Réal Germain, son ami Paul Arcand et son amour de la radio
La radio a un point en commun avec Mark Twain. Donnée pour morte année après année, comme l’écrivain américain, elle répond sans sourciller : « L’annonce de ma mort est très exagérée ! »
Peu importe qui l’a inventée (l’Italien Guglielmo Marconi ou le Canadien Reginald Fessenden), s’il y en a une grouillante de vie c’est bien le 98,5. La station-phare de Cogeco domine le marché montréalais avec 22,7 % des parts d’écoute selon les dernières données de Numeris. Comment l’expliquer ?
Réal Germain, 73 ans, fondateur de l’agence de nouvelles de Cogeco, « armature essentielle de programmation du 98,5 », nous livre ses explications sur la « survie » de la radio tout en nous parlant de sa « complicité de longue date avec (Paul) Arcand » qui quittera l’an prochain le « média de cœur des Montréalais ».
Une entrevue d’Antoine Char
Quelles sont les qualités que doit avoir un (bon) morning man que ce soit Paul Arcand ou un autre ?
Rigueur, capacité de fédérer une équipe, toujours branché par rapport à l’actualité, capacité à s’adapter au contexte ambiant du matin, pas trop de lourdeur, un peu d’humour, capacité à mener des entrevues (les incontournables), mais aussi des moments légers et au final créer un rendez-vous.
Paul Arcand a une grande intelligence : c’est quelqu’un qui sait écouter et prendre des conseils, demander une opinion et moi je sers à ça en tant que conseiller au contenu à Cogeco. Je l’ai connu il y a une vingtaine d’années à TVA, après avoir travaillé à TQS, à la Presse canadienne et à L’actualité, notamment.
Je fais partie de ses amis intimes. On se voit en dehors du travail. J’hésite à dire que je suis son mentor, ça fait prétentieux, lui il a dit ça une fois, mais j’aimerais mieux dire que je suis quelqu’un qu’il consulte régulièrement. […]
La dernière discussion qu’on a eue concerne la suite de sa carrière. […] Les offres, c’est pas un problème. Il est en questionnement. Il écoute des propositions actuellement, puis il échange avec moi là-dessus. […] J’essaie de ne pas être sa « belle-mère ». J’aimerais bien qu’il poursuive sa carrière à Cogeco, on verra.
Quand tu fais partie de l’équipe de Paul Arcand, il faut que tu performes. La tolérance à la performance moyenne, il ne la veut pas. Il s’impose de très hauts standards et ceux qui sont autour de lui doivent se les imposer également. Et quand ça ne fait pas son affaire, ça sort ! C’est quelqu’un qui ne fait pas de détour. Il peut être intempestif.
Pour quelles raisons Patrick Lagacé est le bon choix pour succéder à Paul Arcand, quelles sont ses forces pour le remplacer ?
Il a une grande notoriété, un talent journalistique hors pair, ce qui a sûrement contribué à sa nomination. De plus, il a acquis une expérience en radio au cours des dernières années. Ça prenait nécessairement quelqu’un de connu, dont le nom résonne pour remplacer quelqu’un comme Paul Arcand. Tu ne peux mettre quelqu’un qui n’a pas d’image publique forte. Lagacé en a une. Il est très conscient de l’ampleur du défi, de succéder au « roi de la radio », comme on appelle Paul Arcand. Il a de la drive… Son défi, c’est de s’adapter à l’univers du matin. Ça demande une discipline de vie incroyable, se lever à 3 heures du matin, 40 semaines par année. […]
En dehors de se lever à l’aube, quels (grands) ajustements doit-il faire en passant à Puisqu’il faut se lever ?
Créer une complicité avec une nouvelle équipe. Le succès d’une telle émission réside dans son contenu, son rythme, son équilibre entre nouvelles et moments plus légers mais surtout par la création de moments de complicité pour
que l’auditeur puisse s’identifier à l’équipe. […] Il doit réussir à créer un rendez-vous
incontournable le matin avec une équipe en grande partie renouvelée. C’est un peu comme une recette de cuisine. […] Il faut être capable de lier la sauce. Il faut créer une cohésion et de créer un moment radio. […]
Comment expliquer que le 98,5 soit devenu le « média de cœur » des Montréalais comme l’était il n’y a pas si longtemps CKAC, alors la plus vieille station radio francophone au monde ?
