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Quelle place donne-t-on aux journalistes dans les séries dramatiques québécoises?

Scoop, Lance et compte, Virginie, Réseaux, Rumeurs et Toute la vérité ont toutes une chose en commun : la présence d’au moins un journaliste parmi leurs personnages principaux. Pourtant, peu d’entre elles se sont réellement approchées de la réalité des médias, en près de 25 ans de télévision.   Par Samuel Larochelle Scoop, Lance et compte, Virginie, Réseaux, Rumeurs…

Scoop, Lance et compte, Virginie, Réseaux, Rumeurs et Toute la vérité ont toutes une chose en commun : la présence d’au moins un journaliste parmi leurs personnages principaux. Pourtant, peu d’entre elles se sont réellement approchées de la réalité des médias, en près de 25 ans de télévision.

 

Par Samuel Larochelle

Scoop, Lance et compte, Virginie, Réseaux, Rumeurs et Toute la vérité ont toutes une chose en commun : la présence d’au moins un journaliste parmi leurs personnages principaux. Pourtant, peu d’entre elles se sont réellement approchées de la réalité des médias, en près de 25 ans de télévision.

« C’est probablement une bonne chose que le métier ne soit pas représenté de façon réaliste dans les fictions. Faire de la télé, ce n’est pas faire du réel. La réalité est souvent ennuyeuse et pas assez dramatique, affirme Pierre Barrette, professeur spécialisé en télévision québécoise à la Faculté des médias de l’UQAM. Dans les faits, la plupart des journalistes passent une grande partie de leurs journées assis dans une salle de rédaction, à parler au téléphone 90 % du temps. Ça ne ferait pas de la très bonne télé. »

Scoop

Aux yeux de Richard Therrien, chroniqueur télé au journal Le Soleil, Scoop est encore aujourd’hui la série qui s’est approchée le plus près du vrai travail des journalistes. « Si on prend pour acquis que les auteurs de fictions peuvent se permettre certaines libertés, je trouvais qu’il y avait beaucoup de vérités dans les enjeux de Scoop : les rapports avec les patrons, le syndicat, les politiciens, etc. On voyait des journalistes qui enquêtaient sur des gens puissants et qui servaient à quelque chose, un peu comme dans la réalité. » 

Au début des années 90, Scoop a fait partie des débuts de la « cinématisation » de la télévision québécoise. « On s’éloignait du mode de production traditionnel des téléromans avec trois ou quatre caméras dans un studio, explique Pierre Barrette. Les séries modernes ont commencé à représenter la réalité de façon différente, avec une volonté de rendre les choses plus spectaculaires. C’est d’ailleurs ma principale critique envers Scoop : c’était trop glamour. On montrait des journalistes qui acquéraient le statut de vedettes, alors que c’est très rare dans la vraie vie. »

Richard Therrien croit aussi que Scoop présentait la vie des journalistes de façon beaucoup trop sensationnelle. « Je sais qu’Alain Gravel a déjà eu besoin d’un garde du corps, mais la série poussait l’idée à l’extrême. Le travail des journalistes n’est jamais aussi dangereux que celui des policiers ou des pompiers. »

Selon le professeur de l’UQAM, les auteurs Réjean Tremblay et Fabienne Larouche ont appliqué à la série leur vision des rapports de force entre patrons et employés. « On voyait à l’écran un grand manichéisme. C’était noir ou blanc. Les patrons étaient décrits comme des méchants capitalistes, pas très nationalistes, avec de gros accents anglais. Et les journalistes étaient de pauvres employés qui pédalaient dans la choucroute pour s’en sortir. En tant que spectateur, on avait le réflexe de se ranger du côté des employés. »

Il ajoute que les téléséries comme Scoop et Lance et compte ont déplacé la structure familiale dans le milieu de travail. « Les téléromans traditionnels s’intéressaient pratiquement toujours aux relations entre individus, aux familles et aux amours. Dans les séries de Réjean et de Fabienne, on ne parle pas tant des dimensions professionnelles que des rapports interindividuels décalés en milieu de travail. Virginie, 30 vies, Urgences et Trauma s’intéressent davantage aux rapports de force entre individus qu’à la pédagogie ou la médecine. »

Lance et compte

Pour Richard Therrien, la télésérie Lance et compte a permis à Réjean Tremblay de faire une autocritique de son métier, voire une caricature. « On sait que le personnage de Linda Hébert était inspiré de Liza Frulla, mais multiplié par 10. L’an dernier, on a vu le personnage de Bianca Gervais utiliser les réseaux sociaux pour devancer les médias imprimés. Elle permettait à Réjean de questionner l’éthique journalistique et de brasser les plus vieux, ceux qui sont proches de la retraite, et qui n’ont pas envie de s’adapter. Il y a aussi Lulu, qui a développé de drôles de relations avec les joueurs avec le temps. En tant que journaliste, il a le devoir de les critiquer, mais il est devenu leur chum à force de les côtoyer. C’est un personnage intéressant. »

Pierre Barrette observe un équilibre de forces et de faiblesses dans l’écriture de Réjean Tremblay. « À mon point de vue, Réjean n’a pas un énorme talent de dramaturge, mais il a un immense flair sur ce qui correspond à l’air du temps. Il est capable de camper des personnages stéréotypés auxquels les gens s’identifient facilement. »

