois dents en or qui tentait d’arnaquer les réfugiés ukrainiens ».
Grâce à une bourse de 8 800 dollars, elle a signé cinq textes (dont trois ont fait la « une » de son journal) accompagnés d’un photoreportage de Pascal Dumont, qui avait vécu « sept ans en Russie, parcouru le territoire de l’ex-URSS en long et en large, appris le russe ».
« Avec cette aide, on n’a pas besoin de convaincre à l’interne! », assure-t-elle. Les reportages à l’étranger coûtent cher et quand la facture n’est pas payée par l’employeur, et que le donateur n’a aucun droit de regard sur le contenu… pourquoi pas?
Lamontagne reconnaît que son journal « n’est pas le média ayant la couverture internationale la plus fournie », mais lorsqu’on réussit « à établir des liens entre le Québec et l’étranger et que ces liens sont très clairs », l’information internationale prend une tout autre tournure.
« Je constate chaque semaine que mes reportages sur la Moldavie, l’un des plus pauvres et plus petits pays d’Europe qui a accueilli 400 000 réfugiés ukrainiens, sont encore parmi les plus lus! »
Déposé un samedi soir, lu par un jury indépendant de trois journalistes à la retraite, le projet de Lamontagne, 31 ans, a été accepté trois jours plus tard. « Et le samedi suivant, on décollait vers la Roumanie — l’espace aérien de la Moldavie étant fermé. »
« Un regard québécois sur le monde »
« Québéciser » l’info internationale en finançant des « papiers tout terrain », c’est aussitôt une valeur ajoutée. Le FQJI l’a compris. Les médias aussi, à l’heure où les géants du numérique engrangent leurs revenus publicitaires.
Comme le souligne Jean-Frédéric Légaré-Tremblay : « C’est fondamental d’offrir un “regard québécois sur le monde”. Le Québec, comme le Canada, sont bénis par leur géographie. Peu de contrées à travers le monde sont aussi sécuritaires et paisibles. Mais ce confort ne doit pas conduire à l’indifférence. Pour connaître et prendre sa juste place dans le monde, les citoyens et les décideurs ont besoin d’être bien informés, en fonction de nos intérêts. »
Pour lui, le bilan du FQJI après cinq ans d’existence est « très enthousiasmant, il dépasse mes espoirs ». Il dépasse aussi ceux de Laura-Julie Perreault, de Guillaume Lavallée et de tous les journalistes d’ici rêvant du grand large en témoignant sur le terrain de la réalité internationale.