Le secret ? La proximité. On traite de sujets qui intéressent notre auditoire et on ratisse large. On mise sur la constance. Nos animateurs et animatrices (et collaborateurs) sont proches des gens.
Il faut un souci d’exactitude, de rigueur et de performance. On se maintient en popularité grâce aussi aux nouvelles avec des bulletins aux heures. La soif d’information est encore là, même si les gens prennent de plus en plus leur information sur les réseaux sociaux. Faire une information crédible c’est extrêmement important pour la démocratie, et nous c’est ce qu’on fait !
Les médias dits traditionnels sont en crise, mais pas la radio. Comment l’expliquer ?
De manière générale, la radio parlée se maintient en popularité, en cote d’écoute, et elle vit uniquement à l’aide des revenus publicitaires, sans subventions. Elle est un peu moins touchée par la crise car elle offre un produit exclusif, instantané, qui peut être consommé en faisant autre chose et qu’on ne peut retrouver ailleurs. La problématique est plus aigüe du côté de la radio musicale en terme d’évolution, car elle fait face à un défi en raison des nombreuses plateformes sur lesquelles on retrouve la musique. La redéfinition du modèles d’affaires en radio musicale est plus pressante encore qu’en radio parlée.
Il y a un défi pour la radio en général quant au modèle d’affaires qui doit être modifié sans nuire à la rentabilité actuelle qui provient toujours d’un modèle traditionnel. Ça prend donc des investissements pour soutenir le passage au numérique.
Comment la radio parlée peut-elle se réinventer avec un auditoire vieillissant et à l’heure de toutes les nouvelles technologies ?
L’avenir de la radio invariablement passe par le numérique. Il faut développer l’offre numérique. La transition est commencée, mais les revenus sur le numérique sont loin d’être au rendez-vous. Le gros de nos revenus vient de la radio hertzienne. Il faut être capable de préserver ces revenus, mais il faut en même temps investir dans le numérique, même à perte. De plus en plus, on écoute la radio sur d’autres supports. Dans les autos, il y a encore des radios, mais Dieu sait pour combien de temps encore ! Le danger qui nous guette, qu’on essaie d’éviter, c’est de mettre tous nos efforts dans le numérique, on délaisserait alors le bread and butter. Il faut d’abord et avant tout penser à la pertinence des contenus, éviter un contenu altéré en termes de qualité. Éviter le garbage in, garbage out [vieil adage informatique]. Comment équilibrer le tout ? Voilà le vrai défi.
Ça prend donc des investissements pour soutenir le passage au numérique. Il faut changer le modèle d’affaires, mais il y a un défi budgétaire. L’offre numérique de Radio-Canada, par exemple, est vraiment bonne. Formidable !
Mais la société d’État reçoit un chèque une fois par année et nous, on doit le chercher tous les jours dans le poche des commanditaires. L’argent qui paie nos salaires vient de là. Il ne vient pas encore vraiment du numérique.
La radio ne doit-elle pas répartir ses blocs publicitaires pour mieux attirer les jeunes tournés vers les balados qui ont moins de pubs ?
Pour le moment, le modèle PPM établissant les parts du marché est toujours en vigueur. C’est ce qui génère les tarifs pour les annonceurs. Certains annonceurs veulent même être associés directement à un contenu spécifique.
Ils veulent être entendus pendant les émissions les plus écoutées. Il y a un défi pour la radio en général quant au modèle d’affaires qui doit être modifié sans nuire à la rentabilité actuelle qui provient toujours
d’un modèle traditionnel. La radio parlée coûte cher et les balados, on tente d’en faire un allié.
On développe ce secteur de plus en plus dans le cadre de la transition numérique actuellement en cours chez Cogeco. On en a une trentaine offerts sur notre site, dont les meilleurs moments de Paul Arcand, disponibles tous les jours vers midi.
On essaie donc de faire évoluer notre modèle en transition numérique et on essaie d’être plus présent sur toutes les plateformes possibles pour que les gens plus jeunes, qui n’écoutent pas la radio tous les matins, puissent avoir accès à notre contenu.
Il faut qu’ils rentrent dans notre cible de vente et trouver des sujets qui vont leur plaire, les intéresser. Ça nous préoccupe.