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Il avance également que Tremblay et Larouche ont tous les deux compris la richesse narrative des personnages de journalistes. « Ce sont des personnages dont la fonction actancielle est très intéressante pour des scénaristes. Ils servent de médiateurs entre la fiction et la réalité. Depuis des années, Réjean et Fabienne se servent des journalistes pour leur faire porter certaines thématiques. »

Virginie

À titre d’exemple, la quotidienne Virginie, écrite par Fabienne Larouche, utilisait le personnage de Bernard Paré pour amener des éléments d’actualité dans l’intrigue. « Bernard s’intéressait au crime organisé et à plusieurs sujets réalistes, présentés de manière colorée, soutient Richard Therrien. Par contre, son métier était un peu accessoire dans l’émission. On avait l’impression qu’il ne travaillait pas beaucoup. »

Barrette croit de son côté que Paré était le personnage de journaliste le plus forcé qu’il ait vu à la télévision québécoise. « Son travail était absurde. Il passait la plus grande partie de son temps dans les cafés et les restaurants. On ne le voyait presque jamais écrire des articles. Et il s’intéressait beaucoup aux événements entourant l’école Sainte-Jeanne-d’Arc. On imagine difficilement un journaliste travaillant pour un grand journal faire ça. »

Réseaux

Si Pierre Barrette n’a que très peu de souvenirs de la télésérie campée dans l’univers des nouvelles télévisées, Richard Therrien se rappelle à quel point il n’a pas apprécié. « Réseaux n’avait aucune crédibilité. La chef d’antenne interprétée par Dorothée Berryman sniffait de la coke avant d’aller en ondes. Il y avait beaucoup de jeux de coulisses, ce qui existent pour vrai en télé, mais jamais autant. C’était beaucoup plus caricatural que peut l’être Lance et Compte. »

Rumeurs

La comédie scénarisée par Isabelle Langlois laisse elle aussi un sentiment partagé aux deux spécialistes de la télévision. « J’ai adoré la série, mais je n’ai jamais cru au magazine, répond Therrien. J’aimais beaucoup la personnalité de la patronne, jouée par Véronique Le Flaguais, mais elle n’aurait pas duré trois jours dans la réalité. Son attitude était carrément du harcellent psychologique. Pour le reste, on avait l’impression que personne ne travaillait vraiment chez Rumeurs. Et l’orientation du magazine n’était pas claire. On le présentait comme un magazine de mode qui aurait voulu parler potins, avec des éditoriaux musclés. »

Pierre Barrette est d’avis que Rumeurs était une série bien écrite et bien jouée, mais dont la représentation du milieu journalistique n’avait rien de réel. « Dans le vrai monde, les salles de rédaction sont souvent inexistantes. Les pigistes envoient leurs papiers et travaillent de la maison. Jamais un photographe ou un directeur artistique ne passent ses journées dans les locaux d’un magazine. D’ailleurs, quand la série était diffusée, plusieurs étudiantes à l’université nous demandaient des stages dans un magazine, en croyant retrouver un endroit comme celui de Rumeurs. J’essayais de leur faire voir que ça n’existait pas au Québec, mais elles insistaient. Au bout du compte, elles revenaient très déçues de ce qu’elles voyaient dans la réalité. »

Barrette est cependant conscient que l’histoire était ainsi scénarisée pour le bien de la dramatisation. « C’est un bon exemple démontrant que les téléséries modernes s’intéressent aux relations interpersonnelles en milieu professionnel. Les collègues devenaient des amis, les amis étaient engagés au magazine et la patronne était une métaphore de la maman. Tous les éléments étaient bien amalgamés. »

Toute la vérité

Actuellement en ondes, la série Toute la vérité donne la parole à Lisanne Hébert, une journaliste judiciaire interprétée par Geneviève Brouillette. « Je connais un peu la nature du travail de journalistes judiciaires, comme Isabelle Richer à Radio-Canada ou Yves Boisvert à La Presse, et leur réalité est loin d’être aussi glamour que celle imagée dans la série, explique Pierre Barrette. On dirait que le personnage est une fabulation de la fonction du journalisme contemporain, avec de grandes idées de justices. Mais je n’y crois pas du tout. »

Même s’il adore la télésérie écrite par Annie Piérard et Bernard Dansereau, le chroniqueur télé du Soleil a également un problème avec la journaliste. « Ça n’a aucun sens qu’elle soit la meilleure amie de l’avocate jouée par Hélène Florent et qu’elle ait fréquenté un personnage qui est devenu juge. Ça ne me rentre pas dans la tête. »

Therrien admet également que la livraison journalistique de Brouillette le fait sourire. « Je ne la trouve pas très naturelle. Les journalistes ont une façon spéciale de parler en ondes et les comédiens ont souvent des difficultés à les représenter. Il y a quelque chose dans le ton, les accents toniques, la façon d’aborder les nouvelles et de mener les entrevues qui est propre aux médias. Dès que j’entends un acteur jouer un lecteur de nouvelles à la télé, je pars à rire. »